Le journaliste revient sur le calvaire vécu samedi 3 mars dernier dans la résidence de l'ex-ministre des Transports, Edgard Alain Mebe Ngo'o.
Comment a démarré pour vous cette journée du samedi 3 mars ?
Samedi matin, je me suis levé, j'ai fait mon ménage, la vaisselle, je m'apprêtais à aller au marché pour faire des achats. C'est à ce moment que le rédacteur en chef adjoint m'appelle au téléphone et me confie un sujet sur le réaménagement du gouvernement. Le Jour a choisi d'en faire un dossier. En plus de présenter les promus, on devait raconter l'ambiance chez les sortants. Il m’a demandé de me rendre dans le quartier du ministre Mebe Ngo'o, faire le b-a-ba du journalisme, les choses vues et entendues autour du domicile du ministre sortant. Le Rec m’a demandé de faire le nécessaire pour que ce travail soit fait. Une somme de 10 000 F m'a été envoyée.
En fait, ce samedi, j'avais initialement dans mon programme la couverture de la deuxième journée de championnat Mtn Elite 2, le match Cosmos de Bafia-Canon de Yaoundé. Tout coïncidait bien parce que je devais me rendre à Odza chez Monsieur Mebe Ngo'o (comme m'a précisé le Rec A), non loin du centre technique de la Fecafoot où se jouait ce match. Je pouvais faire d'une pierre deux coups. Lorsque je me rends au stade généralement, je mets une tenue décontractée. J'ai mis un jean bleu et mon polo blanc du FC Barcelone que j’aime bien parce que c'est mon équipe de cœur, un petit sac dans lequel j’ai rangé ma carte professionnelle, ma carte d'identité et de quoi prendre des notes (un papier et un stylo de couleur rouge). Je suis sorti de ma maison, j’ai fait un retrait de 5000F et vers 13h, j'ai emprunté une moto directement pour le collège adventiste à Odza.
Quel est votre premier contact avec le terrain ?
J'ai demandé au conducteur de la moto de me laisser devant le collège adventiste, parce que c'était mon point de repère. Quand je quitte mon quartier, je ne sais pas exactement où habite l'ancien ministre des Transports. Une fois au collège Adventiste, mon premier contact est un jeune homme qui se promène. Je lui demande poliment où se trouve la maison de Monsieur Mebe Ngo'o, il me l'a indiqué assez facilement. A partir du collège, en levant la tête on peut apercevoir la maison à étage du ministre. Il fallait juste remonter et passer par la maison de M. Paul Elung Che, le ministre secrétaire général adjoint à la présidence de la République, la 2ème rue après cette maison. J’ai repéré la maison alors il fallait commencer la collecte.
Après avoir localisé le domicile de l'ex-ministre, quelle a été votre démarche ?
Ma démarche consistait d’abord à observer à quoi ressemble cette maison. Je me suis rendu compte que par rapport aux autres, la barrière est assez haute, il est impossible de voir la maison de l'extérieur, on aperçoit juste l'étage. La ruelle mène tout droit à la route. J’ai fait un premier tour et j'ai remarqué que le portail de couleur vert foncé était entrouvert, la couleur est si foncée qu'on a l'impression qu'elle a été refaite récemment. J'ai jeté un coup d'œil discret, il n'y avait personne et j'ai continué ma route. Toutefois à l'extérieur, il y avait un scooteur, une Toyota, un petit véhicule sport. Ce que j'ai noté. Je suis resté au carrefour. J'observais les véhicules en route tout en gardant un coup d'œil au domicile du ministre.
Que voyez-vous exactement?
Le portail était fermé. Le propriétaire du scooteur est sorti, il a démarré et est parti en direction de la résidence de M. Paul Elung Che. Quelques minutes après, il est revenu. Des véhicules entraient et ressortaient. De l'exté rieur, je ne pouvais rien voir.
Comment procédez-vous par la suite pour collecter vos informations ?
