L’enseignant à l’Université catholique d’Afrique centrale affirme que la lutte contre la corruption au Cameroun relève de la «gesticulation institutionnelle». Il explique son propos.
Au lendemain de la célébration de la Journée mondiale de la lutte contre la corruption, quel regard portez-vous sur le phénomène au Cameroun ?
La corruption continue à bien se porter dans notre pays. La preuve, quand vous regardez le récent rapport publié par Transparency International vous vous rendez bien compte que le Cameroun se situe, si l’on ne prend que l’échelle des pays africains, au deuxième rang après le Liberia. Ce qui signifie globalement que l’ensemble des supposés efforts institutionnels qui ont été entrepris jusqu’ici ne donnent pas de résultats probants.
C’est dire à ce titre que si le problème est connu, le remède n’est pas encore de bonne qualité. Et cela nous démontre, sur un notre plan, que ‘’l’Opération épervier’’ (campagne d’assainissement des mœurs lancée par le gouvernement depuis une dizaine d’années, Ndlr) n’est pas une campagne qui globalement a pu produire les résultats escomptés. C’est-à-dire à faire reculer le phénomène de la corruption ou tout au plus à l’éradiquer.
Un certain nombre d’individus a décidé de transformer les services publics et leurs situations de pouvoir en position d’accumulation de biens et services.
Pourquoi jusque-là les structures (Conac, Anif, Consupe, Chambre des comptes de la Cour suprême, cellules ministérielles, Tcs…) mises sur pied par le gouvernement pour lutter contre la corruption ne parviennent toujours pas à donner des résultats escomptés ?
C’est très facile à comprendre. Il n’y a qu’à voir l’armature institutionnelle de toutes ces structures publiques. Ce sont des démembrements de la présidence de la République, que ce soit le Consupe (ministère en charge du Contrôle supérieur de l'État, Ndlr), l’Anif (Agence nationale d'investigation financière, Ndlr), la Conac (Commission nationale anti-corruption, Ndlr) qui montrent que le dynamisme institutionnel n’a pas été accompagné d’un sérieux dans la mise en marche de ces machines.
Pour ne prendre que la Conac que je crois mieux connaître, ailleurs où ce type d’institutions existe, notamment au Maroc, la structure de lutte contre la corruption a une assise institutionnelle. Ce qui lui donne la faculté d’engager de manière efficace des actions de contrôle sur tous les trois types de pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif). C’est une structure qui jouit d’une certaine autonomie et indépendance, à partir de laquelle elle peut opérer. Ce qui suppose également que cette structure ait un budget autonome lui permettant de remplir effectivement sa mission. On peut également citer l’Afrique du Sud, le Liberia et bien d’autres.
La faiblesse de nos institutions de lutte contre la corruption amène à se demander si ce sont des structures qui ont été créées pour lutter effectivement contre la corruption ou si ce sont des structures qui ont davantage été créées pour donner une impression qu’il y a une lutte qui est effectivement menée. C’est ce que j’appelle, dans cette seconde perspective, la gesticulation institutionnelle qui est l’art de produire de nombreuses institutions face à un problème, des institutions qui elles-mêmes reposent sur la fragilité, et qui au fond n’ont pas la possibilité de pouvoir résoudre le problème. Et une fois qu’elles ont été créées, le phénomène continue à bien se porter. Et à la limite, ces institutions deviennent des éléments de décor, des éléments de décorum servant tout simplement à tromper ceux qui veulent bien l’être.
Pensez-vous que dans ce combat la société civile camerounaise s’implique-t-elle véritablement ?
La société civile camerounaise s’implique dans la lutte contre la corruption. Il y a par exemple le travail entrepris par l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (Acdic) au ministère de l’Agriculture et du Développement rural dans le cadre du programme maïs et autres, qui a mis en lumière tous les détournements effectués par les responsables de ces programmes et au niveau de la gestion des tracteurs (indiens destinés à l’expérimentation, Ndlr). À leurs risques et périls d’ailleurs. Certains responsables de l’Acdic se sont attirés beaucoup d’inimitiés.
