Actualités of Wednesday, 7 February 2018

Source: cameroon-info.net

'Le ministre Atanga Nji, l'homme d'ombre doit être viré'

Le ministre Atanga Nji Le ministre Atanga Nji

Selon l’enseignant-chercheur camerounais, la crise qui sévit dans la zone anglophone depuis maintenant plusieurs années est d’abord et avant tout une crise de la communication.

Invité ce mercredi 7 février 2018 sur Radio Equinoxe, il a réitéré la nécessité pour les différents acteurs politiques de s’asseoir autour d’une table pour discuter des problèmes communs du Cameroun. Entretien…

La crise anglophone a pris une tournure inquiétante. Qu’est-ce qui peut selon vous, expliquer cette situation, qui fait souffrir les populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ? Quel est le constat que vous dressez docteur ?

Cette crise est d’abord et avant tout une crise de la communication. Souvenez-vous, au tout début, l’attitude des autorités camerounaises a été le déni. Le feu aux poudres aura été la sortie du ministre Atanga Nji au 13 heures et les conséquences, vous les connaissez.

La sortie du Ministre Esso lors de la tournée internationale a complètement radicalisé la diaspora, l’attitude du Ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary n’a pas contribué à calmer les ardeurs, les différentes sorties du Président de la République ont contribué justement à criminaliser les acteurs politiques anglophones, appelez-les sécessionnistes, appelez-les fédéralistes, ce que vous voulez.

Souvenez-vous que jusque récemment encore, il était quasiment interdit aux analystes d’évoquer le mot fédéralismes sur vos plateaux de radios et télés et lorsqu’il ne se passe rien au centre, on assiste à la sanction aux extrêmes. Les extrémistes qui étaient des marginaux hier, sont aujourd’hui rentrés en interaction positive avec des pans entiers de la population anglophone. La conséquence c’est ça. Aujourd’hui, même la communication de l'armée est à plaindre. Les réseaux sociaux ont contribué à mettre en lumière les infractions de l’armée camerounaise et contribué à radicaliser les uns et les autres. Malheureusement, c’est ça.

Quelle est la communication de crise qu’il aurait fallu adopter dans ce cadre là ?

La communication idéale aurait été celle quasi-instantanée. Tenez par exemple, jusqu’à ce jour, on ne sait pas exactement ce qui est advenu de monsieur Ayuk (Ayuk Tabe, leader de l'Ambazonie, Ndlr), ça contribue à alimenter toutes les théories, les unes les plus farfelues que les autres. Egalement, ne pas renchérir sur la responsabilité de l’autre pour se dédouaner de ses propres responsabilités aurait été la posture idéale.

Ceux qui manifestent, ce sont des citoyens camerounais, nous avons très tôt fait de leur attribuer le label de terroristes et nous les avons confinés dans un espace qui ferme toute négociation possible. La criminalisation de l’ennemi a conduit à cela. Je pense que les sorties du Président de la République, les parallèles qui sont faits, je pense notamment que sa dernière sortie, la déclaration de guerre a conduit à ce qu’on vit aujourd’hui.

Vous ne pouvez pas vous dire être en guerre et vous ne comprenez pas que vous avez perdu des hommes. Quand on est en guerre, on doit perdre des hommes. L’action est gouvernée par le principe d’interaction, ce n’est pas l’action d’une masse en mouvement contre une masse inerte. Je crois qu’il est temps que les uns et les autres tirent toutes les conclusions de cette mauvaise communication qui a entouré cette crise, la mauvaise communication qui a contribué à l’aggraver, de mon humble point de vue.

Et donc, on peut faire le parallèle entre le poids du mot guerre et l’impact social que cela peut avoir…

Le poids des mots, vous faites bien de le relever. Lorsqu’on parle de guerre, cela implique l’utilisation de l’outil militaire, la mise entre parenthèses d’un certain nombre de libertés fondamentales… Vraiment, les forces de troisième catégorie sont formées pour faire la guerre et non le maintien de l’ordre. De mon point de vue, ce qui aurait dû se passer aujourd’hui dans les régions anglophones aurait été tout au plus un maintien de l’ordre renforcé en prélude à l’ouverture des négociations politiques. Parce que la matrice des revendications des anglophones est politique, la gestion de cette crise devrait se faire au sein des instances politiques, des instances prévues pour régler les différends entre les composantes de la nation camerounaise. Je pense par exemple à l’assemblée nationale et au sénat.

Que peut-on faire aujourd’hui pour sortir de la crise et éviter que l’enlisement continue dans ces parties du pays?

Je vais vous surprendre. Il faut virer le ministre Atanga Nji et virer un certain nombre d’acteurs qui par leurs sorties médiatiques ont contribué à l’aggravation de cette crise. Il faut revoir les hommes. Il faut ouvrir des négociations, on ne se fatiguera pas de le dire. Des négociations franches. Le Président Biya qui a le sens de la formule a dit en 1990 lors de la tournée dans les provinces qu’on ne peut pas dialoguer et définir les modalités du dialogue. Cela revenait selon lui à imposer sa volonté, donc refuser le dialogue. On peut lui opposer ses propos aujourd’hui dans le contexte de la crise anglophone.

Je crois qu’il serait important qu’on engage des négociations politiques, que les camerounais acquièrent l’habitude de s’asseoir pour discuter de leurs problèmes. A la veille de l’indépendance, lorsque les nationalistes ont demandé la conférence de la table ronde, on a dit que cela n’était pas nécessaire. Du coup, le Cameroun s’est bâti sur la base des pleins pouvoirs confiés à un seul individu qui a mis en place une armée sur ordonnance et a mis en place un ensemble d’institutions par ordonnance. Ce n’est pas le reflet de la volonté populaire.

C’était pareil dans les années 90, lorsque les acteurs politiques demandaient une conférence nationale souveraine pour définir le socle du vivre ensemble. Un socle solide. Malheureusement, ça n’a toujours pas été fait, on a dit que la conférence nationale était sans objet. Les conséquences aujourd’hui, c’est que la nation est en crise, la République est en crise. Je crois qu’il est important que les uns et les autres, au-delà de la crise anglophone s’asseyent, discutent des problèmes communs pour qu’on reparte sur de bonnes bases.