« Cameroun : faire face à Boko Haram », c’est le titre du rapport que vient de publier International Crisis Group. La présence du groupe terroriste dans l’Extrême-Nord du Cameroun remonte, selon l’étude, à 2011. Depuis 2 ans et demi, Yaoundé est confronté à Boko Haram et sa réponse militaire a tardé. De même que la réponse régionale, celle de la coalition Niger - Tchad - Cameroun. Pour quelle(s) raison(s) ? Combien de civils tués, de militaires camerounais ? Et pourquoi l’Extrême-Nord du pays était-il vulnérable ? Hans De Marie Heungoup est l’auteur du rapport d’ICG. Il répond aux questions de Jean-Jacques Louarn.
Combien de tués, de déplacés à cause de Boko Haram depuis deux ans et demi dans l’Extrême-Nord du Cameroun ?
Hans De Marie Heungoup : Le conflit entre le groupe jihadiste Boko Haram et le Cameroun a déjà fait 1 400 morts parmi les civils à l’Extrême-Nord du Cameroun et plus de 125 parmi les militaires camerounais. Et bien entendu les civils payent le prix le plus fort comme en témoignent plus de 155 000 personnes déplacées en deux ans et demi.
Dans votre note d’analyse, vous écrivez que la réponse du gouvernement camerounais a été tardive. Pourquoi ?
Le Cameroun, dans un premier temps, a sous-estimé la menace Boko Haram. Mais aussi a souvent pensé que c’était une menace interne au Nigeria. Et en troisième lieu, a eu une politique qui consistait à ne pas se mêler du problème interne au Nigeria, de peur que cela puisse se propager et qu’il y ait des représailles et répercussions de Boko Haram au Cameroun. C’est graduellement, lorsque Boko Haram a multiplié des opérations clandestines à l’Extrême-Nord du Cameroun, et sous la pression aussi de gouvernement nigérian qui indirectement accusait le Cameroun d’être une base arrière de Boko Haram, que le Cameroun a aussi graduellement élaboré une réponse militaire face à Boko Haram.
Et la coopération entre les armées camerounaises, nigériennes et tchadiennes a-t-elle été efficace ?
A mesure que les différents pays se sont rendu compte de la gravité de la menace, ils ont pu mettre de côté leurs différends historiques. Aujourd’hui, on peut dire que cette coopération est plutôt efficace.
Depuis quelques années, des prédicateurs, des sunnites intégristes inspirés par le wahhabisme et le salafisme, prêchent, vendent leurs CD et leurs cassettes sur les marchés et se servent aussi des réseaux sociaux.
Le phénomène a commencé au tournant des années 80-90 et s’est amplifié au tournant des années 2000 et 2010, mais aujourd’hui il est plutôt réduit. Pourquoi ? Parce qu’à la faveur de la lutte contre Boko Haram, des mesures de surveillance des mosquées ont été prises par le gouvernement, mais le phénomène continue de se développer sur les réseaux sociaux à travers WhatsApp et autres moyens et véhicules de transmission de ce type. On a à la fois un islam sunnite intégriste, mais aussi des variantes beaucoup plus radicales, qui une fois de plus ne sont pas la majorité dans l’Extrême-Nord camerounais, mais dont le développement est un signe inquiétant.
Certaines mesures prises par le gouvernement, dites-vous, sont contre-productives, comme l’interdiction du voile intégral, et même seraient de nature à radicaliser une partie de la population y compris les femmes ?
Nous avons pu observer que l’interdiction du voile intégral a suscité moult désapprobations dans les communautés wahhabites ou les communautés proches des courants wahhabites. Mais plus que l’interdiction du voile intégral, c’est l’application quelquefois zélée de cette interdiction et les abus qui en ont suivi, ainsi qu’une certaine stigmatisation de ces catégories religieuses là, qui sont des signes inquiétants et qui ont pu disposer et radicaliser davantage ces catégories-là.
Pour cet Extrême-Nord camerounais, région historiquement délaissée, ne faudrait-il pas une sorte de plan Marshall aujourd’hui ?
C’est une région déjà au sein de laquelle, l’Etat a souvent été mal perçu et donc un renforcement de la présence de l’Etat ne serait pas nécessairement la meilleure solution. L’Etat devrait plutôt être renforcé à l’Extrême-Nord sous le prisme et dans la perspective de fourniture des services - les services publics et sociaux - qui seraient davantage coordonnés par les communautés locales, par les organisations de la société civile locale, plutôt que par un Etat qui interviendrait du haut vers le bas. Et dans un contexte de mauvaise perception de l’Etat, cela pourrait être contre-productif.
Je lis une de vos recommandations : organiser une visite du président camerounais dans cet Extrême-Nord. J’ai presque envie de dire, ça fait un peu sourire, le président ne s’est même pas rendu à Eseka, là où le train a déraillé ?
Ça semble anecdotique, mais pourtant ce serait d’un impact symbolique très important. Voilà une région qui depuis deux ans et demi, fait face à un conflit d’une gravité extrême qui affecte sur tous les plans les populations de cette région-là, mais il se trouve que jusqu’à présent, le président de la République camerounais ne s’y est pas déplacé. Nous avons estimé qu’un déplacement du président de la République à l’occasion du lancement d’un ensemble de politiques publiques du développement dans la région de l’Extrême-Nord, cette vue pourrait être justement le moment clé pour lancer cette politique publique-là.