Quelques minutes après, le portail de la maison voisine à celle de M. Mebe Ngo'o s'ouvre, une voiture en sort et un jeune homme descend et referme derrière lui. Il se dirige vers la route. Alors, je l'interpelle tout gentiment, je lui présente ma carte professionnelle et je lui fais un exposé du travail que je veux effectuer. Il ne trouve aucun inconvénient. Je lui demande quelle est l'ambiance dans le quartier depuis le réaménagement du gouvernement. Il me répond qu'il ne s'intéresse pas à la politique, il ajoute que si son voisin n'est plus au gouvernement c'est qu'il a mal travaillé, il a eu une mauvaise moyenne. Je lui demande si entant que voisin direct du ministre, l'a-t-il déjà croisé un jour? Il me répond : il passe souvent par-là, il nous salue de la main depuis sa voiture. Je lui ai ensuite demandé s'il existe des relations de bon voisinage entre eux ? Il me dit que ses parents rendent souvent visite au ministre mais jamais le contraire. Il ne m'a pas donné son nom, il ne voulait pas être cité. Il est alors environ 14 h 30 ; tout à côté, il y a un bazar, un grand pressing ; un mini bar, des jeunes filles font à manger, je les taquinais un peu pour faire la conversation mais sans faire allusion à mon travail. Ceci pour ne pas rester stationner. Quelques minutes plus tard, un portail non loin de la résidence de M. Mebe Ngo'o s’ouvre. Une jeune fille en sort, visiblement pressée, je l'aborde lorsqu'elle se dirige vers la route. Je me présente. Elle me parle sans peur. Elle dit que c'est un méchant homme. Elle explique que lorsqu'il était ministre de la Défense, il passait avec son cortège sans saluer ses voisins. Ce qui selon elle n'était pas le cas au tout début, lorsqu'il arrivait dans le quartier, il était sympa, il a même acheté un bœuf pour ses voisins. Elle m'a peint un tableau assez contrasté de la personnalité, tout en précisant qu'elle n’avait aucun problème avec lui, mais qu'il mérite ce qui lui arrive. Elle m'a également donné beaucoup d’informations sur sa famille que j'ai pris soin de noter. C'est ma deuxième rencontre.
A ce moment-là, quelle suite donnez-vous à votre collecte d’informations ?
Les voitures passent, des personnes aussi qui entrent chez M. Mebe Ngo'o. Je décide de faire un autre tour pour changer de milieu. Non loi, chez M. Paul Elung Che, je tombe sur une dame qui tenait un sac du marché. Je l'aborde et je me présente systématiquement. Elle me fait comprendre que c'est son « père » qu'on vient d'enlever du gouvernement. En fait, elle vient du village pour s'enquérir de la situation après la sortie du ministre du gouvernement. Parmi ses révélations, elle me donne le nom de son village du ministre et m'aide même à l’écrire ; elle me décrit un personnage à l'opposé du témoignage de la première fille. Selon elle, le ministre aide beaucoup les gens du village, raison pour laquelle elle vient compatir. Elle ajoute qu'elle n'est pas triste car le pays c'est pour eux et que son oncle retrouvera un autre poste. Je me suis entretenu avec ces trois personnes. Nous sommes rendus vers 15h. La jeune fille m’a informé de ce que les personnalités arriveraient généralement en soirée. Ce qui me donnait le temps de me rendre au stade pour la couverture du match de ligue 2 Cosmos-Canon et revenir plus tard. Avant d'emprunter le taxi, je remarque un véhicule d'une agence de sécurité garé.
J'ai échangé avec les deux hommes qui en fait étaient chargés de faire des patrouilles dans le quartier résidentiel. Le ministre n'est pas gardé par une société de gardiennage mais par des hommes en tenue m'apprend-t-on. J'ai ensuite pris le taxi pour Odza borne 12. Sur place, j'ai acheté un rafraîchissement avant de prendre une moto pour le stade. J'y ai retrouvé deux confrères, Guy Roger Obama de Magic Fm et un autre d’Afrique 2 radio. Nous avons couvert le match puis nous avons fait les interviews à la fin après la victoire (2-0) de Canon sur Cosmos. En quittant le Centre technique, j'ai croisé le confrère de la Crtv Armand Ambassa. Le journaliste est venu suivre le match de Canon. Après une ou deux blagues, je prends congé du grand frère et, je prends une moto pour un dernier tour dans le voisinage de la résidence de M. Mebe Ngo'o. Nous sommes aux environs de 18h. La ruelle n'est plus trop déserte. Le parking est plus garni. Toujours à distance, j'aperçois plusieurs personnes devant la maison. Certaines entrent et sortent. D'autres font la conversation. Après un moment d'hésitation, je décide d'aborder un jeune homme qui se dirigeait vers une voiture garée à l'extérieur. Je lui présente ma carte professionnelle. Il se présente comme un membre de la famille. Après lui avoir confié que je faisais un travail sur l'ambiance à la maison suite au réaménagement gouvernemental, il commence son propos en m'avouant qu'il n'était pas à la maison quand la nouvelle est tombée. De lui, je souhaitais savoir si le ministre était à la maison lorsque la nouvelle est tombée et comment la famille l'a accueillie. Il me dit que c'est à cause des histoires qu'ont écrit dans la presse qu'une telle chose est arrivée et qu'il allait quand même me dire quelque chose si je promets de ne pas le citer. Ce que je promets. Le jeune homme me dit que le ministre était à la maison.
