La poussière ocre qui se dégage de la cour de l’école de Tsinga, sur les hauteurs de Yaoundé, ne semble pas les perturber. Encore moins la chaleur étouffante de la fin du mois de novembre dans la capitale camerounaise. Les quelque 200 à 300 militants réunis cet après-midi sont subjugués par la verve d’un homme debout sur une estrade de fortune.
Dans un costume trop étroit pour son physique généreux, Jean-Marie Nga Koumda est lancé dans une longue diatribe contre ses adversaires qu’il juge « incompétents et arnaqueurs », « qui passent leur temps à tromper le peuple ». Le public, conquis, applaudit. L’homme n’est pourtant pas du coin. Ancien député du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) dans un département à une quarantaine de kilomètres de Yaoundé, il ne cache pas son ambition de retrouver un siège à l’Assemblée nationale. Mais cette fois-ci, il veut être élu dans la capitale.
« Charters électoraux »
Pour cela, comme tous ses camarades de parti qui visent un mandat électif, Nga Koumda doit d’abord prendre la tête d’une des nombreuses sections locales du RDPC, parti créé en 1985 par le chef de l’Etat, Paul Biya, sur les cendres de l’Union nationale camerounaise (UNC) d’Ahmadou Ahidjo, le premier président du pays. Les élections internes au parti au pouvoir, débutées en août et terminées le 10 décembre, sont aussi l’occasion pour les candidats de gagner du poids en vue des élections générales, municipales, législatives et présidentielle, prévues en 2018.
Des élections internes qui se sont déroulées dans un climat délétère : accusations mutuelles de fraudes, tentatives de corruption, soupçons de favoritisme, achat de consciences, vols de cartes du parti. Eric Onambéle Zibi, conseiller municipal RDPC dans une commune d’arrondissement de Yaoundé, évoque « des cartes de militants transportés dans des cantines » et de « charters électoraux ». Ce qui démontre, selon lui, que son parti n’a aucune maîtrise de son fichier électoral.
De fait, les instances du parti de Paul Biya connaissent de véritables difficultés à communiquer les effectifs de cette formation politique qui a la mainmise sur tous les rouages de l’Etat. Il est majoritaire à l’Assemblée nationale avec 153 députés sur 180 et au Sénat avec 82 sénateurs sur 100. Pour autant, le « parti du flambeau », son emblème, « n’a pas de statistiques précises sur le nombre de militants », comme le reconnaît Christophe Mien Zok, le directeur des Organes de presse, de l’information et de la propagande, qui est aussi maire d’une commune rurale située à une centaine de kilomètres de Yaoundé.
« Il s’agit d’une version miniature des fraudes électorales massives auxquelles le pouvoir se livre depuis des lustres, analyse Sosthène Médard Lipot du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, l’une des principales formations politiques de l’opposition. En réalité, le RDPC est comme un serpent en train de se mordre la queue. »
Bernard Njonga, militant prodémocratie depuis l’avènement du multipartisme au Cameroun au début des années 1990 et qui a créé le parti d’opposition Croire au Cameroun (CAC), parle d’« une machine qui a sophistiqué la fraude et la tricherie ».
« Climat apaisé »
Fin novembre toujours, un groupe de militants du RDPC a manifesté devant le siège de la Commission nationale de lutte contre la corruption (Conac). La centaine de jeunes et de femmes, issus des jeunesses du parti et des sections féminines (OJRDPC et OF), entendait dénoncer le déroulement des opérations sur le terrain et les manœuvres de corruption qui ont émaillé le processus. Une manifestation qui a étalé au grand jour le malaise et la distance entre les militants et les cadres du parti.
« Il est impossible de débattre au sein du RDPC parce que la base est rejetée. Les jeunes sont marginalisés, il y a un conflit de générations et un dialogue de sourds », regrette Joseph Emmanuel Ava. Cet homme de 47 ans à la taille imposante fait partie des « jeunes rénovateurs ». Afin de « redonner un nouveau souffle au parti », il a démissionné de son poste de conseiller municipal d’Endom, une commune rurale à 170 km de Yaoundé. « La rénovation est une urgence si l’on veut éviter une fracture », ajoute-t-il.
Mais les batailles de positionnement en vue des prochaines échéances, la grogne des jeunes loups qui considèrent que leur heure est arrivée et les manœuvres des anciens pour se maintenir à des postes qu’ils occupent depuis une trentaine d’années ne sont pas de nature à rassurer. Le RDPC risque bien l’implosion. Ce qui représenterait une vraie menace pour le régime vieillissant de Paul Biya, 83 ans, au pouvoir depuis 1982. Une question éludée par le secrétaire général du RDPC, qui préfère parler d’un « climat apaisé » et dresser un « bilan satisfaisant » de ces élections.