Yves Ayong est présenté comme un Conseiller informel du chef de l’État. Cet ancien collaborateur de l’avocat français Jacques Vergès, dans un texte publié sur son blog le 25 avril 2016, pose un diagnostic plutôt critique de la gouvernance au Cameroun.
S’il n’incrimine pas directement le Président de la République, Yves Ayong indique cependant que le système de gouvernance au pays de Paul Biya est un échec.
RFI: Vous publiez sur votre blog un texte qui se veut un électrochoc après le drame, survenu le 12 mars, de Monique Koumate, 31 ans, et de ses bébés, qui avaient provoqué une large émotion au Cameroun, une femme morte en couches, une césarienne improvisée pour essayer de sauver ces bébés. Et vous écrivez donc que cette femme est « le miroir de l’état actuel de notre société ». Quel est justement l’état actuel de la société camerounaise ?
Yves Ayong: Vous savez, une femme qui meurt dans ces conditions révèle quand même une forme d’impuissance. Et la mort de cette jeune dame, tout le monde s’y est vu. Tout le monde a vu une tante, un oncle, mourir de cette façon. La société camerounaise est en attente : peur de l’avenir, peur du quotidien. Et cette affaire, c’est aussi les accidents de la route, c’est aussi le quotidien.
Il est totalement impensable qu’un pays qui a les moyens – c’est un grand pays, le Cameroun –, que la population erre à longueur de journée, une partie d’entre elle, mais c’est déjà trop, à la recherche de l’eau alors que l’on a le deuxième réseau hydraulique d’Afrique. Mais l’eau, c’est le développement. Il n’y a pas de développement, je dis il n’y a pas de développement durable, développement tout court, sans eau, sans énergie.
RFI: Qui est responsable de cette situation ?
Yves Ayong: Je dirais que nous sommes tous responsables. Mais l’Exécutif peut faire mieux et doit mieux faire.
RFI: Et pourquoi il ne fait pas mieux cet Exécutif ?
Yves Ayong: Je pense qu’il y a beaucoup de volontarisme, ça, on ne peut pas le nier, plusieurs ministres sont tout à fait volontaires et actifs. Mais il y a une sociologie de fond qui fait de la performance un objectif secondaire. Il y a tellement d’énergie dépensée à conquérir un poste que, quand on y arrive, pour beaucoup, ils sont déjà dans un état de fatigue.
Après il faut pouvoir jouer les postures nécessaires, on est épuisés. Quand on en sort, c’est souvent pour consacrer le minimum d’énergie qui reste à essayer de revenir. Mais la cité, la population, la masse, la jeunesse, les objectifs fondamentaux de ce pays ne sont absolument pas dans cette démarche.
RFI: Est-ce que vous sentez également un comportement de prédation au sein de cet Exécutif camerounais ?
Yves Ayong: Il y a toujours une attitude qui laisse place à une certaine prédation. Mais aujourd’hui, il y a eu quand même un certain nombre de mesures pour lutter contre cet aspect. Donc on remarque une forme de recul, une forme de peur parce qu’il y a des mesures qui sont quand même très répressives.
RFI: Vous avez le sentiment qu’il y a moins de corruption à l’heure actuelle ?
Yves Ayong: J’ai le sentiment qu’il y a beaucoup d’efforts pour que cette corruption baisse, mais j’ai aussi le sentiment que c’est un combat très difficile.
RFI: Quelle est la part du président Paul Biya dans cette situation ?
Yves Ayong: Il est de bon aloi de mettre en responsabilité les personnes en première place dans ce pays. Mais je serais infiniment plus nuancé. Je pense que le cap déterminé par le président de la République à chaque fois était de mon point de vue - et c’est une approche personnelle-, le bon cap, c’est qu’il a toujours «bugger».
Et ce qui continue à «bugger», c’est la capacité pour l’Exécutif qu’il réunit à pouvoir porter ce besoin de construction de modernité. Quand vous rencontrez le président en privé, il voit très bien que le développement à sa base est plombé et que les besoins d’émergence en 2035 jamais.
Dans ces conditions, il faut qu’on soit au travail et on ne sera pas à 4,5 de croissance, on sera à 10 points de croissance parce que notre pays est un pays qui est potentiellement. Il faut faire une croissance à 2 points avec une répartition intelligente en termes d’infrastructures, d’éducation, et devenir une référence dans cet espace.
RFI: Si c’est l’Exécutif qui est responsable, qu’est-ce qu’il faut faire pour sortir de l’impasse ?
Yves Ayong: Il faut, de mon point de vue, qu’on réforme quand même les institutions pour que la capacité à rendre des comptes, au sens le plus concret du terme, soit accentuée. La posture, c’est terminé. Il faut se mettre au travail. Il va falloir passer à une étape de mon point de vue, sans doute, un peu plus coercitive que le quotidien un peu passif et poussif qui habite beaucoup de nos administratifs.
RFI: Dans le texte que vous publiez sur votre blog, vous évoquez beaucoup de choses: une nouvelle vision de la décentralisation, la réforme de la fiscalité, le retour à la conscription militaire. Mais vous ne dites rien de la justice. Est-ce que ça veut dire que, pour vous, tout va bien dans le système judiciaire camerounais ?
Yves Ayong: Non, absolument pas. Avec des moyens, avec une forme de démocratie interne entre l’Exécutif et le judiciaire, ce n’est pas le secteur sur lequel il sera le plus difficile de sur motiver pour aller vers une efficacité globale.
RFI: Vous êtes un homme qui est réputé pour avoir l’oreille du président. Est-ce qu’avec ce blog, vous changez de statut ? Est-ce que vous passez du statut que certains décrivent comme conseiller au statut d’opposant ?
Yves Ayong: Je ne suis ni conseiller ni opposant. Je suis Camerounais. J’ai par bonheur la capacité à pouvoir fédérer un certain nombre d’initiatives de pensées. Je vais passer au statut qui est celui qui m’est le plus cher : celui d’être une force de propositions.