Directeur de l’école privée franco-arabe de Kolofata et père d’une famille victime.
Vous avez perdu deux de vos proches dans l’attentat qui s’est produit à Kolofata le 11 décembre dernier. Pouvez-vous nous ce qui s’est passé.
Très tôt ce jour de vendredi, il était à peu près 6h 15, j’ai entendu les bruits devant ma maison. Vous savez que, lorsqu’il y a des bruits, les enfants et les femmes sont curieux de savoir ce qui se passe. C’est comme ça donc qu’ils sont sortis pour s’informer. Or, c’était des éléments de Boko Haram qui s’étaient infiltrés dans la localité. L’un a voulu attirer l’attention de la population en criant «Boko Haram», «Boko Haram», pendant qu’un deuxième élément était caché quelque part. Celui qui ameutait la foule était pieds nus et tête rasée. Alors qu’on l’interrogeait parce qu’il était inconnu des populations camer.be, il a voulu s’enfuir et un membre du comité de vigilance s’est lancé à sa poursuite pour l’interpeller.
Profitant de cette confusion, le second kamikaze s’est approché de ma maison devant laquelle s’était formé un attroupement, pour faire exploser sa charge. Quant à l’autre kamikaze, il a été rattrapé par le membre du comité de vigilance, le nommé Adamou, et ce avec l’aide du gardien de la commune. Pendant qu’on cherchait à le maîtriser, ils se sont aperçus qu’il portait sur lui une ceinture explosive. Ils l’ont relâché. Or, il avait perdu le déclencheur de son explosif qu’on a retrouvé plus tard sur les lieux de la bagarre.
Quels ont été les dégâts sur le champ ?
Sur le lieu de l’explosion, les dégâts étaient énormes. Les images sont effroyables. Le kamikaze qui s’est fait exploser avait sa tête à une dizaine de mètres, ses membres inférieurs ont été projetés dans les concessions alentours. Mon fils de 7 ans est mort sur le champ quand ma femme agonisait, entre la vie et la mort. Au même moment, mes quatre enfants gisaient par terre. Ils étaient tous blessés et chacun m’appelait papa en disant: «aide-moi». Il y a eu 7 morts sous nos yeux et une vingtaine de blessés. Et tout autour, il n’y avait que de la désolation et de la tristesse.
A ce moment, j’ai failli avoir un AVC, mais il a fallu la puissance divine pour me redonner de la force. C’est comme ça que j’ai transporté chacun, l’un après l’autre, pour les sécuriser un peu plus loin. Les forces de défense et de sécurité sont venues immédiatement à la rescousse. L’ambulance de l’hôpital de Kolofata a également transporté certains blessés pour l’hôpital, d’autres pour Mora et les cas les plus graves ont été acheminés par hélicoptère. Voilà un peu comment on a passé cette journée noire.
Comment surmontez-vous aujourd’hui ces épreuves ?
Vous savez, c’est comme si le ciel vous était tombé dessus. La situation est difficile, elle est inimaginable. Figurez-vous qu’en une fraction de secondes, vous perdez deux personnes dont un fils et une femme. Il n’y avait ni maladie ni rien, ils sont partis. Mais que faire? On est des croyants, on n’a pas à s’affoler ni à incriminer qui que ce soit. C’est leur temps qui est arrivé et Dieu a voulu que ça arrive au même moment pour eux. Nous l’acceptons ainsi et attendons aussi notre tour.