Pour notre chroniqueur, la contestation dans les régions d’expression anglaise révèle la faillite du « projet Cameroun » depuis l’indépendance du pays.
Le président camerounais, Paul Biya, à l’assemblée générale des Nations unies, le 22 septembre 2016, à New York.
Mercredi 2 août 2017, l’ONG International Crisis Group (ICG) publiait un excellent rapport sur la « crise anglophone », intitulé « Cameroun : la crise anglophone à la croisée des chemins ». Seul le titre de cette étude est critiquable, tant il ressort après sa lecture que c’est le Cameroun, et non « la crise anglophone », qui est « à la croisée des chemins ».
En effet, le mouvement social commencé en octobre 2016 dans les régions dites « anglophones » du pays a depuis pris le visage d’un mouvement séparatiste déterminé. C’est le destin du Cameroun qui est aujourd’hui en jeu.
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D’une manière ou d’une autre, certes à des degrés divers, nous sommes tous responsables de ce désastre. Le gouvernement du président Biya, qui avait toutes les cartes en main pour apaiser les tensions, a opté pour la politique du pire. Dans leur majorité, les Camerounais francophones ont été indifférents à la détresse de leurs compatriotes. Le clergé local, qui aurait pu contribuer à retisser les fils du dialogue, a manqué de cohésion. Les leaders de la contestation anglophone sont quant à eux progressivement tombés dans le piège de la marginalisation tendu par le pouvoir camerounais.
« Un peuple » ou « des peuples » ?
Aujourd’hui, le sentiment qui domine est celui d’une terrible impasse. Désormais dépourvu de toute légitimité et enfermé dans une logique de confrontation, le gouvernement camerounais est impuissant. Le clergé, tout comme une grande partie des élites anglophones, est discrédité. Et une partie des leaders de la contestation, ainsi qu’une frange importante des Camerounais d’expression anglaise, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, sont radicalisés.
L’impression d’une impasse est d’autant plus vive que les raisons profondes de la « crise anglophone » n’ont pas été suffisamment analysées. Dès lors, si elles étaient mises en œuvre, les pistes de solutions qui sont le plus souvent avancées (dialogue, gestes d’apaisement, remaniement du gouvernement, etc.) ramèneraient peut-être le calme et un semblant de sérénité, mais le mal demeurerait.
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En réalité, la « crise anglophone » est le révélateur le plus probant de la faillite du « projet Cameroun ». Cette faillite puise dans l’histoire du pays. Au-delà de la libération du Cameroun, l’un des enjeux politiques de la guerre d’indépendance des années 1950 était la construction d’une nation camerounaise.
Les auteurs du livre Kamerun : une guerre cachée aux origines de la Françafrique (Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa) rappellent ainsi qu’à la création de l’Union des populations du Cameroun (UPC), le parti nationaliste camerounais, en 1948, un des débats de fond portait sur l’appellation de cette formation : « Les fondateurs ont refusé l’appellation Union des peuples du Cameroun de peur que la pluralité des peuples ainsi actée contredise l’idée d’une nation camerounaise. A l’opposé, ils ont rejeté l’appellation […] d’Union du peuple camerounais, qui supposerait une nation déjà unifiée. »
La défaite de l’UPC n’a pas empêché l’accession, au moins théorique, du Cameroun à l’indépendance, mais elle a mis un terme au projet de construction d’une nation camerounaise. Le pays ne s’en est jamais remis.
Une construction artificielle
Encore aujourd’hui, au-delà de leur carte d’identité, de leur passeport, d’une Constitution à la légitimité douteuse ou d’un drapeau qui est d’abord l’instrument de toutes les propagandes, rien n’unit de façon indéfectible, par-delà leurs identités particulières, « les peuples » du Cameroun. Au-delà de la propagande d’Etat et des aveuglements volontaires, le pays est davantage un édifice juridique, une construction artificielle, qu’un projet politique et humain.
De ce point de vue, s’il faut reconnaître la spécificité du « problème anglophone », il faut aussi voir qu’il est une manifestation de la corruption du « projet Cameroun ». Par conséquent, s’il existe une solution durable à ce « problème anglophone », et plus largement au mal camerounais, elle commence par la reconnaissance de cette corruption. Il faut aller à la racine du mal et redéfinir le « projet Cameroun » : qu’est-ce qu’être camerounais ? Le Cameroun est-il la somme de ses particularismes, une synthèse de ses particularismes ou un dépassement de ses particularismes ?
Dans ses recommandations pour « sortir de la crise », le rapport d’ICG préconise une « réponse internationale plus ferme ». La pression internationale a déjà permis d’obtenir des avancées dans cette crise (entre autres, le rétablissement d’Internet en zone anglophone). Elle pourrait permettre d’autres améliorations, d’autant que l’implosion du pays aurait des conséquences désastreuses pour l’Afrique centrale.
Mais la résolution du problème de fond est entre les seules mains des citoyens camerounais. Plutôt que d’attendre d’hypothétiques interventions extérieures, n’est-il pas temps pour la société civile camerounaise de prendre ses responsabilités ? Des ponts doivent être créés entre organisations citoyennes des régions « francophones » et « anglophones ». Le débat sur la nature du « projet Cameroun » doit avoir lieu. Il devrait associer des historiens, des politologues, des autorités morales et tous les citoyens de bonne volonté, réunis pour penser les termes d’un Cameroun qui, parce qu’il ne reconnaîtrait que des Camerounais, donnerait toute sa place à chaque citoyen camerounais. Sans un effort de cette nature, le prochain rapport d’ICG pourrait bien constater la mort du Cameroun.
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