Le ministère a interrogé l’enseignant des lycées devant le Tribunal criminel spécial dans le cadre de l’affaire de l’octroi abusif des salaires réservés aux diplomates à des fonctionnaires en service au pays. Ce témoin avait l’habitude d’aider certains fonctionnaires en se graissant la patte sur leurs revenus à l’insu de l’informaticien.
M. Georges Célin Mbialeu Tiako, enseignant de lycées, est le neveu d’Emmanuel Leubou. Il est aussi l’homme par qui les ennuis judiciaires de l’ancien chef de la cellule informatique de la direction des dépenses des personnels et des pensions (Ddpp) du ministère des Finances (Minfi) sont en partie arrivés dans la deuxième procédure judiciaire qui concerne l’informaticien devant le Tribunal criminel spécial (TCS). Une situation que la présidente de la collégialité des juges en charge de l’examen du dossier n’a d’ailleurs pas manqué de lui faire savoir au terme de son interrogatoire le 23 mai dernier.
Il s’agit de l’affaire de l’arrimage frauduleux de 18 salaires de personnels civils et militaires au taux extérieur découvert en février 2018. Le taux extérieur est un privilège réservé exclusivement aux personnels de l’Etat en poste dans les missions diplomatiques et consulaires. L’enseignant a été entendu ce jour-là dans cette procédure comme dernier témoin du ministère public dans cette procédure. Sans ambages, la présidente du tribunal a dit à M. Mbialeu Tiako qu’il avait de la «chance» d’être cité dans le dossier que «comme témoin». Selon le tribunal, il est la personne qui a «mis [son] oncle dans les problèmes».
Censeur au lycée de Biyem-Assi à Yaoundé au moment des faits, M. Mbialeu Tiako raconte qu’il a voulu profiter de sa proximité avec son oncle Leubou pour arrondir ses fins de mois. Il permettait à ses connaissances d’obtenir le paiement du suivi de leur dossier pour divers actes de carrières : avancement, intégration ou rappel de solde. Les dossiers lui parvenaient par le truchement de son collègue, Gervais Body. Il se chargeait de déposer lesdits dossiers dans les services de M. Leubou pour faciliter leur «introduction dans le circuit de traitement» et percevait 10% du montant escompté du dossier comme récompense de son entregent.
C’est donc dans ce cadre qu’il a convoyé quatre dossiers parmi lesquels le dossier d’avancement de Armand Collins Ymele Zanfack, enseignant d’EPS à l’Eniet de Soa au moment des faits. Un «client» qu’il dit n’avoir rencontré pour la première fois que devant le juge d’instruction. Dans son dossier, M. Ymele Zanfack réclamait le paiement de deux rappels d’avancement d’un montant d’un peu plus d’un million de francs chacun.
Sauf qu’au lieu du rappel d’avancement, M. Ymele Zanfack est accusé d’avoir aussi perçu, entre octobre 2017 et septembre 2018, la somme totale de 20,3 millions de francs de salaire. En fait, le salaire de cet enseignant d’EPS d’un montant de 204 mille francs a été indûment arrimé au taux extérieur. Et dans ses bulletins de solde à problèmes, son administration utilisatrice variait ; il était tantôt en fonction au ministère de la Jeunesse et des Sports, tantôt dans celui de la Communication, parfois dans celui des Enseignements secondaires.
Répondant à une question du ministère public, M. Mbialeu Tiako affirme qu’il ignorait tout de la fraude décriée et reconnait que M. Ymele lui a seulement versé 120 mille francs de commission en juin 2017. Le procureur va donner lecture des extraits de ses déclarations faites pendant l’instruction judiciaire selon lesquels il traite M. Ymele Zanfack de personnage «absolument malhonnête». «Qu’est ce qui justifie ce qualificatif ?», demande le procureur. «La première raison est qu’il y a eu des détournements qu’il n’avait pas signalés», répond M. Mbialeu Tiako, ajoutant que l’autre raison est que son «client» appartenait, selon les pièces qui l’accablent, à plusieurs ministères.
Conjoncture
Lors du contre-interrogatoire de M. Mbialeu Tiako, les avocats de M. Leubou lui ont demandé s’il avait rencontré leur client une fois «pour placer des dossiers au taux extérieur ?». «Jamais !», réagi le témoin. «Pourquoi, poursuit l’avocat, seul le dossier de M. Ymele Zanfack est passé au taux extérieure ?» L’enseignant répond qu’il n’en sait rien n’étant en service au Minfi. Néanmoins, dans une longue explication, il déclare avoir ouï-dire qu’il y avait un secrétaire dans les services de son oncle qui manipulait les dossiers en trafiquant les matricules. «Est-ce que M. Leubou était au courant que vous commercialisez ses facilités ?», demande le tribunal au témoin lors de la phase réservée à ses questions. Ce dernier répond par la négative, déclarant que «c’était une situation d’aide». Le tribunal renchérit : «Votre oncle vous aide gracieusement, vous allez percevoir 10% ?» «C’était une conjoncture», a répondu le témoin.
Ce mardi 31 mai, le ministère public présentera son réquisitoire pour dire si les éléments de preuves sont réunis afin que le tribunal procède à l’audition des accusés et de leurs témoins éventuels, le cas échéant.
Rappelons que M. Leubou passe en jugement aux côtés de Philippe Raoul Panko, ancien chef service de gestion à la Ddpp du Minfi, accusé principal dans cette affaire, mais aussi Georges Bertrand Ze et M. Ousmane Boukar. Ils répondent de la supposée coaction de détournement de 320,8 millions de francs. Ils sont accusés d’avoir indûment accordé des salaires au taux extérieur à des personnels n’ayant pas qualité. Les dossiers litigieux étaient traités par M. Panko puis transmis à la cellule informatique dirigée par M. Leubou pour inscription dans le fichier solde.
Alors que M. Panko était passé aux aveux complets lors des enquêtes, il s’est retracté devant la barre. M. Ymele Zanfack et Nathalie Crescence, enseignante du primaire, sont poursuivis pour la supposée perception des salaires querellés respectivement 20,3 et 51 millions de francs.