Actualités of Friday, 16 December 2016

Source: cameroon-info.net

L’universitaire Joël Meyolo répond à Marafa Hamidou

Marafa Hamidou Yaya, l’ex ministre d’Etat Marafa Hamidou Yaya, l’ex ministre d’Etat

Si l’ancien ponte du régime Biya pense que les anglophones éprouvent à raison le sentiment d’être marginalisés, il est cependant contre le retour au fédéralisme. Marafa Hamidou Yaya propose plutôt le retour à une République unie du Cameroun qui a vu le jour après la signature du pacte d’unification en 1972.

Cette proposition de Marafa a fait sortir de ses gonds le Docteur Joel Meyolo, professeur d’Université en histoire. Ce dernier estime que le retour à une République unie du Cameroun n’est pas une solution appropriée aux revendications anglophones.

«Je m'étais interdit de parler des prisonniers. Seulement, lorsqu'ils sortent de leur univers carcéral pour prétendre s'ériger en donneurs de leçon ou en dépositaires de savoirs particuliers, mon devoir vis-à-vis de l'histoire et de mon temps est de réagir.

En tant qu’historien, Monsieur Marafa, je tiens à vous rappeler que l'acte d'unification consécutif au référendum du 20 mai 1972 ne saurait être une référence si vous vous situez dans la perspective de la résolution du problème anglophone. Au contraire, il en constitue le socle. Demander le retour vers la "République unie du Cameroun" tel que vous le suggérez est par conséquent une privation de plus», estime Joel Mayolo, qui va ensuite démontrer, selon son analyse, que l’ex-membre du Gouvernement demande une chose et son contraire.

«Vous voulez le retour à un État unitaire, mais avec deux étoiles sur le drapeau. Que représentent ces deux étoiles du moment où vous êtes farouchement opposé au fédéralisme ? Deux cultures me diriez-vous ! Si vous convoquez un État unitaire, il va de soi que dans notre contexte qu'il est biculturel. D'où la nécessité qu'il y a à mon sens de dynamiser la décentralisation que vous ayez participé à endormir. Cher Monsieur Marafa, la résolution de la question anglophone ne passe pas par la démagogie qui veut qu'on s'attarde sur des problèmes périphériques tel que vous le faites, mais de regarder en face notre histoire et parvenir à créer une identité narrative acceptée de tous», a conclu l’Universitaire.



Le point de vue de Marafa Hamidou Yaya sur le problème anglophone

Camerounaises, Camerounais, chers compatriotes anglophones et francophones,

Ces dernières semaines, le profond malaise des Camerounais anglophones a tourné à la colère lorsque des avocats et des professeurs ont investi les rues de Bamenda et de Buea pour réclamer un plus grand respect du bilinguisme de notre pays au sein de ses systèmes judiciaires et éducatifs. Depuis quelques jours, cette colère se mue malheureusement en violence : dans ces mêmes rues, de jeunes partisans de l'indépendance des provinces anglophones affrontent désormais les forces de l'ordre. Le sang coule, des hommes meurent. Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi, aujourd'hui, des Camerounais affrontent-ils d'autres Camerounais? Pourquoi cette effusion de violence fratricide ?

Lorsque, par le référendum du 20 mai 1972, le peuple camerounais a choisi de mettre fin au fédéralisme pour donner naissance à une «République unie du Cameroun», l'ambition de tous, anglophones et francophones réunis, était, me semble-t-il, de préparer l'avènement d'un Camerounais nouveau, biculturel, héritier à parts égales des «leçons» retenues des deux régences et susceptibles de tirer le meilleur de ces deux héritages. Les événements actuels prouvent suffisamment que ce projet a échoué. Deux identités camerounaises distinctes coexistent aujourd'hui, et les anglophones éprouvent à raison le sentiment d'être marginalisés, d'être des citoyens d'un rang inférieur à celui des francophones.

