Président du Syndicat national autonome d’enseignants du secondaire, il fait le diagnostic des problèmes rencontrés par les enseignants au Cameroun et propose quelques pistes de sortie.
Le 5 octobre, la communauté nationale et internationale célèbre la Journée mondiale de l'enseignant. Dans quel contexte cette édition s’est-elle célébrée au Cameroun ?
Dans notre pays, cette célébration se situe dans le contexte d’une crise aiguë de l’éducation. Une crise qui a cependant pris ces dernières années une coloration particulière en raison du nombre élevé de facteurs spécifiques aggravants que sont dans l’extrême septentrion national, les exactions de la secte terroriste Boko Haram, dans la région de l’Est les conséquences de la présence importante et durable de réfugiés centrafricains combinée à l’exploitation anarchique de l’or à laquelle l’on a abandonné avec une incurie incroyable des pans entiers de la jeunesse locale, et dans les régions anglophones les terribles effets, en terme de déscolarisation massive, durable et difficilement réversible, du choix de la solution armée par les protagonistes pour régler un dissensus politique.
Ces facteurs s’agrègent ainsi aux inégalités anciennes frappant les zones rurales pauvres en infrastructures de toutes natures (routes, salles de classe, réseaux d’électricité et internet, hôpitaux, logements...), en équipements de base (tables-bancs, bibliothèques publiques et scolaires, laboratoires, terminaux de réception numériques...). Ces inégalités touchent de même des pans entiers de nos grandes villes frappés de grande pauvreté où l’on voit les taux d’échecs aux concours d’entrée en sixième passer au-dessus de 75% comme à Douala, Yaoundé, et sans doute également à Garoua, Limbé et Bafoussam. Aussi n’est-on plus étonné (on s’habitue malheureusement à toutes les catastrophes et c’est bien dommage !) de voir le nombre d’enfants et d’adolescents qui vadrouillent dans les rues de nos villes en
période et aux heures de classe.
Quelle est la situation actuelle de l'enseignant au Cameroun ?
Elle est pire que ce qu’elle était il y a quelques décennies. Il est recruté dans le corps sur une mauvaise base (les concours s’achètent depuis des années et une détestable inflation s’est même emparé de ce marché mafieux où les enchères flirtent désormais avec les cinq millions de nos francs), il est formé avec une approximation choquante (après plus d’une décennie d’implémentation de l’Apc, les produits des écoles normales arrivent toujours sur le terrain démunis sur ce plan), sa carrière est gérée avec une absence de rigueur qui est un véritable pied de nez au président de la République (lui donc la rigueur est l’un des deux fondements de sa conception de la citoyenneté). De rustine en rustine, l’enseignant camerounais tire plus que jamais le diable par la queue. En plus, le peu qu’on lui doit, il doit se battre pour qu’on le lui donne, ce qui est véritablement un comble. Mais au Cameroun, le comble n’est jamais tout à fait le comble.
Les campus scolaires sont devenus des pièges mortels pour tout enseignant qui vou-drait y faire sérieusement son travail : les élèves, de plus en plus organisés en gangs, y font régner leur loi, qui est celle de la terreur. Et vous croyez qu’on en a fini ? Loin de là : le sentiment même de l’inutilité de son travail est une autre dimension du calvaire de l’enseignant aujourd’hui. Qu’il enseigne mal ou bien, qu’il enseigne tout simplement ou qu’il ne le fasse même pas, soit qu’il soit en grève ou qu’il filoute, cela n’altère que très marginalement les résultats aux examens officiels. Il n’est plus qu’une caution
pour un système qui usine et distribue les parchemins, en se fondant sur des critères parfois forts éloignés de la pédagogie comme celui de l’équilibre régional.