Même s'il paraît un peu abattu, il est debout car c'est un homme. À la question de savoir si le ministre avait reçu la visite d'autres membres du gouvernement, il me dit que trois hautes personnalités sont passées par ici, qu'il ne me donnera pas leurs noms et que d'autres sont annoncées. Il finit son propos en me soufflant que le ministre a dit aux membres de la famille une chose qui a remonté leur moral. Il ne me dit pas de quoi il est question et repart à la maison. J'aborde un deuxième jeune homme qui m'accorde plus d'attention quand je me présente comme journaliste au quotidien Le Jour. Il me peint un tableau noir d'une certaine presse et me demande tout de même de l'attendre une minute à l'extérieur. Il voulait bien m'aider moi, étant un jeune comme lui. En l'attendant, j'ai déjà assez d'éléments pour mon article. Je m'apprête à quitter cette rue quand je vois un jeune homme en tenue sortant du portail et qui va se soulager dans un buisson derrière les véhicules. Je l'approche. Après qu'il a terminé, je me présente puis je lui demande comment a-t-il accueilli la nouvelle de la veille et si des dispositions spéciales ont été prises. D'abord un peu réticent, il me dit que son équipe et lui s'occupent juste de la guérite. Ils font les gardes de 72h puis s'en vont. La garde de la maison est assurée par une autre équipe. En espérant le retour du deuxième membre de la famille qui m'a promis des informations, je fais un dernier détour dans l'autre ruelle. Je cause avec quatre jeunes stationnés au petit carrefour. Ils se dispersent quand je me présente à eux comme journaliste. Je décide de quitter ce quartier. En sortant par la rue de l'ancien ministre des Transports,
Je suis accosté par le jeune homme en tenue, mon ancien interlocuteur. Il m'apprend que son chef voulait me parler et m'invite à entrer dans la résidence. Une consigne de son chef, m'a-t-il reprécisé. Avant d'entrer, j'ai un peu peur. Après je me dis que j'entre quand même dans la maison d'un ancien patron de la Défense. Qu'est-ce qu'on peut me faire? De plus, c'est une belle opportunité pour ma collecte. Quand j'entrais, j'ai eu le réflexe de faire un SMS commun à mes collègues Francky et Jean Philippe qui faisaient le même travail chez d'autres ministres sortants. « Je suis en train d'entrer chez Mebe Ngo'o» est la phrase que j'ai pu écrire. Le message est parti. L'homme en tenue est devant moi. Il ne m'a pas vu manipuler mon téléphone. Il m'a conduit derrière la grande maison. Et là je découvre que derrière, il y avait du beau monde tout autour des résidences. Des mamans causaient, des jeunes portaient des bébés. L'homme en tenue me demande de l'attendre. Il me laisse puis revient avec un monsieur assez costaud, bien habillé et à l'allure très posée. Dans le même temps, le premier membre de la famille que j'ai interviewé dehors est passé devant moi. Il m'a reconnu et m'a dit en souriant : « Gars tu es finalement entré ? » J’ai répondu avec sourire puis, il est passé. Le monsieur me dit : « présente-toi ! ». J'ai sorti mon badge professionnel. Il me dit donne-moi ta carte d'identité. Ce que j'ai fait. Il me dit que fais-tu ici ? Et là il avait déjà récupéré mes notes. Je fais ma collecte sur une feuille de papier recyclé (une fiche de salaire d'un de mes parents). Généralement, je mémorise souvent les éléments de terrain. Et je note juste des détails. Mes notes étaient en désordre, n'ayant pas assez d'espace sur cette fiche. J'avais noté aboiement des chiens, les marques de voitures garées devant le portail, Paul Elung Che, Charles Ndongo, Edgar Alain Mebe Ngo'o, les habitants du quartier, les noms des enfants... Le monsieur les a lus. À ce moment, il me traite d'espion. Il m'a demandé qui t'a envoyé et combien on t'a payé ?
