• Les enseignants ont une liste de revendications non satisfaites
• Cela laisse court à des grèves répétées depuis quelque temps
• L’homme politique Célestin Bedzigui a tout expliqué à Paul Biya
Le président de la République camerounaise Paul Biya n’est-il réellement pas au courant de la situation des enseignants ? Sans doute non. Même si son état de santé ne lui permet plus d’être très actif au sommet de l’Etat, il demande des comptes à ses ministres. C’est justement ces derniers qui lui cachent certains détails clés de l’affaire, si on se fie aux propos de Célestin Bedzigui qui estime qu’il est « temps que le président Paul Biya sache ce qui lui est caché par ses ministres ».
Célestin Bedzigui est l’auteur d’une tribune dans laquelle il défend les enseignants dont les conditions de vie et de travail se sont dangereusement détériorées au fils des années.
Condition de l’enseignant : un Etat mort ou la mort de l’Etat si
Les misères rendues publiques par les enseignants du Secondaire public sur leurs conditions d’emploi sont de nature à remplir de honte tout citoyen de notre pays habité un tant soit peu par le sentiment d’humanité lorsqu’il réalise le martyre subi par ces compatriotes qui sont restés dignes si longtemps.
A l’opposé de ces héros silencieux, on a plutôt vu se plastronner des ministres affichant une fatuité et une autoglorification dont la laideur n’avait d’égale que la profondeur de leur incompétence affichée devant l’opinion publique. Et alors que l’immensité de leurs insuffisances dans l’accomplissement de leur mission aurait dû les amener à battre leur coulpe, ces ministres sont en passe de tirer avantage du style de gestion quasi contemplatif que le président de la République affiche à l’égard de certains membres de son gouvernement quand bien même leur insuffisance est flagrante.
Les voilà prêts à réaliser la duperie intellectuelle du siècle en faisant penser que les mesures annoncées après la révélation du scandale des enseignants du secondaire résolvaient l’intégralité du problème des enseignants. Que nenni !!! Bien au contraire et cela doit être clamé haut et fort: Le problème posé par les enseignants du secondaire et les mesures prescrites par le Chef de l’Etat ne sont que l’arbre qui cache la forêt, une forêt profonde qui est constituée par la condition dégradante d’activité imposée à près de 80% des enseignants du primaire qui sont utilisés en semi- esclavage sous le statut de « maitre des parents », alors qu’ils sont eux aussi diplômés des Ecoles Normales.
On les voit plutôt jetés dans la rue au terme de leur formation, sans statut, passagers clandestins du système éducatif camerounais, ignorés par l’administration qui les emploie alors que celle-là sait bien qu’il y a un déficit de 80% d’instituteurs formés et admis au statut approprié d’instituteur fonctionnaire. Les voilà réduits à se faire recruter comme supplétifs sous-payés par des écoles publiques avec six classes mais ne se voyant affectés que… deux instituteurs au statut approprié. Et pour boucher ce trou béant, cette l’administration se défausse sur l’Association des Parents d’ élèves qui doit se débrouiller à compléter l’effectif des enseignants par ces soi-disant » maîtres de parents » à qui est servi un salaire de misère compris entre 15 000 et 25 000 F… Pire, de temps à autre, cette administration hypocrite leur jette l’os à ronger d’un concours de « contractualisation » de quelques centaines d’entre eux pour 30 à 40 mille candidats… pour entrer dans le tunnel d’une contractualisation de toutes les bizarreries dont l’issue d’autrefois au statut de fonctionnaire est désormais bouché.
Voilà le tableau digne de l’enfer de Dante de ce que vivent les compatriotes entrés par voie de concours dans les Ecoles Normales d’Instituteurs… Il est temps et nécessaire que le Président Biya sache ce qui, je voudrai le croire, lui est caché par ses ministres. Il faut qu’il soit informé que les Instituteurs de notre pays, corps autrefois prestigieux et motivés, eux qui ont la responsabilité de mouler les esprits des enfants jusqu’à l’âge de la raison, sont ravalés à la condition de « maîtres de parents » et exercent leur activité dans des conditions de travail de semi-esclavage. Fait plus prégnant, les besoins en Instituteurs fonctionnaires sont patents et permanents. Alors que les effectifs permettant de combler le déficit d’enseignants sont disponibles, persister à maintenir cette situation de déficit artificiel est une faute politique majeure perpétrée par une administration compradore qui est en passe de faire perdre à l’État sa raison d’être et à celui qui l’incarne sa crédibilité et sa légitimité.
État mort ou mort de l’État: Le tableau de l’horreur
Cet état de fait comporte trois dimensions d’horreur et d’ignominie. La première est de faire reposer la charge de la scolarisation de l’enfant sur les seules épaules de parents généralement démunis comme si ce qu’il sera à l’avenir ne procurera de profit qu’à sa famille. La seconde est que sans statut autre que celui de temporaire avec un salaire de misère, le maître de parent est noyé dans une démotivation qui ne peut qu’impacter négativement sur la qualité de sa prestation.
