« Honte », « violation des droits de l’homme », acte « anticonstitutionnel ». Le projet de loi portant révision du code pénal camerounais, validé par l’Assemblée nationale et actuellement en débat au Sénat, indigne une partie de la société civile, de l’opposition et des internautes, qui dénoncent une réforme plus profitable aux riches qu’aux pauvres, lesquels constituent pourtant plus de la moitié de la population.
Réuni en session extraordinaire jusqu’aux dernières heures de la journée mardi 28 juin à Douala, le conseil de l’ordre des avocats dénonce, par la voix son bâtonnier, un projet qui « met en péril la cohésion sociale du Cameroun ». Dans une interview accordée au Monde Afrique, Me Jackson Ngnié Kamga, revient sur les problèmes soulevés par ce projet.
Le code pénal camerounais n’a fait l’objet d’aucune révision depuis juin 1967. N’est-il pas temps de le réformer ?
Après 50 ans, il doit l’être, oui. C’est le processus de la réforme qui pose problème. D’abord, on doit réunir les acteurs sociaux et les praticiens du droit de manière à en faire le bon diagnostic. Ensuite, on doit logiquement tous être d’accord pour des mesures correctives : supprimer les dispositions devenues obsolètes et, éventuellement, penser de nouvelles infractions en accord avec la politique pénale du chef de l’Etat. Ici, on a fait appel à des consultants pour rédiger l’avant-projet. Comme si au Cameroun, les praticiens du droit en étaient incapables.
L’un des articles qui indigne le plus prévoit des peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement en cas de non paiement des loyers. Une telle mesure est-elle justifiée selon vous ?
Nous considérons qu’en réprimant sur le plan pénal le non paiement des loyers, le Cameroun méconnait ses propres engagements internationaux. Notre pays a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui indique pourtant que nul ne peut être emprisonné en raison de dettes contractuelles. Le non paiement des loyers découle en réalité d’une obligation contractuelle, d’un manquement, et nous pensons que cela ne peut faire l’objet d’une répression pénale sur le plan des principes.
Plus généralement, nous sommes dans un Etat où le président prétend lui-même lutter contre la pauvreté. On ne peut donc pas prévoir des infractions dont la conséquence est nécessairement l’incarcération. Le conseil de l’ordre attire l’attention du président sur le fait qu’il ne faille pas créer, aujourd’hui, dans notre dispositif pénal, des dispositions de nature à sanctionner les pauvres au détriment des riches.
On constate que la peine de mort, longtemps décriée par les avocats et la société civile, abolie par de nombreux Etats africains, est maintenue dans ce projet de loi…
C’est un débat qui dépasse le conseil de l’ordre. C’est un débat sociétal. Nous demandons simplement au Cameroun de prendre la pleine mesure de ses engagements et de vérifier également que les lois pénales sont en conformité avec son environnement sociologique.
La problématique du code pénal n’est pas que juridique. Elle est politique et en cela l’ordre des avocats n’a pas une position de principe à exprimer. Il a un certain nombre de recommandations à faire à ceux qui décident de la maintenir ou de l’abroger.
Vous déplorez l’omission, dans le projet de loi, de la notion d’« enrichissement illicite » et vous relevez une différence entre les versions anglaise et française du texte, ce qui crée une inégalité entre justiciables. Que proposez-vous?
Dans un premier temps, Le conseil de l’ordre va adresser une requête au chef de l’Etat qui est en charge de la promulgation des lois au Cameroun. C’est lui qui consacre le processus de leur élaboration. Le projet de loi demeure donc en discussion. Le conseil de l’ordre ira au bout de ces démarches. Si le chef de l’Etat ne réagit pas positivement à nos recommandations, suggestions et invitations, alors l’assemblée générale des avocats se réunira.