L’ex-militaire maquillé en fournisseur de l’Etat repéré au cours d’un autre procès devant le Tribunal criminel spécial a réussi dans sa vie à s’octroyer des salaires réservés aux ministres, des avantages de diplomates, des avances sur solde non-remboursés. Détenu à la prison de Kondengui, il s’évade au lendemain de la découverte de son vrai visage.
C’était l’un des accusés de l’affaire des salaires frauduleux attribué par un gang de faussaires à de faux diplomates dans laquelle M. Panko Philippe Raoul, ancien chef du service de gestion de la direction des dépenses du personnel et des pensions (Ddpp-ancienne direction de la solde) du ministère des Finances, fait figure de chef de gang présumé, avec le désormais célèbre Emmanuel Leubou parmi les mis en cause. Il fait l’objet d’un procès public autonome depuis le 28 avril 2023, en fin de semaine dernière, devant le Tribunal criminel spécial (TCS). M. Zé Georges Bertrand, puisqu’il s’agit de lui, répond d’une accusation de détournement des deniers publics d’une valeur de 86,4 millions de francs. Le procès de cet ex-militaire s’est ouvert pendant qu’il est en cavale. Alors qu’il faisait l’objet d’une détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé – Kondengui, l’accusé, qui apparaît comme un multirécidiviste du rapt sur la fortune publique, avait réussi quasi-miraculeusement à prendre la poudre d’escampette quelques mois après la découverte de son passé rocambolesque.
Ainsi que le relève l’ordonnance de renvoi dont Kalara a reçu copie, ce second procès concernant M. Zé devant la juridiction est parti, chose rare, d’une révélation faite le 28 septembre 2022 lors des débats à l’audience de l’affaire ministère public et Etat du Cameroun (Minfi) contre les nommés Panko Philippe Raoul, Zé Georges Bertrand et autres. Le représentant du Minfi dans ce procès avait «été surpris d’apprendre que le nommé Zé Georges Bertrand, jusque-là connu comme prestataire des services, avait servi dans les forces de défense jusqu’en 2013», rappelle le juge d’instruction, avant d’ajouter «qu’intrigué par cette découverte, (le représentant du Minfi) a immédiatement entrepris des recherches dans la base de données solde pour avoir des précisions à la fois sur le parcours professionnel et la situation salariale de l’intéressé».
86,4 millions de francs
Les résultats des recherches seront implacables : «Zé Georges Bertrand a régulièrement été pris en solde jusqu’au grade de sergent de l’Armée de terre avant d’être suspendu de solde en novembre 2003 pour désertion», peut-on lire dans l’ordonnance de renvoi dont Kalara a obtenu copie. Cependant, poursuit le rapport de l’enquête judiciaire, M. Zé «a curieusement été repris en solde en février 2004, ce jusqu’à août 2019, au rang de « personnels à solde globale » réservé aux membres du gouvernement et assimilés, chefs traditionnels, entraîneurs des équipes nationales et personnels employés dans les missions diplomatiques». Mieux, dans cette même période, les recherches mettent en évidence le fait que «Zé Georges Bertrand a bénéficié des indemnités de logement allouées aux personnels diplomatiques du Cameroun à l’étranger, des salaires aux taux consulaires indus et de deux avances de solde qu’il n’a pas entièrement remboursées».
C’est donc en tout 86,4 millions de francs que le mis en cause aura perçus et pour lesquels il est en procès. Ces diverses rapines auraient été perpétrées «de février 2004 à novembre 2015», aurait-il reconnu lors de l’enquête policière, et non pas jusqu’à août 2019 comme révélé par les recherches internes du ministère des Finances. Précision apportée par le mis en cause : «de décembre 2015 à août 2019, bien qu’ayant continué à être mandatés et virés à son nom, il n’a plus perçu ces salaires bloqués par Afriland First Bank sur dénonciation de la Sécurité Militaire». C’est une réserve dont le juge d’instruction n’a manifestement pas tenu compte, M. Zé ayant promis de fournir des documents pour sa défense. Une promesse jamais tenue jusqu’à ce que le procureur général près le TCS décide de solliciter l’inculpation de l’ex-militaire et l’ouverture d’une information judiciaire, le 26 janvier 2023. M. Zé Georges Bertrand avait réussi de s’évader entre-temps, semant les geôliers commis à son escorte suite à une sortie de prison pour cause de rendez-vous médical.
Dans ce dossier, l’information judiciaire aura été de pure forme en l’absence du seul mis en cause, en fuite. Le parquet général près le TCS et le Corps spécialisé des Officiers de police judiciaire du TCS ont choisi de faire le minimum d’investigations, en dépit des curiosités, nombreuses de ce dossier, en rapport avec d’autres affaires pendantes devant la même juridiction (lire encadré). De toutes les façons, seul le représentant du Minfi dans cette procédure a été auditionné par le juge d’instruction. Logiquement, aucune révélation supplémentaire n’a été faite à ce stade de la procédure. L’enquête ne s’est pas préoccupé d’identifier les probables facilitateurs des rapines ayant profité à M. Zé Georges Bertrand, acquiesçant sans effort supplémentaire le fait que l’ex-militaire en fuite a déclaré ignorer «par quel mécanisme les salaires litigieux ont été mandatés à son profit».
Emmanuel Leubou
A titre de rappel, l’information ayant conduit à la deuxième affaire Zé Georges Bertrand devant le TCS avait été mise en exergue par Me Jean-Jacques Kamga, l’avocat de M. Emmanuel Leubou, lors du contre-interrogatoire du fugitif à l’occasion de son premier procès. «Quel métier exercez-vous ?», l’avait interrogé l’avocat. «Au moment des faits, j’étais prestataire de services. Je dirigeais la société Afro-Connexe. Je suis propriétaire du journal « Regards croisés ». Je suis en quelque sorte un gérant de société. Je fais dans les bâtiments et travaux publics et dans la restauration». Relance de l’avocat : «En quelle année étiez-vous dans l’Armée camerounaise ?» Réponse : De 1994 à 22013. J’ai demandé ma mise en disponibilité pour sauver ma vie.» C’est cette réponse qui a mis la puce à l’oreille du représentant du ministère des Finance face à un individu bien connu de la Sémil.
Sauf retournement spectaculaire, M. Zé Georges Bertrand, qui est jugé par contumace, fera l’objet d’une condamnation à vie, la peine de prison maximale en cas de culpabilité établie pour détournement de fonds publics. Pour autant, son procès public, qui n’est qu’à son début, apparaît comme un écran de fumée. Il laisse en place et solidement implanté un puissant réseau qui se sert à profusion dans les caisses du Trésor public mais contre lequel la justice s’est toujours montrée incroyablement inoffensive. Comme dans la première affaire le concernant devant le TCS où il s’était d’abord laissé aller à aveux avant de se rétracter, ce multirécidiviste n’est pas prêt à trahir les membres de ce gang et ces derniers pourraient ne pas être étrangers à sa