A ce moment quelle est votre réaction ?
Quand il me pose toutes ces questions, je comprends que ça devient compliqué. Mais je ne panique pas. Je suis réconforté par la foule et je me dis que rien ne peut m'arriver dans le domicile d'un homme de loi. Je suis tout de même chez le ministre. Mon interviewer me traite encore d'espion. « Tu es mon collègue, on se connait », a-t-il lâché. J'ai réitéré que j'étais journaliste. Il m’a demandé si je lui apprenais à faire son travail. Il me dit : « tu es de quelle unité ? Dgre... ? ». Dépassé par ce que j'entendais, je ne sais quoi répondre. À ce moment, il me donne une lourde gifle à la joue et me traîne par la ceinture vers la guérite. Une fois à la guérite, il me fait asseoir et plusieurs de ses collègues accourent. Cette guérite est un réduit de deux pièces avec un salon, d'un écran plat. Ils me demandent de me déshabiller et un collège me passe à une fouille complète. Après je me suis rhabillé. Ils détenaient déjà toutes mes affaires (argent, téléphones et un paquet de cacahouète). Pendant l'interrogatoire, je continue à réitérer que je suis journaliste, que je suis Caristan Isseri du quotidien Le Jour. Mon badge l’atteste. Je travaille pour Haman Mana. Ils ont pris l'un de mes téléphones qui ne possédait aucun contact, parce que je venais de l'acheter, donc il m'aidait juste à gérer mes transactions financières et suivre la radio, mon premier téléphone n'ayant pas le mode radio. Malheureusement, ils ont considéré cela comme une preuve tangible d'espionnage. De plus, les cacahuètes ont conforté leur position. Ils m'apprennent que les espions s'en servent lorsqu'ils font ce genre travail. Il m'a répété encore que je suis son collègue. Je n'ai pas cédé et certains parmi eux ont commencé à me frapper. J'étais assis sur un banc. Ils m'avaient encerclé. Certains me donnaient des coups de pieds au niveau des genoux et des baffles au dos et même sur la tête.
J'ai commencé à me protéger la tête avec les mains. J'ai dénombré près de huit hommes. Ils apparaissaient au fur et à mesure pour s'enquérir de la situation. Plus ils arrivaient, plus ils me frappaient. A l'arrivée de l'un d'entre eux, je croyais qu'il venait me défendre. Mais je me trompais à chaque fois. J'ai remarqué qu'ils me frappaient stratégiquement lorsque l'un d'eux m'a frappé au visage avec sa pomme de main et m'a ouvert la lèvre supérieure. Un parmi eux a dit : « non ne le tape plus comme ça. » J’ai compris qu'ils ne voulaient pas me laisser des traces de tortures. J’ai aussi remarqué la présence d'une curieuse à l'entrée de la guérite. Alors, ces messieurs me demandent de quelle école de journalisme je suis sorti. J'ai dit que je suis diplômé de l'école supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication, en décembre 2015 et j'ai été recruté au quotidien Le Jour en janvier 2016. Ils me demandent : « Tu connais la dame si? ». Je lève la tête. Je vois une dame. Son visage ne m'était pas familier. J'ai dévisagé une femme assez âgée, la cinquantaine entamée, habillée d'un tailleur avec un sac à main. Et ils me disent ensuite : « Tu dis être journaliste et tu ne connais pas Anne Marthe Mvotto n’est-ce pas ? Tu es un espion », hurle l'un d'eux. Je n'avais pas reconnu cette dame. Moi j'avais gardé en tête la sublime présentatrice du 20h30 de la Crtv télé. Quand elle s’arrête à franchir la guérite, je présente mes excuses à la dame de ne l'avoir pas reconnu. Elle me répond « ce n'est pas grave ». Je lui demande ensuite de regarder ce qu'on était en train de me faire. Voyant que je ne cédais pas suite aux nombreux coups, l'un de mes bourreaux change de stratégie. Il lit sur mes notes « Aboiement des chiens », et me dit « je t'amène donc chez les chiens ». C'est à ce moment que j'ai su que tout était fini. Rien que l'aboiement de ces chiens me donnait la chair de poule. J'ai commencé à pleurer, demander la clémence de Dieu et suppliant à ces grands frères de ne pas me conduire dans la cage des chiens. Les violences physiques ne me disaient plus rien. J’ai supplié. « Mon grand pardon, laissez-moi partir ». J’ai pleuré comme un enfant.
