Comme toutes les fonctions publiques des pays africains d'expression française, la fonction publique camerounaise porte en elle le summum de tous les grands maux: laxisme, absentéisme, irresponsabilité, lenteurs administratives et bureaucratiques, ... . On entend dire souvent ; " est-ce le champ de mon père ? ", " pourquoi travailler plus que les autres ? " ou encore " le travail du blanc, ça ne finit jamais " ... alors personne n’a de conscience ni d’éthique professionnelle pour accomplir de façon efficace le service public.
Le mal est profond au Cameroun.
Ici, le spectacle désolant des bureaux désertés par les employés partis régler la dépense quotidienne inquiète. Ailleurs, le chef de services est parti dans son village, animer un meeting du parti au pouvoir, lui-même étant un cadre de ce parti politique. Et on vous dira ’Monsieur, il faut revenir la semaine prochaine, votre dossier est toujours en signature’. A peine si la secrétaire lève les yeux sur vous (vous pourriez quand même patienter que son amie là-bas au bout du fil ait fini de lui raconter les derniers potins qui circulent dans le service!).
Tous les remèdes jusqu’ici expérimentés ont été sans effets durables. Et pourtant, devant cette détérioration des services publics, beaucoup de mesures ont été tentées. D’abord, des Notes de services pour rappeler ou renforcer les sanctions encourues par les employés qui s’absentent sans justification: des campagnes de sensibilisation, l’aménagement du temps, par l’instauration de la journée continue. Las! Il a fallu se rendre à l’évidence que le mal doit être combattu par des mesures plus audacieuses. Commencer à soigner ce mal par la tête car, nous sommes ici dans un pays où le chef de l'Etat est capable de passer six mois de vacances à l'étranger.
La fonction publique camerounaise doit se réveiller et être proactive et productive car l’Etat lui-même a aujourd’hui besoin de performances, d’une culture de la réussite ; il est un agent économique rationnel qui ne doit être mobilisé que sur la base de son intérêt dont on sait que la généralité n’est nullement la source d’intérêts particuliers. Le fonctionnaire doit alors être en possession et cultiver le savoir pourquoi qui est l’appropriation de la bonne raison.
Une fonction publique camerounaise malade
Au Cameroun, les horaires de travail sont difficilement respectés par nos fonctionnaires si bien que la présence devient l’exception et l’absence, la règle. Pour expliquer l’absentéisme dans l’administration camerounaise, une idée assez répandue laissera entendre que le fonctionnaire camerounais est culturellement paresseux et non assidu. Qu’en est-il vraiment ?Il faut dire que si cette idée a l’avantage d’offrir une explication toute prête quant aux causes de l’absentéisme sous nos tropiques, elle ne rend pas compte de la réalité. Non seulement, la paresse n’est pas inhérente aux camerounais, mais l’absentéisme n’est pas l’apanage d’une société ou d’une civilisation donnée. Ces préjugés ne relèvent au final que d’une sorte de déterminisme social et d’essentialisme ethnique et racial. La preuve est que lorsque des Camerounais travaillent avec des organisations internationales, des multinationales ou à l’étranger ils font preuve d’assiduité et de productivité. D’où la nécessité d’aller chercher les causes réelles de l’absentéisme dans le système d'institutions qui incitent à la paresse et démotivent nos agents.
Absence de mécanisme de contrôle et du système d'emploi
Dans le système camerounais, le fonctionnaire y entre pour y rester jusqu’à l’âge de la retraite. De ce fait, l’agent public jouit de la sécurité de l’emploi qui implique la promotion, les avancements et le classement, la sécurité du salaire et l’admission à la retraite. Ce sont là autant de prérogatives dont bénéficie le fonctionnaire contrairement à son homologue du secteur privé. La prise de conscience de cette stabilité crée chez le fonctionnaire des attitudes négatives et l’installe dans une certaine facilité et un certain manque de dynamisme et de rendement.
S’il est vrai que des remèdes ont été tentés ici et là, ceux-ci ont été sans effets durables. Aujourd’hui, tout porte à croire que l’Etat a fui ses responsabilités en feignant de ne rien voir quant à l’absentéisme. Les textes juridiques existants sont inappliqués et bafoués face aux entorses portées à l’éthique professionnelle. L’Etat semble s’être enfermé dans un certain laxisme. Voilà donc la racine du mal. Car ce laisser-aller de la part de l’Etat ne fait qu’empirer la situation.
