Infos Santé of Thursday, 10 November 2022

Source: www.bbc.com

Les autorités gambiennes ont-elles failli à prévenir la mort d'autres enfants ?

Thomas Naadi, BBC News Thomas Naadi, BBC News

Thomas Naadi, BBC News

Après la mort de 70 enfants après avoir reçu des sirops antitussifs produits par l'entreprise indienne, Maiden Pharmaceuticals, les autorités sanitaires ont indiqué qu'il n'y avait pas de nouveaux cas, mais qu'elles devaient encore s'occuper de 82 cas existants dont 12 se sont rétablis. Mais au moment où les Gambiens s'efforcent toujours de comprendre ce qui s'est réellement passé, les actions et inactions des autorités sont-elles à la base d'autres décès ?

Comment les médicaments sont-ils entrés dans le pays

Les enquêtes préliminaires de la police ont révélé que les médicaments ont été importés dans le pays le 21 juin de cette année par Atlantic Pharmaceuticals Company Limited et distribués à des détaillants en Gambie.

Au total, 50 000 bouteilles de sirops pour bébés contaminés identifiés par l'OMS ont été importées. Mais l'Agence de contrôle des médicaments n'a pu rappeler/saisir qu'environ 41 462 bouteilles et plus de huit mille bouteilles (8 538 bouteilles) de ces médicaments sont introuvables. On ne sait pas ce qu'il a pu leur arriver.

Le principal problème est que la Gambie ne dispose pas d'un laboratoire pour tester la sécurité des médicaments importés dans le pays. Des échantillons ont donc été envoyés au Sénégal, au Ghana et en Suisse.

On a découvert qu'ils contenaient des substances toxiques comme le diéthylène glycol et l'éthylène glycol. On pense que les médicaments importés auraient été fabriqués spécifiquement pour la Gambie.

L'OMS a déjà lancé une alerte mondiale pour demander aux pays de rappeler quatre sirops antitussifs contaminés et s'est dite préoccupée par le fait que ces médicaments pourraient avoir pénétré dans d'autres pays par le biais de marchés informels.

Où les parents ont-ils acheté les médicaments et que s'est-il passé après leur administration aux enfants ?

De nombreux Gambiens comptent sur la pharmacie comme premier recours lorsqu'ils sont malades.

Certains parents ont acheté les médicaments dans une pharmacie ou une droguerie, avec ou sans prescription médicale, mais lorsque les complications sont apparues, ils se sont rendus à l'hôpital pour recevoir les soins appropriés.

L'évaluation du gouvernement a montré que les victimes se plaignaient de "fièvre (81% des cas), de vomissements (61%), de diarrhée (51%) et de toux (10%). La durée moyenne de la maladie était de neuf jours (fourchette de 5 à 18 jours)". Et ont été dans certains cas traités pour le paludisme, la méningite et l'asthme.

Ibrahim Seedy, graphiste et résident de Tanji, a perdu sa fille Adama, âgée de 2 ans. Elle se plaignait du paludisme.


"La pharmacie à laquelle je suis habitué se trouve ici, à Tanji. Quand je l'ai emmenée là-bas, c'était vers 23 heures, elle a été diagnostiquée, mais l'infirmière m'a dit qu'elle n'avait pas de paludisme. Mais on m'a prescrit certains médicaments que je lui ai donnés", indique-t-il.

"Les médicaments étaient du sirop de paracétamol et d'autres sirops..... Je lui ai donné comme on me l'avait dit, quand elle a bu ces médicaments le lendemain matin, elle a pris son petit déjeuner, je lui ai donné le médicament et à partir de là, d'autres complications ont commencé à apparaître que je ne pouvais pas comprendre", explique M. Seedy.

"Son système respiratoire était très perturbé, la fièvre s'est intensifiée et sa façon de parler a également changé. On pouvait entendre des hoquets quand elle parlait", se rappelle-t-elle.

Muhammed, le fils de 2 ans d'Alieu Kijera, s'est plaint de fièvre et a été traité pour le paludisme.


"Lorsque nous l'avons emmené à l'hôpital, ils nous ont d'abord prescrit du paracétamol et du sirop contre la toux car il toussait aussi. Puis, plus tard, nous sommes allés à la pharmacie et l'avons acheté à la pharmacie."


Mais on lui a diagnostiqué plus tard des lésions rénales après avoir consommé les médicaments. Muhammed est mort au Sénégal alors qu'il avait été traité pendant seulement deux semaines.

Musah Kamaso, le fils d'Alhassan Kamaso, âgé d'un an et huit mois, s'est plaint de fièvre.

Il a été orienté vers trois établissements de santé différents après avoir consommé le médicament contaminé. On lui a ensuite diagnostiqué une insuffisance rénale aiguë.


"Cela n'a fait qu'empirer les choses pour lui. Après avoir acheté ce sirop, (en août) je ne pouvais pas comprendre mon fils. C'est la raison pour laquelle ils ont décidé de lui faire une dialyse".

