Quoiqu'il ait dénoncé à la fois les séparatistes anglophones auteurs de «meurtres de gendarmes» et d'«enlèvements de fonctionnaires», et les forces de défense et de sécurité gouvernementales, responsables d'«assassinats ciblés» dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, de détentions de présumés sécessionnistes sans accès à un soutien juridique, à la famille ou à la Croix-Rouge, ainsi que des incendies et des pillages de villages, l'ambassadeur américain au Cameroun est mal vu par toutes les parties impliquées dans la crise multiforme camerounaise.
Sa convocation mardi par le ministre camerounais des Relations Extérieures après qu'il a semblé suggérer au président Biya de songer à quitter le pouvoir, marque un point d'escalade dans une série de malentendus à leur paroxysme.
Jamais ambassadeur des Etats-Unis Unis du Cameroun n'a autant fait l'unanimité contre lui au Cameroun. C'est pourtant l'exploit qu'a réussi à réaliser le pauvre Peter Henri Barlerin, qui fait l'objet des accusations de "soutien à l'ennemi", autant dans les milieux de ce qui est actuellement l'opposition la plus radicale au régime, c'est-à-dire le bloc sécessionniste anglophone, que du côté du régime Biya.
Dans un premier temps, et de manière itérative, le diplomate états-unien a été traité itérativement d'intercesseur de monsieur Biya auprès des autorités de Washington, pour faire passer la sanglante répression politique -que mène l'armée camerounaise à l'instigation de son chef- contre les sécessionnistes défendant luttant contre la marginalisation et l'oppression de la minorité anglophone comme une simple opération de maintien de l'ordre, voire de lutte contre le terrorisme.
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A en croire les tenants de la création d'un Etat anglophone dénommé Ambazonie, l'ambassadeur Barlerin aurait ainsi obtenu des Etats-Unis que la première puissance militaire du monde offre à l'armée de l'Air camerounaise deux avions de surveillance C 208 Cessna, d'une valeur de 24 milliards FCFA, de fabrication américaine, dotés d'équipements sophistiqués, pour mener des opérations militaires d'envergure dans les régions anglophones, en prétendant que c'était un appui de l'administration Trump au Cameroun dans la lutte qu'il mène contre la secte terroriste Boko Haram.
On en était encore là quand le 17 mai dernier, à quelques jours de la célébration de la 46ème édition de la fête nationale du 20 mai, Peter Henri Barlerin a été reçu en audience, et à grand renfort de tapage médiatique, par le président Biya à qui il a remis un message de félicitations de son homologue américain. Il n'en fallait pas plus pour que Yaoundé qui est vraiment en manque d'adoubement international de poids se vante de "la bonne santé des relations diplomatiques" qu'elle entretient avec Washington.
C'était compter sans l'imprévisibilité et le sans-gêne qui caractérisent les Américains. Le soir même de l'audience accordée par Biya à Barlerin, le dernier nommé n'a pas usé de circonlocutions pour mettre les pieds dans le plat du principal sujet qui anime le débat politique au Cameroun : la future candidature à l'élection présidentielle d'octobre 2018 du président Biya (85 ans, au pouvoir depuis 36 ans) pour un septième mandat.
De manière implicite, alors que cette candidature annoncée et probable -quoique le président entretienne le flou autour- fait l'objet d'intenses controverses, non seulement en raison de l'incapacité du président à gérer les multiples crises sociales, économiques et surtout politiques –à l'instar de la "crise anglophone"- auxquelles le pays est confronté, mais aussi à cause de l'énorme nombre d'années qu'il a déjà passées à la tête du Cameroun, par le truchement d'élections à la sincérité douteuse, Peter Henri barlerin se fend d'un communiqué de presse –type compte-rendu d'audience- dans lequel il déclare :
«[…] Enfin, le président et moi avons discuté des prochaines élections. J'ai suggéré au président qu'il devrait penser à son héritage et à la façon dont il veut se souvenir dans les livres d'histoire pour être lus par les générations à venir, et a proposé que George Washington [le premier président américain, ndlr] et Nelson Mandela [héros sud-africain de la lutte contre l'apartheid s'étant mis en retrait du pouvoir après un seul mandat, nonobstant sa popularité intacte, ndlr] soient d'excellents modèles», écrivait l'Ambassadeur.
