Selon le chercheur, Claude Bertin Okala Etoga, les Beti n'ont pas un ancêtre commun. Il le démontre savamment dans un essai récemment paru.
Claude Bertin Okala Etoga est un hybride intellectuel rare : banquier de formation et de profession, il a pour principal hobby d’être en même temps ethnologue amateur (et éclairé). C'est avec cette dernière casquette qu’il vient de commettre son opus magnus : Ethnogenèse et Onomastique beti, sous-titré À la découverte des Beti entre l'Adamaoua et le Golfe de Guinée. Ethnogenèse pour décrypter les véritables origines du groupe ethnique beti, et onomastique pour l’étude scientifique des noms, leur symbolique et leur signification dans leur aire culturelle. S’agissant de l’ethnogenèse beti, son intérêt pour les racines lointaines de l’ethnie dont il est un membre, a une histoire ancienne : « Dès mon enfance, je me suis intéressé à remonter l’arbre généalogique de mon arrière-grand-père, avec l'aide de mes frères et de mes oncles. Ayant trouvé le résultat insuffisant, j’ai décidé d’élargir le travail à tous les Beti ». Au fil de ses recherches sur le terrain et par la lecture de nombreux ouvrages, il s’efforce de dépasser les légendes locales et les mythes habituels sur le sujet, notamment le plus éculé : la fausse attribution d’une origine égypto-pharaonique à son groupe. Selon lui, une revendication historiquement infondée, mais idéologiquement marquée, sans arguments scientifiques valables. La principale thèse que développe Okala Etoga est que les Beti n’ont pas un ancêtre commun, contrairement à l’idée généralement répandue et entretenue par certains, qui ne sauraient donc pas de quoi ils parlent. Il argumente : « Prenons seulement la langue : il s’est trouvé que des peuplades éparses se sont retrouvées, dans certaines circonstances, à communiquer dans un même dialecte vernaculaire, sans qu’il fût besoin qu’ils eussent nécessairement une origine ethnique commune. Cette langue a fini par devenir leur marqueur, avec le temps : c’est ce qui s’est passé avec les Beti actuels ». Le chercheur convoque l’Histoire, en fine démonstration. D’après lui, les peuples qui habitent aujourd’hui la forêt sont en réalité pour l’essentiel, partis du Septentrion, « chassés » par trois causes principales : la traite négrière, une grande sécheresse et le Djihad musulman de Ousman Dan Fodio. Détail capital : « Ils fuyaient en groupe, mais nullement comme apparentés. Et lors de cette pérégrination, ils ont formé des groupes d’alliance, à l’exemple au Nord, de la tradition documentée du mandjara chez les Tikar, les Mbvoum et même les Baboute ; au Sud, chez les Bulu, où l’on parle de l’avousso, etc. Tous ces concepts renvoient au fond à l’idée de « compagnons de voyage » circonstanciels, et d’alliances contractées, sans aucun besoin d’être issus d’une improbable souche unique » Au passage, Okala Etoga s’insurge contre l’amalgame ignorant entre « beti » et « ewondo » : « Plein de Beti récusent cette simplification, considérée comme abusive. Notamment les Bene, Etenga, Mvele, etc., qui affirment ne rien à voir avec cette catégorisation rapide. On confond une langue, qui a été favorisée par l’administration coloniale et les missionnaires pour des raisons techniques de l’époque, ses locuteurs actuels et une tribu quelconque. Les Ewondo en tant que tels ne sont donc qu’un sous-élément du groupe beti, ce dernier étant immensément plus vaste et extrêmement divers ». Son ouvrage a été publié aux Éditions « Connaissances et Savoirs », et est préfacé par le Pr. Paul Abouna, maître de conférences au département d’anthropologie de l’Université de Yaoundé 1. Ce dernier apprécie le travail du chercheur : « Okala Etoga établit des connivences ontologiques pertinentes entre les Beti et d’autres peuples tels que les Baveuk, les Bassaa, les Bakoko, les Vute, les Tikar, les Makia, les Ggaya, les Kozime, les Fang etc. (…) Dans le contexte sociopolitique camerounais et africain actuel, dominé par le « cancer » des replis identitaires de toutes sortes, cet ouvrage s’affirme comme une thérapie. Car en le lisant, l’on comprend à partir de l’exemple beti que l’on vient toujours d’un ailleurs différent de là où on est aujourd’hui : le gada mayo beti d’aujourd’hui était un beloblobo du Nord hier ». La postface est signée du Pr AlexiBienvenu Belibi de l’École Normale Supérieure, toujours de l’Université de Yaoundé l, ce qui est une autre caution scientifique non négligeable: «Force est de saluer la démarche méthodologique du Zomoloo Okala Etoga. Celle-ci est sous-tendue par un arrière-plan théorique en béton, et articulée autour d’une foi inébranlable en notre héritage culturel, fondement de l’émergence postulée qui procède par la nécessaire réévaluation du passé et sa mise en perspective dans la quête du développement ». À la question classique de savoir s’il entend poursuivre ses recherches et publier d’autres travaux, le chercheur se met dans l’expectative : «J’ai lancé ma pierre. J’attends les réactions des uns et des autres, pour éventuellement défendre mes thèses en cas de controverses probables, dans d’autres publications ».
Extraits :
« Les Beti, par le biais des Bati et des autres groupes du Mbam dont ils descendent principalement, ont des accointances avec les peuples de la République Centrafricaine, du Tchad et du Nord-Cameroun. Et à l’instar des Bati, ils relèvent d’une mosaïque de groupes d’origine sans doute soudanaise et bantu ; ils avaient cheminé avec d’autres groupes avec lesquels ils pratiquent les mêmes us et coutumes. Mais seule la langue les différencie de ceux-ci ». «Un certain nombre d’indices démontrent que le berceau de ce peuple se trouve hors de son habitat actuel, qu’il descend de groupes plus anciens du Septentrion (…). Dans le vocabulaire, les Beti connaissent un certain nombre de mots qui se réfèrent à l’écologie de la savane. Exemples : émgbem pour le lion, ovega pour le sorgho, nyada pour le sésame ». « Les recherches récentes soutiennent que les Beti constituent un ensemble de descendants des groupes de la rive gauche de la Sanaga, qui ont traversé le fleuve et se sont fondus dans quelques lignages voisins, des envahisseurs et des membres des groupes trouvés sur place ». « Le terme Beti désigne moins les populations partageant une langue commune qu’un ensemble de mœurs et coutumes (…). L’une des caractéristiques des Beti, c’est leur acculturation aux peuples qu’ils avaient soumis, notamment les Fang, dont ils ont adopté la langue et bien d’autres traits culturels ». «Beti désigne d’abord les Bati, puis tous les grands lignages victorieux d’origines diverses qui ont franchi la Sanaga. Et finalement tous les voisins conquis par les premiers. Les Beti résultent donc d’un brassage entre les Bati, d’autres populations du Mbam et les Fang majoritaires dans la rive gauche de la Sanaga, et des peuples déjà assimilés par ces derniers ».