Au Cameroun, les entreprises brassicoles et d’autres acteurs du marché des alcools marquent subtilement leur présence sur internet, un média en pleine croissance.
Francine Eyenga*, 18 ans, manipule son téléphone par une matinée ensoleillée à Yaoundé. Sur son écran, des minis vidéo défilent en quelques secondes. La jeune fille est sur Snapchat, l’un des réseaux sociaux les plus appréciés des personnes de sa génération. Francine est en pleine immersion dans un univers festif. La vidéo qu’elle regarde montre des jeunes de son âge qui boivent du champagne et du whisky, en écoutant de la musique. La vidéo est diffusée sur le compte d’une boîte de nuit de la ville de Douala, qui publie des directs de l’ambiance qui y règne tous les week-ends.
Comme elle, des milliers de jeunes camerounais sont soumis quotidiennement à des messages qui les incitent subtilement à s’adonner à l’alcool. Dans les groupes WhatsApp, c’est en bande que les adolescents organisent « les charters », des sorties de groupe pendant lesquelles la consommation d’alcool est la chose la mieux partagée. Très souvent, l’objectif est le même, faire le maximum de folie pour, ensuite, partager photos et vidéo sur les réseaux sociaux, et passer pour un garçon ou une fille cool.
FreakyFridayz
Des pratiques qui sont encouragées de manière subtile par les grandes compagnies brassicoles, principales bénéficiaires de ce comportement. Ces entreprises scrutent les événements dits « tendances », ceux qui rassemblent le plus de jeunes sur la toile. Elles n’hésitent pas alors à y associer leurs images, voire à financer leur tenue. Les plus prisées sont les « street party », ces fêtes de rue qui s’organisent sur les réseaux sociaux à des dates et à des endroits déterminés, et qui sont particulièrement appréciées par les adolescents.
L’une de ces fêtes, c’est le FreakyFridayz. Le concept consiste à recréer une ambiance club –in dans une rue. L’évènement se tient un vendredi par mois, avec à chaque fois un thème vestimentaire différent. Le lieu et le thème sont exclusivement révélés sur les réseaux sociaux, ce qui amène les près de 10.000 amoureux de ce concept à le suivre quotidiennement sur ses pages digitales. Alcool, musique, tabac…tout est au rendez-vous au cours des Freaky Fridays, auxquels assistent des milliers de jeunes.
Face à l’engouement de ce concept, la marque Ballantines a signé un contrat de sponsoring exclusif avec les organisateurs de cet évènement. Le concept a été rebaptisé Balantines Freaky Fridays, ce qui offre un espace de visibilité de choix pour cette marque de whisky commercialisé au Cameroun par le groupe Bvs Sas.
Pour contrer cette invasion de messages incitant à l’alcoolisme sur internet, les associations de défense se sont, elles aussi, mises à la page. Alattcam, l’association pour la lutte contre le tabagisme, l’alcoolisme et la toxicomanie au Cameroun, s’est dotée d’un site internet sur une plateforme gratuite. « Les moyens ne sont certes pas les mêmes, mais nous essayons tant bien que mal d’exister » nous confie la présidente de cette association.
Sur le réseau social Facebook, la page Prévention alcoolisme Cameroun anime une communauté composée de près de 1200 membres. Créée par Aces, une association qui œuvre dans l’éducation à la santé et l’environnement, la page Prévention alcoolisme Cameroun organise des évènements au cours desquels les participants débattent des thèmes liés à la consommation excessive de l’alcool.
Vide juridique
Il est à noter que la législation en matière de publicité au Cameroun, contenue dans la loi sur la publicité du 29 décembre 2006 ne prend pas en compte la diffusion de messages incitatifs sur internet. Une faiblesse pourtant corrigée sous d’autres cieux, où la législation contient des dispositions relatives à ce type de publicité.
C’est le cas notamment en France, où la loi dispose que la publicité pour l’alcool est autorisée sur Internet, sauf sur les sites destinés à la jeunesse ou dédiés au sport, et « sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle ».
Par ailleurs, l’article L3323-4 du code pénal français limite strictement ce qui peut être dit dans une publicité de produit alcoolique. Elle doit être limitée à « l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit ».
En attendant qu’il en soit ainsi au Cameroun, les acteurs du secteur de l’alcool, et les activistes de la lutte contre l’alcoolisme continuent de se battre pour gagner le combat de la communication sur internet.
*Francine Eyenga est un nom d’emprunt