Le politologue et auteur du livre « Ibrahim Mbombo Njoya : le Cameroun, les Bamoun et moi », explique, selon la tradition, l’organisation des obsèques du roi et livre la pensée de ce vieil ami de Paul Biya dont il a à la fois servi et critiqué le régime.
Avec le décès du Sultan roi des Bamoun, que se passe-t-il au sein du royaume pendant la période de deuil, selon la tradition ?
Lorsque le Sultan décède, il y a chez les Bamouns ce qu’on appelle les « kom », c’est-à-dire les notables intronisateurs qui se réunissent dans la cour du palais avec Nji-fonfon qui est le premier ministre du roi ainsi que les « titâ-mfon » qui sont les conseillers spéciaux du roi. Par la suite, la population, ayant eu vent de la rumeur de la disparition du roi, accourt dans la cour.
Le chef des « kom » « Njimonchare » comme on l’appelle, va demander solennellement à tout le monde dans l’assistance de se décoiffer. C’est alors qu’il annonce officiellement que « l’obscurité a enseveli le roi ». Puis, les lamentations commencent et il est interdit à tout Bamoun, notable ou pas, de pénétrer dans la cour du palais royal étant coiffé jusqu’à ce que le nouveau roi soit désigné.
On sait que le Sultan était musulman et que la pratique dans l’islam n’autorise pas qu’on garde un défunt dans une morgue. Mais maintenant que le roi s’est « retourné » (langage admis dans la tradition) à Paris loin de sa terre, comment conserve-t-on sa dépouille ?
Je ne pense pas que la religion islamique se soit clairement prononcée là-dessus. Il est juste recommandé de procéder à l’inhumation le plus tôt possible tel que l’exigent les conditions. Mais je vous rappellerais que le prophète Mohamet a été porté en terre deux ou trois jours après son décès, je crois. Donc, la question n’est pas très tranchée sur le plan théologique.
Toutefois, les méthodes modernes des funérariums de conservation des corps font en sorte qu’on peut facilement conserver un corps sans avoir nécessairement besoin de le mettre dans une morgue. On hembaume grâce à des techniques très avancées de nos jours. Cet embaumement est fait après un certain nombres de rites.
C’est la raison pour laquelle le roi ne se déplace jamais seul, il est toujours accompagné d’un certain nombre de notables qui, au cas où quelque chose arriverait, seraient chargés de procéder à ces rites d’embaumement traditionnel, suivi d’un embaumement moderne pour une conservation idoine du corps du sultan sans qu’on ait nécessairement besoin de le mettre en morgue.
Comment choisit-on le successeur du roi ?
En principe, le successeur du sultan est choisi parmi ses fils qu’il a eus durant son règne. Pour le cas particulier du Sultan Ibrahim Mbombo Njoya, le successeur sera choisi parmi ses enfants mâles qu’il a eus depuis son accession au trône en 1992. À côté de-lui (le successeur), sera choisie une cohéritière, un peu comme Rabiatou Njoya l’était avec le Sultan Ibrahim Mbombo Njoya, pour pouvoir l’assister dans la conduite des affaires du royaume.
Il faut préciser que le sultan laisse souvent plusieurs copies du testament, non seulement à un certain nombre de notables,-mais de plus en plus à certaines autorités administratives en qui il avait’ confiance.
Qui assure l’intérim entretemps ?
Avant la désignation du nouveau roi, il n’y a pas véritablement d’intérim, puisque la période de transition n’est pas très longue. Mais toujours est-il que les gens sont occupés à l’organisation des obsèques, laquelle échoit essentiellement à « Nji-fonfon » (le premier ministre) comme je l’ai indiqué préalablement, au « kom » (l’intronisateur), aux « Titâ-mfon » (les conseillers spéciaux) du roi, et dans une certaine mesure à certains notables tels que « Tâ-mbo » qui est le ministre de la justice ».
C’est ce groupe qui se concerte pour l’organisation des obsèques. Puisque juste après l’inhumation du roi, on procédera à la désignation de son successeur. Donc, il n’y a pas un temps de flottement en tant que tel, sauf dans des cas ou il y a eu des crises de régence comme lors de la succession du 17ème roi Njoya.