La troisième est cette discrimination injustifiable avec les diplômés des autres Ecoles Normales des autres niveaux alors même que par le passé, l’Etat mettait un point d’honneur à intégrer au statut de fonctionnaires tous les enseignants diplômés des Ecoles Normales, prenant en considération l’importance que revêt l’Éducation qui est, avec la Santé et la Sécurité, l’une des trois missions fondamentales de l’État. Si malgré le fait qu’elle soit portée à la lumière cette situation n’est pas prise en main, alors l’inconséquence et l’incohérence de l’Etat au Cameroun seront définitivement établies, ce qui sera la marque d’une grave défaillance politique ou d’un échec de leadership impardonnable.
Et pourtant, il existe des solutions.
La stratégie de résolution de la crise en cours des enseignements du secondaire aurait dû être un banc d’essai pour la solution à apporter dans un proche avenir au problème des instituteurs des écoles primaires du public déclassé en « maitres de parents ». Ainsi, sur le plan politique, un signal fort aurait dû être envoyé à l’opinion par une destitution immédiate des responsables dans les ministères concernés, le Chef de département compris. Ces brebis galeuses auraient dû être remplacées à pied levé par de nouvelles équipes dont la mission assignée aurait été de gérer le processus d’assainissement et de régularisation administrative de tous les dossiers en souffrance dans les services incriminés.
Au plan financier et pour éviter que le trésor public ne soit étranglé, la nouvelle équipe se serait attelée, une fois évaluées les sommes dues, au paiement immédiat et à une titrisation d’un solde éventuel à liquider au cours du l’exercice budgétaire en cours. La réaction mitigée aux instructions données par le chef de l’Etat est imputable à l’absence de ce signal politique fort destiné à rassurer les enseignants sur la volonté réelle du gouvernement à changer radicalement de paradigme. Ce faisant, ce ratage envoie plutôt un signal politique négatif de ce que la parole du Chef de l’Etat peut être sans effet sur les événements.
Le risque d’une telle erreur stratégique devra absolument être évitée pour la résolution du problème des Instituteurs. Ce souci commande que la première dimension de la solution au problème des Instituteurs soit la manifestions d’une volonté politique forte en prenant un Décret portant intégration comme « fonctionnaires de la fonction publique locale » de tous des Instituteurs des écoles primaires du secteur public en application de la loi de la Décentralisation. Concrètement, il s’agit de normaliser le statut des diplômés des ENIEG en souffrance en les transférant immédiatement au Communes pour la gestion de leur carrière comme le prévoit l’article 161 de la Loi no 2019/ 024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités territoriales décentralisées.
Cette mesure affichera la volonté politique claire de rétablir au niveau des établissements primaires publics le modèle traditionnel « une classe – un maître » avec le rétablissement du statut « d’instituteur fonctionnaire » pratiqué dans tous les pays organisés. Il s’agira de combler un déficit artificiellement entretenu par les fonctionnaires qui n’aurait pas su rattraper les nuisances occasionnées par les mesures prises pendant l’ajustement structurel dont notamment le gel pendant plus d’une décennie du recrutement des personnels des secteurs de l’éducation et de la santé.
Le deuxième volet de la solution porte sur le financement de l’éducation dans notre pays, elle qui fait partie de l’un des piliers du développement économique et social par la mise en place d’un mécanisme spécifique de mobilisation de ressources et de sécurisation de leur disponibilité. La normalisation de la situation financière des Instituteurs des écoles publiques sera associée à celui des enseignants du secondaire. Parce qu’il revêt un caractère permanent, il requiert donc la mise en place d’un système permanent à travers l’institution d’une taxe contributive généralisée dénommée « Taxe Education » adossée sur la consommation, ce qui impliquera une contribution de tous en fonction du niveau de consommation de chacun. Les ressources ainsi collectées par une agence spécialisée seront redistribuées par une péréquation aux Communes et régions en charge des enseignements primaires et secondaires.
Conçu sur un modèle proche de la TVA, cette taxe fera l’objet d’un prélèvement automatique et ne sera pas soumise au principe de l’unicité de caisse échappant ainsi à la priorisation quelque fois questionnable des dépenses de l’Etat par le ministère des Finances. Il est ici utile de souligner que selon les chiffres du FMI et de la Banque mondiale, le Cameroun affiche un taux d’imposition de 13 % du PIB, soit un gap de 3 points de moins que la moyenne sous- régionale. Plus significatif, comparé à d’autres pays de même profil économique, ce gap est de 8%.
Le pays dispose donc d’une marge de ressources de taxe qui doit pouvoir être exploitée pour financer l’éducation sans grever le Trésor public d’un surcroît d’endettement. Voilà esquissés les contours de la résolution de crise actuelle de la gestion des personnels du secteur de l’Éducation telle que nous l’envisageons au Parti de l’Alliance Libérale. La résolution de cette crise constitue une exigence principielle qui pourrait avoir des conséquences imprévisibles sur la stabilité même de la société et de l’État dans notre pays si elle est mal gérée. Une attention de tout premier ordre se doit d’y être accordée.