Du coup le triomphe jouissif du régime et de ses partisans qui se réjouissaient quelques heures plus tôt du message de félicitations de Trump, au point où le président a tenu à en faire état dans un tweet, s'est transformé en bouderies grimaçantes.
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C'est l'âme damnée du régime, en la personne de Issa Tchiroma, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, qui est monté le premier au créneau sur les ondes de la radio française RFI, pour rabattre le caquet au représentant de Donald Trump au Cameroun, en lui rappelant que le Cameroun est un Etat «souverain», qui n'est «pas disposé à accepter quelque diktat que ce soit de la part de telle ou telle puissance».
Volubile comme à son habitude, Tchiroma affirme que son présidentiel patron est «un homme d'honneur, soucieux, naturellement, de la lecture qu'on fera de lui une fois qu'il aura organisé sa succession le moment venu», et que Paul Biya «entrera dans l'histoire par la grande porte, parce qu'il est conscient de sa responsabilité». Jamais à court de propos excessif, le porteur de la vérité officielle du Cameroun ajoute : « «il ne s'écoule pas une seconde sans qu'il ne pense à l'avenir».
A croire que le Paul Biya, il ne dort jamais. A sa suite d'autres partisans de Biya se sont lancés dans la contre-offensive anti-Barlerin.
Ainsi d'un certain Charles Atangana Manda qui fustige les ingérences de Washington dans les affaires camerouno-camerounaises : «Sous les carillons du 20 mai, les Etats-Unis demandent au garant de notre unité […] de quitter le pouvoir pour entrer dans l'histoire !», ou de Saint Eloi Bidoung, militant du parti au pouvoir comme le précédent, qui a opté pour une tribune, pas pour répondre à l'Ambassadeur Barlerin, mais au locataire de la Maison Blanche, directement : «Cher monsieur Trump, que les urnes parlent, chez nous et pas chez vous. Les mêmes leçons de démocratie peuvent être données à la Chine, à l'Allemagne, à la Russie. Paul Biya a choisi la voie la plus indiquée pour la dévolution du pouvoir, les urnes, parce qu'il sait, mieux que quiconque, que quand on va à une élection on prend deux risques : celui de gagner ou celui de perdre».
Et pan ! sur le bec de l'impertinent.
Et ce n'est pas fini. Mardi, c'était au tour du ministre Camerounais des Relations extérieures, Lejeune Mbella Mbella, de convoquer l'ambassadeur Yankee, pour lui infliger sans doute des leçons de « mission diplomatique dans un pays souverain qui n'entend pas se laisser infantiliser ».
Mais des Camerounais plus sérieux pour se laisser distraire par les petites admonestations de Washington jamais suivies d'actes concrets, pensent qu'il ne faut pas se reposer sur la mise en scène de Washington et de Biya qui ne vise qu'à endormir les Camerounais en leur donnant l'impression que quelqu'un pourrait venir d'ailleurs pour prendre leur défense contre Biya, si celui-ci s'avisait de leur faire l'entourloupe de se présenter à l'élection d'octobre et de l'emporter malgré son impopularité criarde.
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« Biya n'est pas du genre Nicolas Maduro ou Castro pour tenir la dragée haute aux puissants de ce monde ou refuser les ressources naturelles de son pays aux grandes puissances très regardantes. Si nous le laissons organiser des élections, les truquer et les gagner alors que son départ du pouvoir est devenu un impératif vital pour la survie de notre Etat, ni la France, ni les Etats-Unis ne le contraindront à partir dès lors qu'il leur aura proposé de leur vendre le Cameroun à l'encan en échange de 7 années de plus au pouvoir... », affirme Ruphus Ndeh, militant de l'Union des Forces Démocratiques du Cameroun (UFDC).
Avis partagé par R. Nzié du mouvement citoyen "Tout Sauf Biya en 2018" : « … Ensuite il pourra nous massacrer tous comme il le fait maintenant avec les anglophones, et ces gens viendront seulement appeler hypocritement à déposer les armes et à "rechercher des solutions consensuelles" ».