En 2019, vous avez publié un livre dans lequel le Sultan Mbombo Njoya vous a accordé un entretien « sans détour et sans tabous ». Pouvez-vous nous rappeler sa vision du fonctionnement du Rdpc et de l’avenir de la nation ?
Le sultan pensait que le Rdpc devait faire sa mutation. Pour lui, c’était clair que le Rdpc n’a toujours pas ôté les habits du parti unique et par conséquent, ne s’est pas encore adapté à la nouvelle configuration multipartite.
Il appelait de tous ses vœux l’organisation d’un nouveau congrès à l’issue duquel le Rdpc devrait par exemple faire la différence entre le poste de président national et la fonction de président de la République.
Il pensait également qu’n pouvait instaurer une instance intermédiaire entre deux échéances du congrès qu’on pourrait appeler « conseil national ». Bref, il pensait que le Rdpc devait quitter les lauriers du parti unique pour s’inscrire véritablement dans le contexte du multipartisme.
S’agissant^de l’avenir du pays, il avait indiqué à Bafoussam qu’il ne faut pas confondre la longévité d’un individu au pouvoir avec celle d’un parti politique. Il estimait qu’on devrait mettre en place des mécanismes idoines pour assurer une alternance ou une transition pacifique au Cameroun.
Dans cette perspective, l’idéal aurait été que ceux de sa génération qui sont encore aux affaires, en commençant par le président Biya, son ami Marcel Niât Njifenji du Sénat, Jean Nkuete (le secrétaire général du comité central du Rdpc, ndlr), etc., devraient passer la main de leur vivant. Même si ça peut paraître paradoxal pour une autorité traditionnelle, mais c’était sa principale préoccupation.
Il pensait que si les choses nous tombent dessus par fatalité, nous risquons nous retrouver dans une situation incontrôlable, « et sa-chez-le nos adversaires ne vont pas nous faire de cadeaux », disait-il. Il était davantage préoccupé par cela au regard du contexte actuel marqué par les crises multiformes que traverse le Cameroun. Si les autorités actuelles ne prennent pas en main l’avenir du pays, ce sera difficile.
C’est pourquoi il avait dit au président Biya : « Vous avez les clés du bonheur comme du malheur du Cameroun. Que Dieu vous aide à en choisir les meilleurs. » Vu le contexte, il estimait qu’il était nécessaire que les choses se passent de manière claire et précise du vivant du président Biya. C’est quelqu’un qui était pour l’alternance depuis 1994, comme il l’a dit lors du grand dialogue nation. Il a été contre la modification de la Constitution en 2008.
Justement, l’une des images fortes qu’on garde de lui c’est son franc-parler. Pensez-vous que sa position sur l’alternance et la limitation des mandats au sommet de l’État a égratigné ses rapports avec le président Biya ?
Non, cela n’a nullement affecté la qualité de ses relations avec son ami Paul Biya. Puisque lors de la présentation des vœux au palais en janvier 2020, d’ailleurs beaucoup ne s’attendaient pas à le voir là-bas, on a vu la poignée de main chaleureuse entre les deux amis.
Ils ont discuté pendant plus d’une dizaine de minutes en tête-à-tête. Les deux personnalités se connaissaient très bien depuis des décennies. Ils pouvaient mesurer le tempérament l’un de l’autre, et c’est aussi ce qui fondait le respect qu’ils se vouaient mutuellement.
Pour la petite histoire, le sultan était le premier patron du président Biya quand il est revenu au Cameroun. Le sultan était alors vice-ministre de l’Éducation nationale et le président Biya sera nommé comme chef de cabinet.
Jamais il n’y a eu d’anicroche entre les deux. Bien au contraire, cette capacité d’exprimer sa pensée, dans un landerneau politique généralement réputé pour l’hypocrisie et la fourberie de ses acteurs, était plutôt un aspect assez rassurant pour le président Biya.