"Cinq minutes pour être écouté, pas une de plus !" C'est le temps accordé aux chefs d'entreprise de Douala lors de leur rencontre avec Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence camerounaise. Selon les révélations de Jeune Afrique, la tournée nationale du bras droit de Paul Biya tourne au fiasco organisationnel, révélant les failles d'un pouvoir de plus en plus déconnecté des réalités du terrain.
Le périple de Ferdinand Ngoh Ngoh à travers le Cameroun ressemble de plus en plus à un chemin de croix. Après avoir été malmené dans l'Extrême-Nord, où des dignitaires locaux l'ont contraint à prolonger son séjour pour de véritables discussions, le SGPR a enchaîné avec des visites dans la Lékié et à Douala qui ont tourné au chaos logistique.
"À Douala, c'était une véritable improvisation", témoigne un chef d'entreprise présent lors des rencontres. "Nous avons été convoqués à la dernière minute, sans ordre du jour précis, pour discuter de sujets aussi vastes que 'la création de champions nationaux' en quelques minutes chrono."
Une source proche de la délégation nous confie que l'agenda surchargé du secrétaire général a été modifié à plusieurs reprises, provoquant la colère des participants. "Certains ont attendu des heures pour finalement être expédiés en cinq minutes. C'est une marque de mépris qui a été très mal perçue."
À chaque étape de son tour du Cameroun, Ferdinand Ngoh Ngoh a été assailli de doléances. Routes impraticables dans la Lékié, problèmes d'approvisionnement en eau potable dans l'Extrême-Nord, difficultés des opérateurs économiques à Douala... La liste des récriminations s'allonge à mesure que le SGPR progresse dans son périple.
Face à cette avalanche de demandes, l'émissaire présidentiel a promis de tout rapporter à Paul Biya. "Mais comment peut-il se souvenir de toutes ces doléances alors qu'il ne prend même pas le temps d'écouter correctement ses interlocuteurs ?", s'interroge un observateur politique.
Selon nos informations, le secrétaire général aurait même demandé à certains de ses interlocuteurs de rédiger leurs doléances par écrit, faute de temps pour les écouter. "C'est une façon de se débarrasser du problème", estime un ancien haut fonctionnaire.
En coulisses, c'est la panique. Jeune Afrique révèle que deux cabinets occidentaux ont déjà déposé des propositions de stratégie de campagne au président de la République, via son directeur de cabinet Samuel Mvondo Ayolo. Mais pour l'heure, aucune n'a encore été validée.
"Ils sont en train d'essayer de transformer ces doléances en programme électoral", nous confie une source proche du dossier. "Mais comment construire un projet cohérent sur la base de rencontres aussi expéditives ?"
Les équipes travaillent d'arrache-pied pour compiler les informations récoltées lors de ces tournées et les transformer en "projet de société". Un exercice d'autant plus difficile que les interlocuteurs n'ont pas eu le temps de développer leurs idées.
Ces déplacements chaotiques ont surtout mis en lumière le fossé qui se creuse entre le pouvoir central de Yaoundé et les autres régions du pays. À Douala, capitale économique frondeuse, l'accueil réservé à Ferdinand Ngoh Ngoh a été particulièrement glacial.
"Les opérateurs économiques ont joué le jeu par obligation, mais sans enthousiasme", témoigne un participant. "Ils savent que leurs préoccupations ne seront pas prises en compte, comme c'est le cas depuis des années."
Même dans la Lékié, pourtant considérée comme un fief du pouvoir, les populations ont profité de la visite du SGPR pour exprimer leur mécontentement face aux retards pris dans la construction d'une boucle routière. Trois ans après le début des travaux, le taux d'avancement n'est que de 44%.
Malgré les apparences, cette tournée n'a rien d'une simple visite d'inspection. Ferdinand Ngoh Ngoh semble déjà en campagne, multipliant les promesses et les appels à soutenir Paul Biya.
"C'est une campagne électorale déguisée", analyse un politologue camerounais. "Il teste le terrain, prend la température, et s'assure que les bases du RDPC sont encore solides avant le lancement officiel de la campagne."
À Douala, la rencontre avec l'archevêque Samuel Kleda, connu pour ses critiques acerbes contre le régime, témoigne de cette stratégie. "Il cherche à neutraliser les voix dissidentes", estime notre source.
À sept mois de l'élection présidentielle, le Cameroun semble en suspens. Pendant que Ferdinand Ngoh Ngoh sillonne le pays à la recherche de soutiens, les problèmes concrets des populations restent sans réponse.
"Ces tournées sont une mascarade", conclut un ancien ministre. "Elles servent uniquement à faire croire que le pouvoir s'intéresse aux préoccupations des citoyens, alors qu'en réalité, il s'agit d'une opération de communication politique."
Reste à savoir si cette stratégie suffira à convaincre les Camerounais d'accorder un nouveau mandat à Paul Biya, au pouvoir depuis 1982. Une chose est sûre : si les prochaines étapes du tour de Cameroun de Ferdinand Ngoh Ngoh sont aussi chaotiques que les précédentes, le pouvoir risque d'avoir bien du mal à redorer son blason avant l'échéance électorale d'octobre.