Si on prend la presse qui est un démembrement de la société civile, on ne peut que dire que la presse camerounaise fait son travail, en termes d’interpellation, de dénonciations, de mise en lumière d’un certain nombre d’opérations qui sont mal montées et qui attestent justement du détournement de fonds publics.
Au-delà de l’Acdic, il existe un certain nombre de regroupements de la société civile qui abattent un travail de veille au niveau de l’exécution physique du budget du Cameroun. Mais maintenant, quel est le degré de pouvoir dont dispose la société civile pour emmener les gens à avoir des répits, des reculs par rapport à leur volonté de continuer à torpiller le bien public.
Bientôt 20 ans (16 janvier 1996) que la Constitution prévoit une disposition (article 66) pour combattre la corruption. Qu’est-ce qui, selon vous, empêche les pouvoirs publics à traduire dans les faits cette disposition ?
Cela dénote l’absence de volonté politique. Comme je l’ai dit tantôt, les structures qui ont été prétendument créées pour lutter contre la corruption ne sont pas des organes qui ont été programmés pour avoir des résultats. Ce qui montre aussi que le régime en place a bien conscience qu’il ne peut pas scier la branche sur laquelle il est assis, à savoir la corruption. Et que ce n’est pas ce régime qui luttera véritablement contre le phénomène.
A bien y regarder, il n’y a pas que l’absence ou le déficit d’application de l’article 66 de la Constitution. Il n’existe pas au Cameroun un mécanisme de protection des dénonciateurs des actes de corruption. Or, personne ne peut aller se mettre en difficulté en dénonçant un acte de corruption. Car en le faisant, c’est courir le risque d’être plus tard lynché ou zigouillé.
Ce qui, à mon avis, montre que l’un des piliers de fonctionnement de ce régime politique reste l’opacité et ses déficits de transparence. Parce que, si les gouvernants actuels avaient confiance en eux-mêmes et que leur fonctionnement n’était pas irréprochable, il n’y aurait aucune raison que l’article 66 de la Constitution ne soit pas effectivement appliqué. Un décret d’application de cet article avait été pris, mais ce décret retirait en réalité toutes les possibilités de transparence dans la déclaration des biens. En créant une commission auprès de laquelle des gestionnaires de crédits publics pourraient déclarer de manière secrète leurs biens et que cela reste une affaire qui est cachée, l’esprit de l’article 66 a été trahi. On est dans une situation où l’on a neutralisé un dispositif que la Constitution s’est donnée. Et c’est une situation qui trahit le degré de sincérité des politiques à pouvoir lutter contre la corruption.
Des pistes à entrevoir pour venir à bout de cette gangrène…
Premièrement, il vaut mieux ne pas créer une pléthore d’institutions. Mais, plutôt instaurer une institution unique, avec peut-être des chambres spécialisées qui la rendent forte. Par exemple, donner à cette institution une assise constitutionnelle, de manière à ce que même le président de la République soit passible de poursuites ou d’enquête pour corruption étant donné qu’il gère aussi la fortune publique. Ainsi personne ne sera au-dessus de la loi. Deuxièmement, il me semble qu’il faut créer aujourd’hui un mécanisme de protection des personnes qui dénoncent les actes de corruption. Ce mécanisme permettrait que les uns et les autres puissent avoir une possibilité d’aller droit au but dans cette activité. Troisièmement, il faut donner à la structure mise sur pied une possibilité de saisine pour qu’elle puisse, une fois son constat fait, saisir le pouvoir judiciaire. Pour que ce dernier déclenche la procédure. Quatrièmement, il faut aujourd’hui des possibilités d’enquêtes. C’est-à-dire que M. X ou Mme Y, qui vient par exemple de sortir d’une école de formation, et qu’au bout de deux ou trois ans roule carrosse, possède des immeubles et des biens dans la ville, il faudrait qu’à un moment il y ait une possibilité d’ouverture d’une enquête. Cinquièmement, (et le plus important d’ailleurs), il faut une poursuite systématique des mis en cause dans les affaires de corruption. A côté du volet judicaire, il faut effectivement arriver à la confiscation des biens des individus convaincus de corruption. Parce que les peines d’emprisonnement de 15, 20, 30 ans sont parfois jubilatoires. Car en réalité, les condamnés savent que l’argent pris ou détourné ne sera pas remis. A mon avis, quand on veut lutter contre la corruption, il faut que le contribuable rentre dans ses frais. Le plus important c’est que le contribuable puisse rentrer dans ses frais. Bien plus, il faut passer de la rhétorique aux actes, que dans la pratique la moralité et l’éthique reviennent dans les nominations publiques. Au Cameroun, il y a parfois comme une prime aux corrompus. Vous partez d’un ministère à un autre où on a démontré que quelqu’un était véritablement un grand acteur de la corruption. Mais, curieusement il est promu dans un autre ministère. Et il continue sans en être inquiété le même travail au vu et au su de tout le monde.