Aisah avait cinq mois lorsqu'elle est morte. Sa mère Mariama Sisawo a décrit sa mort comme étant douloureuse.

Elle était la plus jeune de trois enfants et la seule fille.

Faiblesse du système de prestation de soins de santé

La Gambie est confrontée à un problème majeur dans le secteur de la santé. Les hôpitaux et cliniques publics sont mal équipés. Certains Gambiens ont déclaré que les pharmacies des hôpitaux sont pratiquement vides et qu'ils achètent donc principalement les médicaments prescrits dans des pharmacies privées.

Ceux qui se sentent frustrés par le système et ne peuvent pas se permettre d'aller dans des hôpitaux privés dépendent des pharmacies locales pour se soigner. Mais il y a un autre problème. Selon certaines allégations, des personnes gèrent des pharmacies sans licence et la plupart d'entre elles ne sont pas des pharmaciens qualifiés, mais elles diagnostiquent et prescrivent des médicaments aux patients.

Le premier cas connu d'insuffisance rénale remonte à juin, mais le gouvernement a détecté une augmentation des cas chez les enfants en juillet et a interdit l'utilisation du seul sirop de paracétamol en septembre après que les autopsies pratiquées sur les enfants décédés aient suggéré un lien avec le médicament.

Les experts ont déclaré que des mesures immédiates auraient dû être prises en juillet pour éviter des décès inutiles, mais les autorités avaient encore du mal à identifier la cause de l'insuffisance rénale.

Les autorités avaient soupçonné la bactérie E. coli et le sirop de paracétamol. Elles avaient également recommandé à la population d'arrêter l'automédication.

Le Dr Mustapha Bittiya, directeur des services de santé, a déclaré qu'ils ont rencontré des retards dans la réception des résultats des échantillons initiaux envoyés au Sénégal, mais qu'ils ont dû s'en remettre au Ghana et ont obtenu des résultats dans les 24 heures.


Le tableau ci-dessous montre les décès survenus entre juillet et septembre, date de la première interdiction.


La Gambie ne dispose pas d'un système permettant de tester les médicaments qui entrent dans le pays. Elle se fie aux résultats des tests présentés par les importateurs, qui peuvent parfois être faux, comme l'a montré le dernier scandale du sirop pour la toux.

Le Dr Mustapha Bittaye, directeur des services de santé, affirme que l'importateur des médicaments contaminés disposait de documents et de résultats de tests montrant qu'il s'agissait de bons médicaments.


"Nous avons un système de contrôle de ces médicaments, nous les enregistrons et effectuons des contrôles ponctuels, mais vous savez qu'une fois que vous ne pouvez pas faire de tests, cela affecte les limitations", explique Dr Bittaye.

"Nous demandons maintenant que tous les médicaments soient testés et enregistrés aux frais du fournisseur jusqu'à ce que notre laboratoire soit prêt. Tous les médicaments que nous avons trouvés problématiques, ils ont apporté des certificats d'analyse pour montrer qu'ils étaient bons. Maintenant, c'est nous qui devons nous en occuper (les tests)", rassure-t-il.

"Cela fait partie de votre processus d'enregistrement. Actuellement, ils apportent des résultats pour montrer qu'ils ont été testés, mais maintenant, pendant le processus d'enregistrement, vous apportez les ressources (argent), le coût du paiement des médicaments, puis nous les envoyons au Ghana ou en Europe et lorsque les résultats sont arrivés, nous vous autorisons à les vendre ".

Mesures prises jusque-là

Les autorités indiennes ont ordonné à Maiden Pharmaceuticals d'arrêter sa production après avoir constaté des violations des bonnes pratiques. En Gambie, la police a interrogé un haut responsable de l'Agence de contrôle des médicaments et l'importateur des produits dans le cadre d'une enquête en cours.

Le gouvernement procède à des contrôles ponctuels des médicaments contaminés dans les pharmacies et les drogueries. Pour établir le nombre exact de morts, les autorités ont indiqué que "les décès dans la communauté seront examinés à l'aide de l'outil d'autopsie verbale détaillée de l'OMS".

Le Parlement gambien a chargé sa commission de la santé de mener une enquête approfondie sur ces décès. La commission devrait présenter ses conclusions au plus tard le 30 novembre.

Le président Adama Barrow a également mis en place une commission d'enquête chargée de proposer des mesures pour éviter que cela ne se reproduise.

Un incident récurrent ?

En 2019, onze enfants sont morts dans la région indienne de Jammu après avoir consommé des médicaments contaminés.

L'industrie pharmaceutique indienne, qui pèse 42 milliards de dollars, tire la moitié de ses revenus des exportations, mais des inquiétudes ont été soulevées quant à la qualité des médicaments envoyés dans les pays en développement.

Réaction civile et sociale

Des groupes de la société civile, comme l'Association du Barreau de Gambie, exigent des réponses du gouvernement. Ils ont commencé à parler aux familles des enfants et ont promis d'engager des poursuites judiciaires contre toute personne jugée coupable dans ce scandale.