Ces chiens pouvaient me déchiqueter. Il faisait déjà nuit. En face de la guérite, se trouvait trois niches à chiens au fond du parking. Ils m'ont trainé à la cage de chien. Ces bêtes aboyaient très fort. Il y avait trois cages. Deux étaient occupées. Ils ont ouvert la troisième et m'ont jeté à l'intérieur. Elles sont assez grandes, sans doute à cause de la taille des animaux, mais petite pour un homme. J’ai dû me mettre à genou pour ne pas cogner ma tête sur le plafond. Dans la cage, je me suis senti un peu à l'aise. Je me suis dit qu'on m'enfermait juste pour me relâcher après. Mais un autre jeune homme à l'accent d'un ressortissant de la partie septentrionale du pays fait son apparition. Très nerveux et plus agité, il a encore ouvert la cage et m'a asséné plusieurs coups. Il me prévient qu'il va me « montrer ». Il a sorti un long tuyau à eau qu'il a envoyé à travers les grilles de la cage. Il m'a longuement aspergé d'eau. J'étouffais et par moment, j'avalais cette eau dont je ne maîtrisais pas la composition. Il m’a dit : « chante, chante... ». Je me suis dit que si je m’exécute, il va me laisser. Il a entonné un chant et m’a demandé de répéter après lui. Je ne me rappelle plus très bien des paroles. Mais j’ai chanté, j'étais déjà très ridicule. Il se moquait de moi. Après, il a coupé l'eau. Il m'a sorti de la cage et on a procédé à un deuxième interrogatoire. Ils posaient encore les mêmes questions. Il fallait que je dise que je suis un espion. Je leur ai dit qu'ils se trompaient et que c'était un malentendu. J'étais présent dans ces lieux pour faire mon travail. Et puis un parmi eux me dit : « Mon petit tu connais même où tu es ? Tu es chez le ministre de la Défense, on peut t'effacer ici personne ne connaitra où tu es ». Je leur demande : « vous m'effacer comment, laissez-moi partir, je me sens déjà mal ».
Ils disent non. Un autre homme m'a pris à côté et m'a parlé gentiment : « Petit frère, moi je ne vais pas te taper. Parle on te laisse ». Celui qui m'a aspergé d'eau dans la cage a interrompu cette conversation et m'a tiré près d’une voiture. Il a ramassé un objet pour me frapper mais, une autre personne est intervenue en lui intimant de me laisser. Ils m'ont encore trainé et remis dans la niche du chien. J'ai subi ce même traitement que j'avais l'habitude de regarder dans les films de terrorisme. J'ai vécu cette forme de torture dans mon pays et dans la maison d'un ministre, d'un homme de loi, d'un papa même si je reste convaincu qu'il n'était pas au courant de ce qu'on me faisait dans sa cour. J'étais mort de trouille, j'avais très froid, je grelottais. Une fois sorti de cette cage, ils m'ont amené derrière une voiture vers le bâtiment principal. Une dame fit son apparition. Très colérique, elle se tient près de moi. Petite de taille et un peu ronde, elle arborait une petite robe. Elle était derrière moi, mais j'ai pu bien voir son visage. A sa manière de parler, j'ai eu l'impression que c'est elle qui commandait les lieux. Elle a dit : « Mon capitaine, il faut l'éliminer. Il faut l'électrocuter camer.be». Ce sont les termes qu'elle a utilisé. Pourtant je me suis dit que la présence d'une maman parmi ses hommes était salutaire pour moi. Quand elle a prononcé cette phrase, j'ai perdu espoir. J'ai décidé de ne me plus supplier. Et la dame qu'on m'a présentée comme Anne Marthe Mvotto était encore là. Elle vivait toute la scène. Pendant tout ce temps, les autres hommes ne s'appelaient pas par leurs noms. Ils ont refusé d'obtempérer suite à la demande de la dame colérique prétextant qu'ils savaient comment faire leur travail. Ils m'ont conduit hors de la résidence. À l'extérieur, tout le monde me regardait, ça avait l'air de la justice populaire. J'étais comme un malfrat aux mains de la population.
