Actualités of Thursday, 9 December 2021

Source: www.bbc.com

La grande mosquée de Saint-Louis : ce débat qui se poursuit sur la cloche qui aurait appelé les musulmans à prier

La ville est, depuis les années 2000, un site du patrimoine mondial de l'UNESCO La ville est, depuis les années 2000, un site du patrimoine mondial de l'UNESCO

Saint Louis, ou Ndar pour les populations locales, est une ville tricentenaire située au nord du Sénégal et témoin de la rencontre de l'Occident et l'Afrique.

Dans l'ancienne capitale de l'Afrique occidentale française, les vieilles bâtisses de l'époque coloniale côtoient les modernes.

La ville est, depuis les années 2000, un site du patrimoine mondial de l'UNESCO.

Dans cette ville située au nord-ouest du Sénégal, l'héritage de ce passé colonial reste encore visible et vivant dans la ville, surtout sur la grande île. C'est d'ailleurs dans cette partie de la ville que l'on retrouve la grande mosquée de Saint-Louis.

Dans la pointe nord de la ville, elle se dresse cette mosquée atypique. En effet, elle date de l'époque coloniale, attire les touristes qui veulent voir de visu si ce que raconte la légende est vrai : jadis, une cloche carillonnait pour appeler les musulmans à la prière.

La mosquée est remarquable par ses deux tours carrées qui surplombent le toit. Le minaret gauche de cette mosquée est pourvu d'une cloche et d'un cadrant d'horloge. Si la cloche n'est aujourd'hui plus fonctionnelle, elle continue d'attirer des touristes.

L'origine de la cloche

Derrière cette cloche encore visible, aujourd'hui, se cache un pan de l'histoire de cette ville tricentenaire.

Saint Louis est une de plus ancienne ville coloniale du Sénégal. L'installation des Européens dans cette partie du Sénégal a donné lieu à un métissage entre les colonisateurs, qu'ils soient civils ou militaires avec les populations locales. Il s'est créé une société créole, un métissage tout particulier. Les populations voisines qui sont venues s'installer pour les besoins du commerce de toute nature étaient des musulmans.

La communauté créole, issue du métissage des descendants colons et des populations noires, étaient pour sa part de confession catholique.

Les populations musulmanes souhaitaient construire une mosquée où ils pourront effectuer leur prière en groupe.

Selon les historiens de la ville que la BBC a contactée, la communauté créole considérait comme une nuisance sonore l'appel à la prière que les muezzins allaient y lancer de cette mosquée.

Cette communauté s'oppose donc au projet d'édification d'une mosquée pour les musulmans bien que les musulmans soient majoritaires. En 1837, on dénombrait 10651 musulmans et 1 025 catholiques, renseigne Abdoul Hadir Aïdara dans son livre, Saint-Louis du Sénégal, d'hier à aujourd'hui.

Selon Abdoul Hadir Aïdara, ancien directeur du centre de recherche et de la documentation de Saint-Louis, la cloche carillonnait pour annoncer les heures de prières.

''Cette population (créole), bien sûr avec l'appui de l'administration, a refusé que dans l'île, il soit construit une mosquée qui va déranger leur manière de vivre et leur sommeil, etc. Ça a été donc une longue bataille pour la communauté musulmane, d'asseoir un lieu de culte digne de ce nom puisque l'église est déjà construite'', déclare Abdoul Hadir Aïdara à la BBC.

Après plusieurs tractations, la communauté créole accepte la construction de la mosquée sous deux conditions : édifier la mosquée loin des habitations, mais aussi que l'appel à la prière soit effectué avec une cloche et non par un muezzin comme le veut la tradition musulmane.

''En fin de compte, l'autorisation de construire une mosquée a été délivrée en 1837'', déclare M. Aïdara. L'emplacement de la mosquée est donc choisi loin des habitations, dans les bas-fonds du nord, une zone quasiment marécageuse et inhabitée à l'époque.

A la fin des travaux de la mosquée, le son de la cloche remplace comme convenu la voix des muezzins qui devait lancer l'appel à la prière.

Selon M. Aïdara, la cloche a continué à carillonner pour appeler à la prière, jusqu'en 1855. Les puissances coloniales ont par la suite toléré les appels à la prière du muezzin.

La tradition orale de la ville voudrait que l'emplacement de la mosquée soit désigné par El Hadj Omar Tall, grand guide de la confrérie musulmane des tidianes et farouche opposant à la présence française.

Sur invitations des oulémas, docteurs de la loi et interprètes du Coran, il aurait choisi le site en 1925, et montré la direction de Kaaba.

Une version battue en brèche par les historiens. Ils situent le passage d'El Hadj Omar à Saint-Louis en 1855, soit 17 ans après le choix de l'emplacement de la mosquée.

Une version qui ne fait pas l'unanimité

Néanmoins, cette version de l'histoire de la grande mosquée de Saint-Louis ne fait pas l'unanimité.

Le philosophe sénégalais, Souleymane Bachir Diagne raconte dans son livre, Le fagot de ma mémoire, retraçant son parcours, ''je n'accorde donc pas de crédit à cette explication servie par des guides touristiques lorsqu'ils font visiter l'île en calèche, mais je suis convaincu, en revanche, quand ils présentent cette cloche nichée dans un minaret comme un symbole de Saint-Louis.''

Pour lui, Saint-Louis, la ville où il avait passé une partie de son enfance, ne saurait déroger à cette orthodoxie musulmane.

Les propos de M. Diagne rejoignent ceux de l'imam Moussa Kébé de la grande mosquée.

Il s'inscrit en faux contre les historiens qui affirment que la cloche appelait à la prière musulmane.

''Ce sont les colons qui ont imposé leurs architectes. Ces derniers ont construit la mosquée à l'image des églises dont ils étaient familiers", explique l'imam Kébé à BBC Afrique.

Pour appuyer son argument, il donne pour preuve la ressemblance de la cathédrale de Saint-Louis, construite à l'époque par le pouvoir colonial pour la communauté catholique de l'île et la grande mosquée de Saint-Louis.

''C'est ce qui explique les deux minarets carrés'', appuie-t-il.

Selon lui, la cloche, reliée à l'horloge, carillonnait à toutes les heures tout ''comme le Big Ben qui se trouve en Angleterre, mais on lançait bel et bien l'appel à la prière.''

''A l'époque, il n'y avait pas de sonorisation. La mosquée ne pouvait donc pas être source de nuisance sonore'', renchérit l'imam Moussa Kébé.

Selon lui, il tient cette version des membres de sa familles qui ont toujours fait partie des notables de la grande mosquée depuis des générations.

Un patrimoine en constante rénovation

Les travaux de construction de la mosquée commencent en 1838, selon Cheikhou Diouf dans son livre ''Saint-Louis, une métropole islamique, le patrimoine culturel et architectural.''

L'édifice d'origine est une construction qui présente une colonnade aux arcs brisés au niveau de la façade principale, côté sud.

Depuis la fin des travaux en 1847, la mosquée a subi plusieurs travaux.

Elle a subi une extension sous le président Abdou Diouf puis a été réfectionné durant le magistère d'Abdoulaye Wade.

Aujourd'hui, la grande mosquée de Saint-Louis connaît encore des travaux d'extension qui selon l'imam Kébé, vont modifier un peu le style de la mosquée.

Ces travaux agacent ceux qui comme Abdoul Hadir Aïdara sont en faveur de la préservation du patrimoine architectural de Saint-Louis.

S'il reconnaît que certains éléments peuvent être modifiés. Pour lui, l'essentiel est de préserver l'aspect initial.