Malgré de nombreux appels à la vigilance des autorités au public, ils continuent de faire de nombreuses victimes à travers le pays. Il y a quelques jours, les douanes portaient à la connaissance du public, le lancement d’une opération de mise en vente aux enchères publiques au port de Douala, de nombreux véhicules et autres marchandises de valeur. Suffisant pour faire sortir du bois, les « professionnels » de l’usurpation de titre et du trafic d’influence à l’ingéniosité infinie et débridée. Mais aussi pour faire réagir le ministre délégué auprès du ministre des Finances, chargé du Budget, Che Paul Elung, et le directeur général des douanes, Fongod Edwin Nuvaga. Dans un communiqué, ils attiraient l’attention du public sur le fait que des individus mal intentionnés, et se faisant passer pour de hauts responsables du ministère des Finances, promettaient à leurs victimes des facilités pour entrer en possession de ces biens et autres véhicules. Moyennant, bien sûr, de fortes sommes d’argent. En réalité, le mal était déjà fait, et bien des malheureux y avaient déjà laissé des plumes. En fin de semaine dernière, trois individus se faisant passer pour des envoyés de la Commission nationale anticorruption (Conac), ont été pris la main dans le sac, en flagrant délit de tentative d’escroquerie des responsables du lycée bilingue d’Ekounou. Et pas plus tard qu’hier, le Dr Suzanne Belinga, directeur par intérim du Centre Pasteur du Cameroun, mettait en garde contre l’utilisation du nom ou logo de Centre Pasteur dans les campagnes de vaccination ou autres activités.
Ces exemples sont loin d’être des cas isolés. Chaque jour qui passe, des individus soumettent à la tentation, des populations « prêtes à tout » pour changer leur quotidien. Mais surtout, à fréquence régulière, à l’aune des concours administratifs, des recrutements dans différents corps et autres, les usurpateurs ratissent large et prennent dans leurs filets, bien des citoyens appâtés par le gain facile et/ou à la naïveté éprouvée. Et ce, malgré les incessants appels à la vigilance et au discernement des autorités, le mal persiste et prend même de l’ampleur. Et tous ces actes sont de nature à provoquer des immixtions, confusions dans une fonction, des usurpations des signes réservés à l’autorité de nature à causer une méprise dans l’esprit du public. Et la venue des Tics a encore accentué le phénomène. Certains ayant trouvé là, un véritable fonds de commerce, malgré les risques encourus. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, ceux qui se font rouler sont, très souvent des gens à l’intelligence et au bon sens reconnus.
Pour le sociologue Pr Henri Teko: «C’est un entrepreneuriat de l’imposture ».
Comment expliquez-vous la persistance des phénomènes d'usurpation de titre dans notre société?
Le phénomène de l’usurpation de titre est un phénomène social désormais structurel de la quotidienneté des sociétés camerounaises. Sa prégnance dans la société justifie sa prise en compte par le législateur dans le Code pénal. Il est défini par l’article 219 du nouveau Code pénal camerounais, comme étant le fait de faire usage sans droit d’un titre attaché à une profession légale réglementée, d’un diplôme officiel ou d’une qualité dont les conditions ont été fixées par l’autorité publique. Dans tous les secteurs d’activité, on observe des individus qui se font passer pour ce qu’ils ne sont pas ou qui se réclament experts en tout. Leur démarche d’exploitation des niches ouvertes par la fragilité des mécanismes de la mobilité sociale, s’apparente à une démarche entrepreneuriale que l’on peut qualifier d’entrepreneuriat de l’imposture. Cet entrepreneuriat de l’imposture est une forme moderne de débrouillardise qui s’inscrit dans la dynamique collective de la mise en scène du paraître, dans une société où la précarité sociale et économique favorise l’émergence de tricheurs et d’arnaqueurs. Chaque société a ses imposteurs, selon les crises auxquelles elle fait face.
Pour le sociologue Pr Henri Teko: «C’est un entrepreneuriat de l’imposture ».
Bien des citoyens continuent pourtant de tomber dans les pièges des usurpateurs malgré les mises en garde des autorités. À quoi cela est-il dû?
Il s’agit d’un phénomène qui est d’abord un phénomène social devenu fait social. Les entrepreneurs de l’imposture prospèrent grâce à des individus qui, du fait de leur autorité légale, légitiment la fausse identité des imposteurs. Le cas des experts généralement invités dans certains médias est assez illustratif de cette réalité. On retrouve à cet effet des imposteurs qui écument des tribunes d’expression et qui s’expriment sans droit, sous le couvert de titres, de diplômes ou de qualité. Ils sont invités par des journalistes qui, du fait de leur autorité légale légitiment les imposteurs et se faisant leur donnent les ressources qu’ils mobiliseront dans la société pour se faire accepter. Il n’y a pas d’entrepreneur de l’imposture sans médiateur de l’imposture. La mise en scène de l’imposture va en effet au-delà de l’acteur-imposteur.
Y a-t-il des moyens pour y remédier à cette situation?
Les mécanismes actuels de lutte contre l’imposture sont essentiellement juridiques et ne prennent pas en compte la consistance sociale de ce phénomène et l’ancrage social de l’imposteur. En plus de la sensibilisation des populations qui doit être une activité permanente, il est important d’identifier les conditions sociales de production de l’imposture et les inverser à travers une dynamique réelle de promotion des valeurs d’intégrité. Cela ne pourra être possible que si et seulement si les autorités en charge du contrôle social et de la régulation sociale s’engagent résolument dans une réflexion féconde pouvant déboucher sur des mesures efficaces de structuration d’une société où l’exigence de transparence s’impose telle une maxime.