Actualités of Friday, 8 November 2024

Source: Jean-Pierre Bekolo

L’idolâtrie : de Paul Biya à balthasar

Ici, l’image de Paul Biya agit comme un symbole Ici, l’image de Paul Biya agit comme un symbole

Dans les écrits anciens, l'idolâtrie — culte rendu à des images ou à des créatures adorées comme la divinité même — est souvent perçue comme une déviation du spirituel. Au lieu de s'attacher à des valeurs profondes et immatérielles, les gens adorent des objets ou des images matérielles. Ce phénomène est dénoncé comme un attachement superficiel qui détourne de l’essentiel.

Aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, on observe un phénomène semblable. Les images, vidéos et publications sur TikTok, Facebook, Telegram et autres plateformes deviennent des représentations "éblouissantes" de ce que l'œil voit, que l'on prend pour vérité. Les religions ont toujours condamné l'idolâtrie, car cet attrait pour ce que l'œil voit, comme on le voit aujourd'hui avec la course aux "likes", aux vues et aux commentaires, éloigne les hommes de ce qui est intérieur — c’est-à-dire de la vérité et donc, pour certains, de Dieu.
Prenons l'exemple de la mise en scène de la réapparition de Paul Biya à l'aéroport de Nsimalen, après des rumeurs sur sa mort. Cette scène met en lumière la puissance de l’image et son influence quasi-mystique dans le contexte politique camerounais. Paul Biya, président âgé et souvent absent de la scène publique, a suscité des débats constants sur sa santé et sa capacité à gouverner. Lorsque des rumeurs de sa mort circulent, sa réapparition — purement visuelle — prend un caractère quasi-religieux pour certains, avec des expressions comme « Il est vivant ! », une phrase qui évoque une référence évidente au Christ ressuscité.

Ici, l’image de Paul Biya agit comme un symbole, une icône de stabilité politique, même si elle ne reflète pas une véritable interaction avec la réalité de sa gouvernance. Cette idolâtrie de l’image permet à Biya de maintenir un pouvoir d’attraction sur le peuple : c’est l’image d’un chef fort et éternellement présent qui importe plus que les actes concrets. En somme, l’image devient une forme d'idolâtrie où la réalité tangible (sa gouvernance, ses actes politiques) importe moins que sa représentation iconique, presque sacrée, qui maintient la ferveur et la fidélité des partisans.

Après Paul Biya, une autre image fascine les Camerounais depuis quelques jours : celle des vidéos sexuelles de Baltasar en Guinée équatoriale. Ce scandale démontre comment l'image peut intensifier la perception de pratiques — peut-être exagérées par le dénommé Balthasar, mais qui restent malgré tout ordinaires chez nous, en l'occurrence les relations sexuelles extraconjugales. Ce que beaucoup pratiquent sans scrupules et sans médiatisation devient, par l'image, une sorte de preuve sociale de perversion. Sans les vidéos, cela aurait été un non-événement. Ce sont les vidéos qui font de cet acte intime une scène publique et donnent l'impression que les comportements représentés sont une preuve de corruption morale à l’échelle sociale.

Dans le cas de Balthasar, l’image filmée devient un objet de fascination, de répulsion et de condamnation. Les relations sexuelles deviennent ici presque « idolâtrées » — dans le sens où elles sont isolées, amplifiées et produisent un effet de scandale. Le fait de voir ces scènes confère à l’acte une réalité exacerbée, comme si l’image, en révélant l’intimité, donnait une realitée à un acte pourtant courant. Cela montre comment l’idolâtrie moderne des images peut distordre la réalité. Paul Biya n'existe pas forcément parce qu'on a vu sa vidéo, tout comme la société n'a pas forcément plus un problème morale parce qu'on a vu les vidéos de Balthasar.

Ces deux cas révèlent un modèle d’idolâtrie moderne des réseaux sociaux où l’image n’est plus un simple reflet de la réalité, mais un outil de manipulation des perceptions.

Les réseaux sociaux pourraient donc être comparés à des autels modernes où le culte de l'image remplace, pour certains, Dieu ou les valeurs et croyances plus intérieures.

Ainsi, l'image devient ici une forme de pouvoir et de contrôle qui façonne la perception publique, dicte les opinions, voire inspire des réactions émotionnelles loin de la vérité. Comment, comme le préconisaient les sages, s'éloigner aujourd'hui de ces images de Paul Biya et Balthasar, adorées pour l'un, rejetées ou craintes pour l'autre, qui dominent aujourd'hui l’imaginaire collectif si on veut se rapprocher de Dieu?