Lorsque vous sortez de la résidence, sentez-vous du soulagement ?
Oui ! Très soulagé parce qu'ils ont proposé qu'on me conduise dans une brigade. Ils se renseignaient, sur la brigade la plus proche. Ce que j'avais déjà proposé, parce que c'était mieux qu'on m'amène à la brigade comme j'étais un espion à leurs yeux. Là-bas, on allait m'entendre et me garder en cellule sans me frapper. Au lieu de subir un tel traitement. Chaque fois que je parlais de mes droits, ils redoublaient de violence. Devant le portail, le monsieur qui semblait être le chef m'ordonnait : « gifle toi très fort, si tu rates, je le fais ». J'obtempérais en espérant qu'ils allaient me libérer. Ils m'ont ramené à l'intérieur de la résidence proposant de me conduire chez le ministre. Je n'ai pas trouvé d'inconvénient. Je me suis dit, le ministre, c’est un papa. C'est le patron des lieux. Lui au moins ne cautionnera pas cette barbarie. Hélas, ils ne m'ont jamais conduit chez le ministre. Ils m'ont plutôt ramené vers le parking puis m'ont présenté un registre.
Ils m'ont donné un stylo à bille bleu, parce que le mien était à bille rouge. Ils m'ont demandé d'écrire mon nom et mon heure d’entrée dans la résidence. Ce que j'ai fait. J'ai écrit 18h 30 comme heure d'entrée. Ils m'ont demandé d'écrire que je me suis introduit dans la résidence. J'ai dit que je ne pouvais pas l'écrire parce que je ne me suis pas introduit. Ils m'ont encore frappé dans le dos. Actuellement, j’ai même encore très mal au dos, parce qu’ils l'ont fait quand j'étais courbé pour écrire. L’un d’eux m’a demandé d'écrire que j’ai violé le domicile du ministre. Un parmi eux, a soulevé son T-shirt mettant son pistolet en évidence. Pour la première fois, j'ai constaté qu'ils étaient armés. C'était la première fois que je voyais une arme. Cela a suffi à me convaincre d'écrire ce qu'ils voulaient. Je me suis ensuite dit que si j'écris et qu'on me laisse sortir, est-ce que ça ne me causera pas d’autres problèmes après? Je ne sais pas s'ils savaient bien lire, parce que j'ai plutôt écrit que je me suis introduit au domicile du ministre pour faire un reportage autour de l'ambiance au lendemain du remaniement ministériel. J’ai dit que j’ai été envoyé par Haman Mana. J’ai réécrit que la commande était de Claude Tadjon, le rédacteur en chef adjoint. Ils m'ont remis mon téléphone pour relever les numéros du Directeur de la publication, Haman Mana, celui du rédacteur en chef, Jules Romuald Nkonlak, et son adjoint, Claude Tadjon, puis, j'ai signé. A ce moment, celle que l’on m’a présentée comme étant Anne Marthe Mvotto m'a filmé. Je l'ai remarqué au flash produit par son téléphone android. Mes tortionnaires m'ont fait ajouter des éléments sur mes notes. Notamment l'heure d'arrivée au quartier et d'autres détails. De ce fait, ils m'ont collé le motif de violation du domicile et d'espionnage. Ils voulaient aussi que je le dise dans une vidéo.
