Construit à l’époque coloniale par la Compagnie française pour le développement des fibres textiles (CFDT), l’aérodrome de la ville jadis abandonné, a été rétrocédé à l’armée. Mais le site est depuis longtemps envahi par les riverains qui ne sont pas prêts pas à quitter les lieux.
C’est avec un brin de nostalgie polluée d’amertume que Philippe Gondere, 85 ans, chef du quartier Elf, se remémore les beaux jours de l’aérodrome de Kaélé. «Quand l’aéroport fonctionnait, tout était moins cher ici. La vie était vraiment simple. Avec 20 Fcfa, on nourrissait toute une famille. Une trentaine d’Occidentaux travaillaient à la CFDT (l’ancêtre de la Sodécoton, Ndlr). Nous avions de bons rapports avec ces expatriés, y compris ceux qui avaient en charge le fonctionnement de l’aérodrome. Tout ce qu’on cultivait ici s’arrachait comme de petits bouts de pains par ces expatriés. Ils amenaient aussi à Kaélé de nombreux articles en provenance d’Europe, notamment les oeufs, les vêtements, les meubles et bien d’autres objets. Avec l’usine de la CFDT et l’aérodrome, je peux dire que Kaélé était l’un des fleurons économiques de la région», relate-t-il, ému.
A raison de deux vols hebdomadaires, généralement le mardi et le jeudi, la CFDT, principale structure utilisatrice de l’aérodrome, avait ses propres aéronefs pour transporter les ballots de coton achetés aux cotonculteurs. L’aérodrome permettait aussi au personnel de la CFDT de se déplacer entre l’Europe et le Cameroun, tout en sécurisant les transports de fonds destinés à payer les employés et les cultivateurs. Aussi, le patriarche Gondere Philippe rêve t-il de revoir l’aéroport à nouveau opérationnel. «L’aéroport, aussi petit soit-il, permet une ouverture sur le monde», affirme-t-il.
VISITE GUIDÉE
Mais dans ce vaste domaine grand de plusieurs hectares et logé au quartier préfectoral de Kaélé, ne sont plus visibles que quelques animaux qui paissent en compagnie des bergers. Des usagers, à moto, à vélo, ou à pieds, vont et viennent en empruntant des pistes qui desservent le site. Ici et là, quelques bâtiments dont la décrépitude cache mal l’architecture du passé attirent le regard de quelques curieux. Seul se distingue, dans un relatif état, le centre de météorologie bien que lui aussi sous la dictature de hautes herbes. De près, sa toiture ne tient que sur un fil et les murs sont peints de lézards qui vadrouillent à coeur joie sous les lézardes.
Le fameux «bar escale» de l’aérodrome, jadis lieu de toutes les fréquentations et de toutes les attractions, est sans toiture. Il sert aujourd’hui de logis à un malade mental qui le partage avec des excréments humains et autres tas d’immondices qui trainent par terre. Le même décor est visible au bureau des personnels de l’aviation d’autrefois. Les magasins de l’aérodrome, à peine identifiables, sont aussi sans toits, envahis par la broussaille. La seule infrastructure qui a résisté au temps reste la piste d’atterrissage, récemment retoqué à la faveur d’une visite à Kaélé de l’alors ministre délégué à la présidence de la République en charge de la Défense, Edgard Alain Mebe Ngo’o, qui y avait posé un hélicoptère de l’armée à l’occasion.
Abandonné à lui-même, les populations ont tôt fait d’investir l’aérodrome, violant ainsi les dispositions légales interdisant toute exploitation ou construction dans un périmètre situé à 150 mètres du site. Une situation qui a obligé les autorités administratives à engager une procédure pour sécuriser ce patrimoine public. «La gestion de l’espace aéroportuaire national ne relève pas à proprement parler de l’autorité administrative, mais plutôt de l’Asecna et des Aéroports du Cameroun. Mais il est de notre responsabilité de prévenir les conflits, car à terme, cette invasion des riverains pouvait déboucher sur des litiges fonciers interminables», souligne Abdoulaye Alioum, sous-préfet de Kaélé.
PROPRIÉTÉ DE L’ARMÉE
Selon le maire de Kaélé, Seïbou François Xavier, le site a été récemment cédé à l’armée camerounaise. La présence des soldats est d’ailleurs visible sur le site, à travers le 41e bataillon d’appui. Elle y a même construit un forage qui fait déjà le bonheur des populations riveraines. Cette possession progressive des lieux par l’armée a mis un bémol aux inquiétudes de l’administration quant à l’invasion des riverains. «Étant donné que le site est désormais occupé par l’armée, nous avons estimé inutile de poursuivre le processus, car elle peut dorénavant s’en occuper», informe le sous-préfet.