Les nominations aux postes de responsabilité doivent tenir compte des bulletins de police, des services de renseignements. Au lieu que ces pièces ne servent qu’au mouchardage. Il faut qu’il y ait un travail en profondeur de manière à ce qu’on sache qui on nomme où et pourquoi on le nomme à cet endroit, quel est le degré de moralité par rapport à l’éthique de la personne nommée, pour sauver les caisses de l’État.
Il y a aussi un travail à faire, celui de l’éducation à l’intégrité pour que les jeunes générations ne recopient pas ce que les politiques d’aujourd’hui sont en train de faire. On sortira probablement de cette putréfaction en matière de gouvernance dans notre pays.
La Journée internationale des droits de l'Homme a été commémorée hier, quelle appréciation faites-vous de l’état des droits de l’Homme au Cameroun ?
Il y a un véritable recul des droits de l’Homme au Cameroun. Voyez-vous, le parti au pouvoir (Rassemblement démocratique du peuple camerounais, Ndlr) peut se permettre tout : faire du bruit un peu partout, commettre des atteintes à l’ordre public, insulter les autorités administratives de part et d’autres sans que personne ne soit interpellée ou même incarcérée. Mais, il suffit qu’une formation politique de l’opposition veuille ouvrir un débat, par exemple sur le code électoral, comme c’est le cas du Mrc (Mouvement pour la renaissance du Cameroun, Ndlr) pour qu’on se mette à tabasser les gens au point de leur casser la jambe. Pourtant, les opposants ne font que leur travail qui est d’attirer l’attention sur le fait que le code en place n’est pas celui d’une démocratie digne de ce nom. Cette manière de gérer les choses à géométrie variable frustre quotidiennement les Camerounais. Un jour ou l’autre, il ne faudrait pas être surpris que de frustration en frustration les gens répondent par la violence. Ce n’est pas ce qui est souhaité. Il me semble que le Cameroun n’est la chasse gardée de personne.
Et que dire de la liberté de la presse au Cameroun ?
La gestion de la liberté de la presse est aussi un sérieux problème. Voilà trois journalistes à savoir Rodrigue Tongue, Baba Wamé et Félix Ebolé Ebola poursuivis par le tribunal militaire au motif qu’ils étaient en détention d’un certain nombre d’informations, et qu’ils n’en ont pas informés les renseignements généraux. Est-ce leur travail ? Les journalistes ne sont pas payés pour ça. Il y a des gens qui ont des budgets entiers pour travailler à cela. Si ces personnes sont incapables de travailler, pourquoi attenter à la liberté de la presse et à la liberté d’expression. Quand on sait le métier de journaliste est lié à la protection des sources, comment aller donner ses sources dans ces circonstances, au cas où ces gens auraient même détenu un certain nombre d’informations. Si tant est que c’est en réalité par rapport à l’exercice de leur profession, on se rend bien compte qu’il y a encore un problème de droits de l’Homme. Et que le Cameroun fait un grand recul en arrière. Tout ce qui avait été obtenu de haute lutte dans la décennie 1990 est aujourd’hui en train d’être repris. Et progressivement, on entre dans un parti unique de fait.