Ils m'ont fait répéter un speech à plusieurs reprises et m'ont ensuite conduit sur la véranda du bâtiment principal. Pour se rassurer que j'allais bien parler, il a encore mis son arme en évidence. C’est la raison pour laquelle dans la vidéo je baisse ma tête à chaque fois pour contrôler la position de l'arme. Je contrôlais ses faits et gestes. J'avais peur. Si vous regarder bien cette vidéo, je tremblais, je n'arrivais même pas à tenir le stylo que j'avais en main. Il a sorti son IPhone et a activé la vidéo. Et en aucun moment je n'ai cédé. J'ai fait l'effort de toujours glissé dans mes propos les mots journalisme, collecte..., le jargon de ma profession pendant que les voix en off prononçaient espionnage, violation de domicile... Ils se sont ensuite concertés. Après ils m'ont ramené près du parking. Ils m'ont remis ma carte professionnelle, mes téléphones et mon sac. Ils m'ont demandé de vérifier si j'avais tous mes effets. En me rappelant que j'avais beaucoup de chance, que je devais remercier l'homme en tenue qui m'a fait entrer dans la résidence. Et qu'ils n'avaient pas en- core fini avec moi. Ensuite, ils m'ont conduit hors de la maison en me répétant : « tu es un chanceux, mais ce n'est pas fini. Comme tu es journaliste, on t'attend lundi en kiosque camer.be». Ils m'ont demandé de quitter les lieux en courant. J'ai résisté. J'ai cru qu’ils voulaient encore m'humilier. Ils m'ont dit : « si tu ne cours pas et qu'on te rattrape encore tu verras ». Et ils m’ont rappelé qu'ils m'ont vu parler avec l'une des filles du voisinage. J'ai quitté les lieux tout apeuré. Tout trempé d'eau. Je ne pouvais pas emprunter un taxi dans cet état. J'ai juste eu le réflexe de joindre mon rédacteur en chef adjoint. Mon téléphone affichait 1 % de batterie et il était 21h. Mon portable s'est éteint avant que ce dernier n'ait le temps de décrocher. Je suis monté sur une moto directement pour la maison et je me suis barricadé à l'aide du lit que j'ai poussé vers la porte.
Quel est votre état de santé actuel ?
Si je suis sorti en vie de cette résidence, c'est grâce à Dieu. Dans cette résidence, je suis mort à trois reprises. Quand on me conduisait dans la cage du chien, m'étouffant à l’eau, lorsque la dame colérique a demandé qu'on m'électrocute et lorsque j'ai vu une arme dirigée vers moi. À l'hôpital, j'ai consulté un médecin qui après avoir vu mon état physique m'a prescrit des médicaments. Il a dit au rédacteur en chef adjoint qui m'a accompagné que je n'allais pas bien et a conseillé de me faire suivre un traitement psychiatrique.
Comme journaliste qu’est-ce que vous ressentez après cette épreuve ?
Comme jeune reporter c'était atroce. C'était horrible ce qui m'est arrivé. Ce n'est pas le reporter, mais c'est le jeune qui parle ! Comment on peut me torturer dans la maison d'une autorité de cette envergure ? Comment on me fait entrer pour frapper sur moi ? Lorsqu'on m'introduisait dans la résidence du ministre, je me sentais plutôt en sécurité ? On aurait pu me frapper à l'extérieur que j'aurais compris. Mais dans la maison du ministre ? J'ai peur, peur pour ma vie, pour les miens. Je suis en danger, ces gens ont promis de me chercher. Je n'ai plus le courage de faire ce métier. C'est avec regret que je prends cette décision. J'ai deux passions dans ma vie, le journalisme et le football. J'ai beaucoup aimé le journalisme. Je ne le pratique véritablement que depuis deux ans; ceci pendant que mes parents souhaitent que je poursuive mes études en management sportif pour suivre ma deuxième passion. Du journalisme, j'en garde de très beaux souvenirs. C'est effectivement le plus beau métier au monde. Je ne regrette rien. Beaucoup me demandent ce que j'allais faire chez le ministre. J'allais faire mon travail et c’est tout ! De brillants professionnels m'ont appris à aller à la source, prendre son courage et aborder les gens. Au pire, ces gens pou- vaient refuser de me parler. Pas me mettre dans une cage de chien, me déshumaniser et me faire subir la torture. Je suis traumatisé. Je n'arrive pas à dormir. Ces images me reviennent. Je ne souhaite cette expérience à aucun confrère. Je me considère comme un survivant. Je remercie mes proches et ma famille professionnelle pour le soutien. J'entends dire que je suis devenu célèbre, mais à quel prix ? Moi je ne me sens plus bien. Malgré tout, je reste un enfant de Dieu et je suis sûr que ce traumatisme partira un jour. Propos recueillis