Après avoir restitué le corps du délit comme l’exige la loi, la justice a l’obligation de restituer tous les biens de l’ancien ministre de l’Eau et de l’Energie. Dans le cas contraire, les juges violent la loi et s’exposent à des sanctions sévères. Voici pourquoi. Lisez cette analyse de notre expert depuis Abidjan. Très édifiant.
Soupçonné de détournement de deniers publics pour un montant de 3 145 000 000 Fcfa, Basile Atangana Kouna a été renvoyé devant le Tribunal criminel spécial, par ordonnance du 17 septembre 2019, pour répondre de ces faits. Au cours de l’enquête préliminaire, ses biens meubles et effets mobiliers ont été saisis, et ses comptes bancaires bloqués, au titre de mesures conservatoires, en vue de leur confiscation à l’issue du procès. Au cours de la procédure, tant au cours de l’information judiciaire que devant la juridiction de jugement, Basile Atangana Kouna a toujours offert de restituer le corps du délit, constitué du montant qui lui était reproché d’avoir retenu frauduleusement. Finalement l’offre de remboursement a été acceptée par les organes judiciaires compétents et Basile Atangana Kouna s’en est acquitté, en intégralité. Toutefois, malgré cet acquittement du montant, fait déclencheur des poursuites, les biens de ce dernier restent sous main de justice.
Analyse des problèmes
Il s’agit de confronter le problème ainsi identifié aux règles et principes juridiques qui régissent la restitution du corps du délit, la transaction pénale, la confiscation des biens. Sur la restitution du corps du délit. L’article 18 de la loi N° 2011 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal criminel spécial (Tcs) dispose : « En cas de restitution du corps du délit, le procureur général près le tribunal peut, sur autorisation écrite du ministre chargé de la Justice, arrêter les poursuites engagées avant la saisine de la juridiction de jugement. Toutefois, si la restitution intervient après la saisine de la juridiction de jugement, les poursuites peuvent être arrêtées avant toute décision au fond et la juridiction saisie prononce les déchéances de l’article 30 du Code pénal avec mention au casier judiciaire. L’arrêt des poursuites est sans incidence sur les procédures disciplinaires éventuelles ». Il faut noter ici que l’article 18 reste muet sur le sort des saisies. Il ne pouvait pas en être autrement, puisque lesdites saisies sont pratiquées à titre conservatoire, pour garantir le paiement du préjudice subi du fait du détournement déploré. Dès lors que le préjudice disparait du fait de la restitution du corps du délit, aucune action ne reste plus ouverte à la victime. Même devant les juridictions civiles.
Il est de jurisprudence constante que les juges doivent nécessairement et obligatoirement constater le préjudice avant l’allocation des dommages-intérêts Cass. civ. 19 avril 1946, D. 1956, som. 108 ; Cass. 03 janvier 1963 D. 1963-263. Les juges du fond devront apprécier le préjudice tant dans son existence que dans la gravité : Cass. Soc. 13 avril 2016 : N°14628293. A titre adventice, les dommages-intérêts constituent la compensation financière à laquelle peut prétendre une personne qui a subi un préjudice moral ou une atteinte à son patrimoine ou les deux à la fois. Ces jurisprudences posent des principes. La disposition de l’article 18 de la loi organisant le Tribunal criminel spécial n’a pas prévu qu’après la restitution du corps du délit, le juge saisi soit encore assujetti à l’appréciation de quelque dommage que ce soit. Dès lors donc que les poursuites disparaissent, les saisies conservatoires n’ont plus aucun fondement juridique. Pour ce motif, les saisies qui entravent les biens et les comptes bancaires de Basile Atangana Kouna peuvent être qualifiées de voie de fait imputable à l’administration de la justice.
Privation arbitraire
La voie de fait, en droit, correspond à une mesure ou une action gravement illégale de l’administration qui porte une atteinte grave à une liberté individuelle ou conduit à une extinction du droit de propriété. Dans le cas d’espèce, l’action du ministère de la Justice du Cameroun, tend à l’extinction du droit de propriété de Basile Atangana Kouna. En toute illégalité. Faut-il rappeler ici la déclaration universelle des droits de l’Homme et le préambule de la Constitution du Cameroun. L’article 17 alinéa 2 de la déclaration universelle des droits de l’Homme stipule que : « Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété ». En maintenant sous main de justice les biens et les comptes bancaires de Basile Atangana Kouna Basile, sans fondement juridique de ce maintien, il s’agit là d’une privation arbitraire de sa propriété. Et par conséquent, une violation des droits l’Homme. Dans le préambule de la Constitution du Cameroun, il est stipulé : « La propriété est le droit d’user, de jouir et de disposer des biens garantis à chacun par la loi. La propriété est le fait de posséder en propre. » En privant Basile Atangana Kouna du droit d’usage de ses biens propres, dans un cas qui n’est pas prévu par la loi, ce n’est rien d’autre qu’une violation de la Constitution du Cameroun par les auteurs de cette privation. Et les auteurs et les complices de tels actes sont ceux qui ont prêté serment de ne rien dire ni publier de contraires aux lois. Comme complices, je pense à certains malheureux avocats, misérables égarés dans ce corps noble, qui ont erré devant la justice et devant le peuple, en soutenant que les biens de Basile Atangana Kouna, une fois sous main de justice, appartenaient déjà à l’Etat.