Le bilinguisme inscrit dans notre Constitution étant appliqué de façon profondément inégalitaire dans l'administration, la justice et l'enseignement, ils ne jouissent pas de l'égalité des chances qui devrait être accordée à tous les citoyens d'un État moderne et démocratique. Cette inégalité frappe également leurs conditions de vie : ils souffrent, plus encore que leurs compatriotes francophones, du chômage et du déficit en infrastructures. Et les anglophones n'ont aucun recours, aucun relais pour dénoncer ces discriminations, puisque, enfin, leur communauté est largement tenue à l'écart des postes clés de l'État et de l'administration, y compris au sein de leurs propres régions.

Les Camerounais anglophones, qui ont aujourd'hui le sentiment que leur destin leur échappe, dénoncent à raison la trahison de l'esprit du pacte d'unification établi en 1972 entre les représentants des deux communautés. Du non-respect de ce pacte, la responsabilité incombe d'abord aux francophones, et ces derniers doivent reconnaître leurs torts. En plus, de «République unie», notre pays est devenu simple «République» par le changement de la loi par une majorité simple, un glissement sémantique annonçant l'oubli progressif de l'identité biculturelle du Cameroun par un pouvoir monoculture! Et centralisateur.

Les dirigeants francophones n'ont pas rempli les engagements qu'ils avaient pris en 1972 vis-à-vis de leurs compatriotes anglophones. Mais les leaders anglophones qui avaient pris part à ce pacte d'unification ont eux aussi manqué à leurs devoirs : cette dérive du pouvoir francophone, ils n'ont pas su - ou pas voulu, trop satisfaits de leurs privilèges personnels- la dénoncer.

La nouvelle génération de Camerounais anglophones, qui souffrent des effets conjugués de cette trahison et de ce renoncement, doivent-ils pour autant tourner le dos à leur identité camerounaise, à notre histoire commune ? Sans même parler du caractère illusoire et suicidaire d'une indépendance du Cameroun anglophone, le retour au fédéralisme, que réclament aujourd'hui bon nombre d'anglophones, n'est pas une solution à leurs difficultés.

Revenir aujourd'hui à deux États fédérés, l'un anglophone et l'autre francophone, consacrerait définitivement l'échec du pacte de 1972, et ne ferait qu'accentuer le caractère marginal, sur le plan économique comme géographique, des régions anglophones. Il faut au contraire donner enfin vie au pacte de 1972, bâtir enfin une République unie du Cameroun.

Car le bilinguisme, héritage de notre histoire, est aujourd'hui une chance pour notre pays. Seul pays bilingue franco-anglais au monde avec le Canada, un modèle pour le moins inspirant, le Cameroun pourrait, en instaurant un bilinguisme égalitaire, s'insérer plus efficacement dans les pratiques et les codes d'un monde globalisé.

Pour y parvenir, il ne faut donc pas ressusciter le fantôme du fédéralisme, mais bien plutôt faire le choix de la modernité et du progrès, celui de la diversité dans l'unité, en engageant enfin la décentralisation du pays. Les représentants des deux communautés doivent s'asseoir autour d'une table et rédiger un nouveau code du vivre ensemble sur la base de l'expérience passée et des lois de décentralisation de 2004, qui sont malheureusement restées pour l'essentiel lettre morte à ce jour. Cette concertation renforcée sera propice au développement des infrastructures du Cameroun anglophone, et pourrait, par exemple, aboutir à la construction d'un nouvel aéroport international, ou à la construction d'une université jumelée avec une institution prestigieuse internationale offrant des formations spécifiques et de pointe (pilote, high-tech…) et inexistantes dans la zone francophone.

Je propose aujourd'hui qu'un Conseil National de l'Unification soit créé au plus haut niveau de l'État : il se réunira tous les 6 mois pour évaluer la mise en œuvre de ce code dont la finalité sera l'avènement du Camerounais nouveau, riche de sa culture double.

Pour marquer symboliquement, mais puissamment la rupture avec la politique centralisatrice que mène le gouvernement depuis plus de 30 ans, je propose également que notre pays retrouve son appellation de« République unie du Cameroun »ainsi que le drapeau arborant deux étoiles jaunes sur la bande verte, au lieu d'une étoile jaune sur la bande rouge comme c'est actuellement le cas. Le retour à l'esprit de 1972 est la meilleure garantie d'un avenir harmonieux et prospère pour tous les Camerounais.

Yaoundé, le 12 décembre 2016

Marafa Hamidou Yaya