Une large partie de l’opinion est choquée parce que, selon elle, Paul Biya, le Chef de l’État, a cédé à une injonction, voire un chantage de son homologue français, François Hollande. Une attitude qui laisse croire que le Cameroun, plus de 50 ans après son indépendance, demeure sous l’influence de l’hexagone.
C’est une mauvaise lecture de l’épilogue de l’affaire Lydienne Yen Eyoum, selon le journaliste émérite Raoul Dieudonné Lebogo Ndongo. Notre confrère en service au quotidien gouvernemental Cameroon Tribune a publié sur la toile, un texte pour prendre la défense de Paul Biya.
Plaidoyer de Raoul Dieudonné Lebogo Ndongo
Paul Biya, la grâce et la Classe
Depuis que, par un décret, le Président Biya a accordé la grâce à l’avocate Yen Eyoum, on voit fleurir des déclarations ou des prises de position, au Cameroun et ailleurs, tendant à accréditer la thèse, selon laquelle le Chef de l’État a cédé à la pression de son homologue français François Hollande. Il est peut-être bon de replacer l’épilogue de cette affaire dans son véritable contexte avant de se risquer à des conclusions.
L’affaire, c’est quoi ?
L’accusation et l’accusée s’accordent sur la mission, sur les résultats de la mission, mais pas sur la façon de gérer l’argent récupéré, fruit de la mission.
Le procès Yen Eyoum aura donc été celui de l’utilisation de l’argent récupéré par cette avocate dans le cadre de la mission que l’État du Cameroun lui avait confiée.
Et le procès alors ?
C’est celui de cet écart d’avec la norme ; prendre la liberté de garder l’argent de l’État ailleurs que là où il devrait être. L’orthodoxie a été violée. Peu importe que cela l’ait été sur instruction d’une « personne investie de l’autorité ». Quand on est juriste, on ne peut pas expliquer sa faute en prétendant que l’on appliquait une instruction en rupture avec la légalité. L’argent de l’Etat, c’est dans les caisses de l’État qu’on le garde et pas ailleurs ; quant aux prestations, elles sont payées sur présentation de la facture et non par prélèvement sur les sommes recouvrées.
Et l’intervention de François Hollande ?
C’était un cocktail de droit et de politique. Avec plus de politique que de droit du reste. Dans l’esprit, cette intervention venait réveiller le sentiment que le fort essayait de tordre la main au faible. Ce sentiment était d’autant mal vécu au Cameroun que la culpabilité de la personne pour laquelle se faisait l’intervention était clairement établie.
Et la réponse de Paul Biya alors ?
C’était aussi un cocktail de droit et de politique. Avec beaucoup de droit sous la forme d’un cours de Finance publique, matière dans laquelle Hollande a de claires connaissances et une pratique de haut niveau. On note, au passage, la quasi-absence de réactions dans le camp d’en face après ce cours magistralement et publiquement asséné, en conférence de presse conjointe, comme pour prendre à témoin les opinions publiques camerounaise, mais surtout française, sur les faits.
Il y avait aussi une bonne petite dose de politique, finement distillée par Paul Biya : la possibilité d’une grâce, à la demande de la condamnée.
Et le dénouement donc ?
Essayons de répondre à la question : Paul Biya a-t-il capitulé ? Dans les Relations internationales, trois paramètres peuvent être pris en compte, parmi tant d’autres, pour apprécier une situation comme l’épilogue de l’affaire Yen Eyoum : le temps de la « réponse », la forme de celle-ci et les intérêts/enjeux.
Pour ce qui est du temps, on a connu des situations où le demandeur avait à peine ouvert la bouche qu’il repartait, dans l’avion, avec l’objet de sa demande, comme un trophée remporté de haute lutte. Ici, il s’est bien écoulé un an. Quand on est faible, on n’attend pas un an pour répondre à une injonction de son « patron ». Sur ce point, qui a eu le dessus ? La réponse semble évidente, même pour l’avocat de Yen Eyoum qui s’obstine à parler de « demande très ferme » de François Hollande.
Pour ce qui est de la forme, on peut noter que Paul Biya avait esquissé, ce soir de juillet 2015 là, ce qui lui apparaissait comme la voie à suivre : la grâce à la demande de la condamnée. Après l’expression – compréhensible – des ressentiments, la voie indiquée par Paul Biya a été suivie par la condamnée. La suite et la fin, c’est cette grâce… Ici encore, à chacun de juger de la victoire dans le bras de fer.
Quant aux enjeux, ils nous ramènent au rapport de force entre les États et les hommes qui en assurent la direction. En caricaturant, Hollande voulait montrer qu’il est le patron et que ses désirs sont des ordres ; et Paul Biya voulait montrer qu’il est le seul coq de la basse-cour Cameroun, et que nul autre coq ne vient chanter ici... Y a-t-il matière à discussion sur le résultat ?
La Classe en politique
En juillet 2015, beaucoup avaient de l’affaire une lecture simpliste : Biya devait s’aplatir devant Hollande. En juillet 2016, ils ont dû nuancer leur lecture à l’épreuve de la réalité. Mais, en politique, il faut avoir le triomphe modeste. Il faut être humble dans la victoire. C’est cela, être bon Prince. Le choix de l’instant – le moment où est signé le 3e C2D – participe du souci de ménager l’adversaire, de soigner son égo. Même si, lui, très souvent dans ses méthodes, n’a pas les mêmes précautions.
La politique est un art. Quand elle est pratiquée par de vrais politiciens.