En effet, au cours d’une audience devant le Tribunal criminel spécial, alors que les avocats du suspect présentaient l’offre de remboursement, un des avocats de la partie civile a soutenu que les biens du suspect Atangana Kouna, ne lui appartenaient plus, dès lors qu’ils avaient fait l’objet de saisie par les juridictions compétentes. Ce misérable avocat ne sait donc pas faire la différence entre une mesure conservatoire et une procédure d’exécution. La mesure conservatoire ne dépossède pas l’individu de sa propriété une fois l’obstacle qui justifiait cette mesure levée. L’obstacle qui empêchait Basile Atangana Kouna de jouir et de disposer de ses biens, était la poursuite devant la juridiction répressive. La disparition de cet obstacle devrait restituer à Basile Atangana Kouna, la plénitude de ses droits sur ses biens. L’avocat doit retenir qu’il est auxiliaire de justice et qu’il doit aider le juge dans son office. Un avocat qui tient ce genre de discours n’est pas différent d’un clown. Qu’il comprenne que le palais de justice n’est pas une salle de théâtre. J’attends que cet avocat m’explique, à la suite de cet article, le fondement juridique de son argument selon lequel les biens saisis à titre conservatoire, devraient rester sous main de justice, même après la restitution du corps du délit. Il ne s’agit pas de polémique ou d’une querelle byzantine, mais du fondement juridique. Qui sait ? L’Etat garantit à tous les citoyens de l’un et de l’autre sexe, les droits et libertés énumérés au préambule de la Constitution.
Mode alternatif
Nous ne sommes pas dans le registre des émotions. Une abondante littérature, en cours au Cameroun, s’émeut des dispositions de l’article 18 de la loi qui organise le Tribunal criminel spécial et de l’arrêt des poursuites contre Basile Atangana Kouna. Sur la littérature, on peut lire, par exemple : « l’efficience discutée de la restitution du corps du délit devant les juridictions répressives camerounaises etc… ». Même dans cette littérature, on est satisfait de constater que, malgré qu’elle discute sur la nécessité de déclaration des biens, elle reconnait l’obligation de la condamnation préalable avant la confiscation des biens. Cette affirmation de l’obligation de condamnation préalable repose sur les dispositions de l’article 35 du Code pénal, selon lesquelles « en cas de condamnation pour crime ou délit, la juridiction compétente peut ordonner la confiscation de tous les biens meubles et immeubles appartenant au condamné et saisis, lorsque ceux-ci ont servi d’instrument pour commettre l’infraction ou qu’ils en sont le produit ». Puisque Basile Atangana Kouna n’a pas été condamné, la confiscation ne peut donc pas être légalement justifiée. Ses biens doivent être libérés pour ce motif.
Sur tout un autre plan, la transaction pénale justifie la libération des biens de Basile Atangana Kouna. Les dispositions de l’article 18 de la loi créant le Tribunal criminel spécial au Cameroun n’est rien d’autre qu’un mode alternatif de règlement des conflits relevant de la compétence du Tribunal criminel spécial au Cameroun. Pourquoi voudrait-on vider de sa substance ce mode alternatif ? La restitution du corps du délit n’est-elle pas une transaction au motif que celui qui rembourse peut obtenir l’arrêt des poursuites ? Et puisque la victime a transigé sur l’arrêt des poursuites, peut-on alors discriminer les poursuites pénales des poursuites civiles, dès lors que devant le juge répressif, ces poursuites sont imbriquées ? La simple logique admet que la victime qui a transigé après être rentré dans son bien, n’ait plus aucun intérêt sur le plan civil. La transaction pénale a donc mis fin aux poursuites pénales et civiles contre Basile Atangana Kouna.
Abus de fonction
L’article 140 du Code pénal punit d’un emprisonnement de un à trois ans et d’une amende de cinq mille à cinquante mille francs, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout fonctionnaire ou agent public étranger qui, abusant de ses fonctions, porte atteinte aux droits ou intérêts privés. Le maintien sous main de justice, sans fondement juridique, des biens de Basile Atangana Kouna, par des fonctionnaires, n’est-il pas un abus de fonction ? Et ceux qui procèdent ainsi seraient-ils alors au-dessus des lois ? Sous un autre angle, le refus des autorités compétentes de faire suite à la demande de Basile Atangana Kouna de voir libérer ses comptes, autorités qui sont des fonctionnaires, n’est-il pas le refus d’un service que réprime l’article148 du Code pénal ? La justice au Cameroun serait-elle alors entre des mains délinquantes ? On n’ose pas imaginer que la justice camerounaise soit entre des mains délinquantes, mais le fait que les comptes ne soient pas libérés jusqu’à ce jour suggère une inertie condamnable. En effet, les actes de remise en liberté devaient être concomitants à ceux de libérations des comptes et des biens, puisque comme on l’a souligné, le maintien de saisie conservatoire, en application de l’article 35 du Code pénal, manque désormais de fondement juridique.