Faï Yengo Francis, Jean-Marcel Dayas Mounoumè, Camille Ekindi, Roger Bella et une douzaine d’autres personnalités interdits de quitter le Cameroun.
Des messages radio-portés de la police ont encore envahi la toile au lendemain de la publication d’une circulaire du Premier ministre appelant à la gestion confidentielle de certains documents et données de l’Etat. Et si la fuite des messages de la police constituait en réalité le nouveau visage de l’opération épervier.
Esquisse d’analyse
Ily a une dizaine de jours, précisément le 28 mars 2018, le Premier ministre rendait publique une circulaire relative à la «gestion des documents et données confidentiels de l’Etat et des organismes du secteur public». Déplorant notamment l’impact négatif sur l’action publique de la divulgation dans les réseaux sociaux et autres médias de masse des informations relatives à la sécurité de l’Etat et aux procédures pendantes dans certaines juridictions, le PM préconisait une batterie de mesures pour endiguer la dérive. Les médias publics et certains journaux pro-gouvernementaux profitaient de l’occasion pour passer à la sensibilisation des citoyens.
Rendue publique au lendemain d’une importante publication sur les réseaux sociaux d’une kyrielle de documents émanant de la police et limitant les mouvements de certaines personnalités, cette instruction semblait destinée à mettre un terme à la mode décriée. La circulaire du PM n’a pas encore été rangée dans les archives que des messages radio-portés du Délégué général à la Sûreté nationale se retrouvent… sur la toile.
Comme il y a trois semaines, lorsque l’information sur la fuite de l’ancien ministre Atangana Kouna faisait encore des vagues, c’est trois documents au contenu très attractif pour les médias qui ont été mis en circulation ce week-end. Dans le premier (ordre quelconque), le patron de la police demande à certains de ses collaborateurs d’empêcher que M. Faï Yengo Francis, M. Dayas Mounoume, respectivement ancien président du Conseil d’administration et ancien Directeur général du Port autonome de Douala (PAD), en plus d’une dizaine de responsables ou prestataires supposés de cette entreprise publique sortent du territoire de la République du Cameroun. Ce message radio-porté s’achève par une mention qui permet de comprendre que les concernés sont au centre des attentions du Tribunal criminel spécial : si l’une des personnes citées est surprise dans une tentative de départ du pays, elle doit être conduite à la division des enquêtes du Corps spécialisé des officiers de police judiciaire du TCS.
Suspects en fuite…
Le second message radio-porté préconise le même type de mesure à l’égard de M. Camille Ekindi, ancien DG du Crédit Foncier du Cameroun. Ce dernier est mis à l’index avec quatre autres personnalités. Un troisième message radio-porté concerne pour sa part une certaine Mme Afouba Ngayihi Marietta Séraphine épouse Mboula, présentée comme exchef de la cellule des normes à la division de l’aviation civile au ministère des Transports. Ce dernier message ne fait pas mention du Corps spécialisé des officiers de police judiciaire du TCS. Les trois documents, ont été filmés dans une délégation régionale de la police si l’on s’en tient au cachet «courrier arrivée» apposé sur deux de ces messages portés, bien que le nom de la Région précise ait été visiblement effacé.
Au-delà de l’affront qui semble être fait au chef du gouvernement par l’auteur de la divulgation des messages portés du Dgsn, leur contenu vient manifestement relancer les rumeurs sur une probable interpellation des responsables du PAD et du Crédit Foncier.
C’est depuis 2014, en effet, que des informations officieuses circulent au sujet de l’ouverture imminente des dossiers judiciaires concernant les principaux responsables de ces entreprises publiques. En proie à une affaire en 2012 et inculpé libre à l’époque devant le TCS, Jean-Marcel Dayas Mounoumè était déjà au centre desdites rumeurs. Finalement condamné le 3 juillet 2015 à 15 ans de prison pour cette première affaire, comme du reste M. Agbor Abel Manguiep, ancien directeur au PAD, ces derniers avaient quitté le pays. Ils n’y ont plus remis les pieds alors que leurs noms apparaissent dans un message porté du Dgsn daté du 4 avril dernier…
Biya à la baguette
Ce week-end, comme il y a trois semaines, certains observateurs imputent la multiplication des messages radio-portés interdisant la sortie du territoire de nombre de personnalités aux changements intervenus au cabinet civil et au secrétariat général de la présidence de la République. Rappelons que le 2 mars 2018, Martin Bélinga Eboutou, qui avait fini par être identifié à la Direction du cabinet civil (DCC), avait été remplacé. Près d’un mois plus tôt, soit le 7 févier 2018, Jean Foumane Akame, nommé membre du Conseil constitutionnel, avait lui-aussi quitté la division des affaires judiciaires du secrétariat général de la PRC où il trône depuis trois décennies.
Ayant été pendant longtemps des personnalités très influentes du dernier cercle des proches du président de la République, M. Bélinga Eboutou et M. Foumane Akame sont suspectés par une certaine opinion d’avoir empêché le déclenchement de certaines affaires judiciaires. Si elle semble crédible en apparence, une telle thèse présente toutefois des fissures : le ministre de la Justice et le secrétaire général de la présidence de la République, qui sont, après le président de la République, parmi les hauts responsables les plus impliqués dans l’impulsion de l’action judiciaire concernant les affaires supposées de détournement des deniers publics sont encore en poste.
Par ailleurs, de nombreuses personnalités ouvertement mises à l’index par des institutions comme le Contrôle supérieur de l’Etat, l’Agence nationale des investigations financières et la Commission nationale anticorruption, semblent toujours échapper à la Justice. Il y en a qui sont membres du gouvernement ou dirigeants d’entreprises publiques. Le cas le plus frappant est celui du DG de Camtel, interdit de sortir du territoire avec certains de ses collaborateurs, qui restent en poste. Ces constats mettent en évidence le poids personnel du chef de l’Etat dans la conduite de l’opération épervier. Dans une posture de super-juge, le président Biya discrimine entre les suspects à faire juger ou à couvrir d’impunité, bien qu’il se fasse conseiller par certains de ses collaborateurs…
Dans un tel contexte, le foisonnement sur la toile des messages radio-portés interdisant la sortie du territoire à nombre des personnalités apparemment exposées à des procédures judiciaires pour des affaires supposées de détournement des deniers publics participe-t-il (ce foisonnement) d’une dérive administrative ? Dans un environnement où la récupération des avoirs de l’Etat illicitement accaparé par certains citoyens semble reléguée au second plan, au détriment de l’emprisonnement spectaculaire et programmé de quelques personnes, il est difficile de répondre par l’affirmative. Le PM pourra toujours prendre des circulaires. Mais, il semble peu probable que le scénario du nouveau visage de la lutte supposée contre le détournement des deniers publics changent.