Dans une lettre publiée par le journal Le Monde, des associations, des avocats, des militants des droits de l'homme dénoncent cette coupure. Depuis deux mois et demi, les deux régions de l'ouest à majorité anglophone n'ont plus de réseau. Beaucoup trop long, selon les signataires d'une lettre. Ils demandent à celui ou celle qui sera élu président de prendre position sur cette question.
L'accès à internet fait désormais partie des droits de l'homme et le nouveau président français devra le défendre. Voilà le message des signataires de la lettre aux candidats à la présidentielle française.
Abdelkrim Yacoub Koundougoumi, un activiste tchadien, s'inquiète de voir les coupures se répéter de plus en plus souvent. « Cette situation existait déjà au Congo, Togo, au Gabon, au Tchad, et au maintenant au Cameroun. C’est la même méthode de ces dirigeants qui essaient de couper internet pour couper net toute volonté du peuple et de la jeunesse de revendiquer leurs droits. »
L'écrivain djiboutien Abdourahman Waberi doute que cette lettre permette vraiment de mobiliser les responsables politiques français, par contre il espère des conséquences du côté du groupe Orange, l'un des opérateurs de téléphonie du Cameroun.
« Aucune entreprise n’est indifférente à son image. Orange est en ce moment dans une grosse opération de séduction vis-à-vis des Africains en général, c’est un marché important. »
L'ONG Internet sans frontières, qui est à l'origine de cette lettre, a d'ailleurs pris contact avec Orange. L'entreprise française l’a informé qu'elle répondait à la loi camerounaise.
Voici la lettre ouverte aux candidats à la présidentielle française sur la coupure d'internet dans les régions anglophones
Mesdames, Messieurs les candidats à l’élection présidentielle française,
Nous vous écrivons afin de solliciter de votre part une prise de position claire sur une situation préoccupante dans un pays ami et allié de la France. Depuis le 17 janvier 2017, deux régions du Cameroun, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, sont totalement privées d’Internet : l’accès à la bande passante internationale y est coupé.
Après avoir longtemps refusé de s’exprimer sur le sujet, le gouvernement du Cameroun a admis avoir ordonné aux fournisseurs d’accès Internet, dont Orange Cameroun, filiale d’Orange, de procéder à la suspension du service Internet, mobile et filaire, dans ces deux régions, arguant de la nécessité de préserver la sécurité nationale. Le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun, majoritairement peuplés de populations anglophones, sont agités depuis novembre 2016 par des manifestations, parfois réprimées dans la violence.
Accoutumance africaine aux coupures d’Internet
Les signataires de cette lettre sont mobilisés contre les coupures, partielles ou totales, du réseau Internet, ordonnées par les gouvernements dans des contextes politiques tendus.
Nous observons en effet depuis 2015 une augmentation inquiétante du nombre de coupures Internet, utilisées par les gouvernements pour museler les peuples, particulièrement en Afrique dite francophone : en 2016, la République du Congo, la République démocratique du Congo, le Gabon, le Tchad, le Mali ont suspendu l’accès à Internet, ou bloqué les réseaux sociaux.
Dans une résolution adoptée à l’unanimité le 1er juillet 2016, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a fermement condamné ces perturbations volontaires du réseau Internet, en ce qu’elles violent les droits humains protégés internationalement.
La coupure Internet dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun constitue une violation par le gouvernement du droit International sur la liberté d’expression, la liberté d’association, le droit à l’information et la liberté de la presse. Depuis la coupure Internet, les autorités camerounaises ont multiplié les arrestations, notamment d’avocats et de journalistes.
La coupure Internet imposée aux régions anglophones du Cameroun est en outre une violation grave des libertés économiques. Sans Internet, de nombreuses start-up de la « Silicon Mountain » ne peuvent plus fonctionner dans la ville de Buéa, les banques et les services de transfert d’argent sont au ralenti. En soixante jours, cette coupure a déjà coûté 2,69 millions d’euros à l’économie camerounaise, selon des estimations récentes.
La France est très impliquée dans le rayonnement international des compétences, talents et produits de l’écosystème numérique français, notamment en Afrique, avec la création de ponts entre innovateurs du continent et innovateurs français. Il est évident que l’instabilité du réseau, à cause des coupures d’accès à Internet, dont le nombre ne cesse d’augmenter sur le continent africain, constitue un obstacle sérieux à ce projet.
Malheureusement silencieuse
Contactée par nos soins, Orange Cameroun, filiale du groupe Orange, dont l’Etat français est actionnaire, nous a informés qu’elle obéit à la loi camerounaise. Mais le fournisseur d’accès à Internet ne donne aucune précision sur la procédure interne permettant de s’assurer de la légalité de la demande du gouvernement, conformément aux exigences des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
La France est également engagée dans la protection et la promotion de la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de réunion et d’association sur Internet comme dans le monde réel.
Mais la classe politique française est malheureusement restée silencieuse, malgré les liens qui unissent la France et le Cameroun, et en dépit du caractère inédit de cette coupure Internet, dans sa durée et son ampleur.
En tant que candidat à l’élection présidentielle française, quelle est votre position sur la coupure Internet qui est imposée depuis plus de deux mois aux régions anglophones du Cameroun ?
Que peut faire la diplomatie française pour prévenir et empêcher les atteintes à la liberté d’expression, d’association, à la liberté de la presse et au droit à l’information sur Internet ?
Vous engagez-vous à mettre en priorité la protection des droits humains, et en particulier l’expression de ceux-ci dans l’espace cybernétique, dans vos rapports avec les pays amis et alliés en Afrique ?
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Mesdames, Messieurs les candidats, l’expression de notre haute considération.
LISTE DES PREMIERS SIGNATAIRES : Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, militant tchadien, réfugié politique en France ; Abdourahman Waberi, écrivain ; Achille Mbembe, philosophe, écrivain ; Aïssa Maïga, actrice ; Etienne Fiatte, directeur général CFI, agence française de coopération médias ; Me Julie Owono, avocate ; Makaila Nguébla, journaliste ; Philippe Couve, journaliste ; Sinatou Saka, journaliste ; Stéphanie Hartmann, journaliste ; Théophile Kouamouo, journaliste ; Trésor Kibangula, journaliste ; Me William Bourdon, avocat, president de la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF).
ORGANISATIONS SIGNATAIRES : Access Now ; African Freedom of Expression Exchange (AFEX) ; Africtivistes ; Bibliothèque sans frontières ; Internet sans frontières ; Digital Rights Watch - Australia ; Media Foundation for West Africa (MFWA) ; Pan African Human Rights Defenders ; Paradigm Initiative Nigeria ; Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) ; Projet pour une alternance crédible au Tchad (PACT) ; Tournons la Page ; Turkey blocks.