Et pourtant
Sur quoi repose ou se fonde la force de l’Etat républicain moderne ? Selon Hegel, elle repose, comme un roc indestructible, sur le dévouement, l’engagement civique désintéressés et surtout sur la loyauté des fonctionnaires. Dans les « Principes de la philosophie du droit », Hegel définit, très clairement, l’Etat rationnel moderne comme l’Etat des fonctionnaires. Et l’on peut aussi ajouter que la République, c’est d’abord la chose du fonctionnaire avant d’être celle du peuple tout entier. Un fonctionnaire loyal, sérieux, compétent, intègre, regarde l’Etat républicain comme quelque chose de grand, les affaires publiques l’emportant sur les privées dans son esprit. Ainsi, la liberté du fonctionnaire et l’autorité de l’Etat ne sont donc pas incompatibles.
Créé pour la liberté des individus et la défense de l’intérêt général, l’Etat moderne ou Etat des fonctionnaires ne doit, en aucun cas, se confondre avec la sphère de la société civile. En d’autres termes, personne ne doit chercher à utiliser l’Etat en le dirigeant exclusivement vers la satisfaction de l’intérêt personnel des individus. Sinon, la relation censée être harmonieuse entre l’Etat et ses serviteurs dévoués, ses agents, disparaît, et l’Etat s’affaiblit.
Chez le fonctionnaire, on assiste également à un attiédissement de l’amour du pays, au triomphe de l’avidité, du népotisme, de la corruption, de la passivité, et surtout de la paresse.
Savez-vous que l'Etat Camerounais ignore le nombre de ses agents. Pire, souvent, l'Etat du Cameroun se révèle incapable d’apporter une réponse rationnelle à ces trois questions : qui est agent public ? Comment a-t-il été recruté ? Et pour accomplir quelles tâches publiques ? Pourtant, la définition du fonctionnaire est inscrite dans notre constitution. N’est-ce pas cette situation ubuesque qui explique que l’image du fonctionnaire au Cameroun renvoie facilement à celle d’un individu paumé, déloyal, incompétent, affairiste, et payé à ne rien faire ? Bref, à l’image de citoyens inutiles
Or, il existe, aussi de nombreux fonctionnaires dévoués, compétents, loyaux, courageux, donc exemplaires, et qui n’hésitent pas à se sacrifier quotidiennement pour assurer le bon fonctionnement de l’Etat. De tels agents sont les sources ultimes de la puissance de la relation entre République et allégeance citoyenne. Grâce à eux, nos sociétés cheminent vers la mise en œuvre de citoyennetés pleines et entières. Si le fonctionnaire, c’est avant tout un statut, précisons que, celui-ci doit se comprendre et se vivre comme un ensemble de droits et d’obligations au sein de l’Etat. Ce qui donne une dimension politique cathartique
Au départ comme à l'arrivée un Etat ne peut être bien gouvernée sans la transparence et la Justice. Là où il n’y a pas de justice, il n’y a pas de République. Tous les agents fictifs débusqués, au-delà de leur radiation, devront être déférés devant les juridictions légitimes du pays, pour répondre de leurs forfaits.
N’oublions pas qu’en matière politico-judiciaire, les bonnes pratiques en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires. L’existence d’agents fictifs au sein de nos fonctions publiques est incompatible avec les exigences et les idéaux du régime républicain. Elle pose aussi le problème de la relation du citoyen au pouvoir politique. C’est pourquoi dans cette lutte, la responsabilité de ceux qui exercent le pouvoir politique sur notre pays est crucial. I
Il faut lire cette intrusion d’agents fictifs dans la sphère publique comme une trahison envers l’Etat et qui peut mener à une désobéissance des citoyens les plus honnêtes. Ce phénomène, disons-le, pèse lourdement sur la question du chômage et du sous-emploi des jeunes sur notre continent. Il entraîne également, ici, d’immenses inégalités sociales et économiques, quand il n’exerce pas un effet dépressif à l’échelle continentale, sur le statut des fonctionnaires.
Au Cameroun, les gouvernants refusent de mener des politiques, non pour les vivants, mais pour les morts, en misant sur le népotisme et la désolation morale de leur peuple.