Le sociologue revient sur les causes des crimes à Nkolbisson et des conséquences sur les populations.
Depuis le mois de décembre dernier, on a découvert six corps au quartier Nkolbisson . Comment comprendre la recrudescence des crimes dans ce quartier ?
Quand vous regardez cette recrudescence des crimes dans le quartier Nkolbisson , la grande mise en scène apparait avec les trois derniers morts. Mais en réalité, depuis environ huit mois, le quartier Nkolbisson et la zone sont l'objet d'un certain nombre d'actes criminels qui renvoyaient déjà d'une certaine manière à ces crimes rituels. Et la situation socioéconomique peut rendre compte de cela d'une certaine façon, parce qu'il faut déjà voir les catégories qui sont généralement agressées. Ce sont des catégories vulnérables.
C'est une vendeuse d'avocats, c'est une vendeuse de kolas, etc. Il faut donc dire que ce sont des catégories non protégées. C'est la première chose qu'il faut pouvoir mettre en lumière est qu'il y a un problème de protection des populations qui vivent dans la précarité et qui vivent de la débrouille. La deuxième chose est qu'il faut mettre en lumière le cadre sociopolitique.
On peut émettre l'hypothèse selon laquelle Nkolbisson est un espace dans lequel politiquement, les enjeux et les défis sont lancés entre les camps qui sont bien ligués. Il n'est pas impossible que certains individus avec des intentions non avouées aient été happés par l'idée de commettre un certain nombre de crimes pour éventuellement arriver à avoir le leadership politique dans l'arrondissement de Yaoundé VII.
Vous vous souvenez que les élections à l'intérieur du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) se sont soldées par une rixe véritable. À l'approche de ces échéances électorales, également que les mandats électifs locaux sont en train de courir, c'est-à-dire au niveau de la députation comme au niveau de la municipalité. Les jeux sont désormais ouverts et ce n'est pas impossible que ceci explique cela.
Troisième niveau d'explication qu'on peut mettre en lumière. Nkolbisson est une zone qui vient de s'ouvrir en réalité à l'urbanité. Et la localité qui est mise au-devant de la scène est une localité qui a attiré pas mal d'individus. Récemment, et de ce point de vue, on pourrait aussi émettre l'hypothèse selon laquelle l'urbanité s'est accompagnée de la montée en puissance d'une certaine civilisation du risque. Cette civilisation du risque rencontre la ruralité et l'urbanité en cours peut comporter une certaine forme de criminalité.
Que recherchent les criminels ?
Me poser cette question serait comme si j'avais été criminel ou si j'avais eu ces criminels en face de moi et qu'ils m'auraient révélé ce qu'ils recherchent. Il me semble, si on prend les trois pistes qui ont été mises en lumière que ce ne sont pas les personnes fortunées qui se font agresser. On ne peut dont pas dire que c'est la fortune que ces gens recherchent. mais il m'est revenu qu'il y avait non seulement des pratiques sexuelles peu orthodoxes sur ces victimes (on parle par exemple de sodomie pour le cas de la vieille maman qu'on a retrouvée sur la nouvelle route Nkolbisson ), mais également des mutilations au niveau d'un certain nombre d'organes.
Probablement, il y a ici une rencontre entre la sphère invisible et la sphère quotidienne que nous vivons, où les individus espèrent pouvoir retrouver une sorte de leadership en utilisant les organes corporels des individus pour les instrumentaliser et les exploiter à des fins de production d'eux-mêmes en tant que sujets.
Comment comprendre le silence des pouvoirs publics, des organisations non gouvernementales et des partis politiques ?
Vous savez qu'on est en face d'une société qui s'est totalement démobilisée. D'une société qui a atteint un degré d'individualisme qui est tel que, même le mal, quand il se passe au niveau de votre porte, ne vous intéresse pas du tout. Cette démobilisation de notre société est telle qu'elle fait craindre le pire quand on sait que même les forces de police et les force de gendarmerie, même quand on devrait les mettre devant chaque porte, ne peuvent pas arriver effectivement à résoudre ce problème.
À mon avis, il y a une situation de crise. De crise des repères, de crise morale de notre société qui n'arrive plus à jouer le rôle de nœud de sécurité. Et, derrière les crimes rituels, beaucoup d'ONG, de ces acteurs de la société civile sont en fait des entrepreneurs, des courtiers du développement, c'est-à-dire des gens qui profitent de la misère et des problèmes des autres pour en réalité résoudre leurs problèmes et s'en mettre plein les poches. Dans la mesure où dans ce secteur d'activité, il n'y a probablement pas de l'argent à se mettre dans la poche, on peut aussi expliquer leur silence par le fait qu'au fond, ils n'arrivent pas à se mobiliser pour cette raison.
Peut-on expliquer la montée en puissance des crimes dans cette zone par l'enclavement du quartier ?
Si vous remarquez, les crimes rituels tels qu'on les vit à Yaoundé ont d'abord été enregistrés dans le quartier Mimboman. Aujourd'hui, c'est le quartier Nkolbisson. Ce sont des périphéries et elles ont cela de particulier qu'il y a des problèmes d'accès à un certain nombre d'espace, d'accès à un certain nombre de localités. Il y a également des problèmes de sécurisation de ces lieux.
Et il faut ajouter des problèmes d'éclairage public, parce qu'en situation d'éclairage public, c'est clair qu'il va être difficile pour un individu de se mettre dans les possibilités de commettre un certain acte. À mon avis, la périphérie est productrice de criminalité dans le cas d'espèce et que Nkolbisson vient justement être cette illustration.
Quel peut être l'impact sur les populations de Nkolbisson en particulier et des habitants de Yaoundé en général
Il y a une sorte de terreur collective que les populations de Nkolbisson vivent actuellement. Cette psychose qui s'installe est une psychose qui est telle que les populations sont amenées à modifier leurs habitudes de déplacement. Les gens qui étaient des couche-tard sont aujourd'hui appelés à rentrer tôt. Surtout qu'aujourd'hui, on s'attaque davantage à la gent féminine. Sait-on jamais, peut-être que la gent masculine pourrait être concernée plus tard.
Les gens sont obligés de modifier leurs habitudes de déplacement et d'être davantage vigilants par rapport à un certain nombre d'individus qui les approcheraient. C'est une situation qui ne touche pas uniquement Nkolbisson : hier c'était Minboman et il n'est pas impossible que demain ce soit par exemple Nkolmesseng. Pour dire qu'il faut aujourd'hui, à mon avis, repenser le réseau de sécurité dans les périphéries.