L’archevêque métropolitain de Douala, revient sur la lettre pastorale, commise en mars 2016 par les évêques de la Province Ecclésiastique de Douala, sur les moeurs et autres maux sociaux qui minent le Cameroun.
Mgr, les crimes rituels sont une vieille pratique au Cameroun et au Gabon. Pourquoi la Province Ecclésiastique de Douala se penche-t-elle aujourd’hui sur la question ?
Nous avons abordé ce grave problème des crimes rituels aujourd’hui, parce qu’ils constituent de graves maux pour notre société, et ils font de plus en plus de victimes. Il est un devoir pour nous les pasteurs de dénoncer ces crimes.
Il faut dire aussi que nous avons l’habitude de les dénoncer, lorsque nous annonçons la Parole de Dieu. Cette fois, nous avons fait cela de manière forte par une lettre pastorale. Cette lettre est donnée pour la méditation ; nous invitons tout fidèle à accueillir cette exhortation. Mais notons bien que ce phénomène croît de plus en plus et nous, les évêques d’une Province Ecclésiastique, nous avons voulu attirer l’attention de tous les fidèles, de tous les Camerounais de bonne volonté, sur ce phénomène qui devient de plus en plus grave et qui vraiment mine et détruit notre société. Et nous reprenons le commandement de Dieu que tout homme doit observer : « Tu ne tueras point».
Le faible impact que vous relevez ne découlerait-il pas d’une vulgarisation insuffisante de vos enseignements?
Aucun pasteur ne dira jamais qu’il a annoncé la Parole de Dieu de manière suffisante. La parole de Dieu, disons que l’Eglise est chargée de l’enseigner, chaque fois que l’occasion se présente. Il y a d’abord la célébration eucharistique et d’autres célébrations où la parole de Dieu est écoutée, et chaque fois nous en rappelons les exigences, nous rappelons ce que l’évangile nous demande de faire et nous le proclamons. Il s’adresse à un auditeur, à qui il revient de le recevoir. Donc la parole de Dieu est proclamée chaque fois avec la même force, parce qu’en fait c’est l’Esprit qui agit. Mais, peut-être que la manière dont elle va atteindre les fidèles est limitée. Ici à Douala, nous utilisons les moyens de communication moderne : la radio, la télévision et le journal. Même avec ces moyens, je ne peux pas dire que la Parole de Dieu est écoutée par tous. Nous laissons l’Esprit agir.
Votre position est-elle aussi celle de la Conférence épiscopale nationale dont vous êtes président ?
Bien sûr. On s’est toujours prononcés sur ce problème, nous les évêques. C’est l’ensemble de l’Eglise, parce que la mission de l’Eglise est d’éclairer, d’enseigner, et lorsqu’on voit aujourd’hui comment ce problème croît, en tant que pasteurs ayant une mission, nous sommes obligés de nous mettre tous ensemble pour condamner ces crimes.
Avez-vous l’impression que vos messages sont compris par le politique ?
Je n’ai pas seulement l’impression, je suis sûr que lorsque j’annonce l’Evangile, ceux qui m’écoutent l’accueillent. Mais après avoir écouté, il y a l’engagement à vivre en mettant en pratique cet enseignement. C’est là où le problème se pose, et nous demandons à la force de l’Esprit Saint de nous aider à accueillir la Parole de Dieu, à vivre selon la Parole de Dieu. La pédagogie de l’Eglise est celleci : lorsque nous écoutons la Parole de Dieu, nous n’avons pas à nous enfermer sur nous mêmes, mais nous sortons,nous allons dans le monde en vivant selon la Parole de Dieu. Justement quand nous dénonçons un mal tel que les crimes qui sont là, nous disons aux gens : « Ne tuez pas », « Ne blessez plus la dignité de vos frères », mais c’est à eux maintenant d’aller dans le monde pour mettre cet enseignement en pratique.
On connait l’affaire Djomo Pokam et celle de la disparition de l’enfant de la jeune Vanessa Tchatchou. Etes-vous satisfait des dénouements politique et judiciaire de ces scandales ?
Disons par la justice camerounaise. Pour moi le point le plus important, quand il y a un crime, des faits aussi graves, les vrais auteurs doivent être jugés, passer devant la barre. C’est ce que tous les Camerounais attendent. Tant que ce ne sera pas fait, je ne pourrai pas être satisfait, pas seulement moi ou les hommes d’Eglise, mais tous les Camerounais. Quand il y a un crime, il y a des auteurs et ils doivent répondre de leurs actes devant la justice.
C’est ce que tous les Camerounais attendent. Vous venez de citer une série de crimes. Alors est-ce que nous tous, Camerounais, nous n’avons pas vu les auteurs de ces crimes ? La justice ne nous a pas dit « voilà les auteurs, il y a eu telle audience », et nous attendons que cela se fasse.
Etes-vous d’avis avec ceux qui pensent que la justice et le gouvernement protègent les commanditaires au préjudice des individus plus ou moins innocents présentés parfois à l’opinion comme étant les coupables ?
Normalement dans notre Constitution, la justice est libre ; elle doit garder cette liberté-là. Donc s’il y a des affaires à juger, la justice doit faire correctement son travail. S’il y a des crimes, ce n’est pas une affaire de politique. Bien sûr que les hommes politiques agissent, c’est leur travail, mais l’affaire doit être confiée à la justice. Laissez la justice agir de manière libre pour qu’on puisse avoir la manifestation de la vérité, parce que le travail de la justice c’est d’arriver à ce que des crimes pareils ne puissent plus se répéter.
La justice est pour tous. Si en fait on n’arrive pas à retrouver, à juger les vrais criminels, ça veut dire que ceux-là ont commis des crimes aujourd’hui et peuvent le répéter tranquillement demain. Donc s’il y a ces faits-là, nous attendons que la justice nous en présente les auteurs. Comme nous voyons ailleurs, quand il y a des crimes, on cherche les vrais auteurs, et c’est ce que nous attendons ici au Cameroun.
Ailleurs justement, on a vu le parlement exiger une enquête sur des cas similaires. Notre parlement vous semble-t-il fortement préoccupé ?
En principe, quand il y a des crimes pareils, le parlement devrait se prononcer, dire clairement : « nous voulons qu’il y ait une enquête libre. » S’il y a ces faits-là, une enquête devra s’effectuer. Mais ici souvent personne ne réagit au niveau du parlement. Nos députés qui nous représentent ont cette attitude comme tout le monde, la peur, et puis, évidemment, rien ne se fait. Chaque fois qu’il y a des problèmes, les parlementaires devraient demander qu’il y ait l’enquête et que les Camerounais sachent la vérité. C’est ainsi que tout devrait se faire.
Il y a tout juste quelques semaines, l’affaire Koumateke, une femme enceinte éventrée par sa soeur aux urgences de l’hôpital Laquintinie de Douala dans le but de sauver ses jumeaux, faute d’assistance des médecins, défrayait la chronique. Tout récemment encore, une jeune journaliste a été déshabillée dans un hôpital de renom. Comment expliquer la recrudescence de ces atteintes aux moeurs ?
Il n’y a plus de morale, ce qui fait que nous ne respectons plus la personne qui est devant nous. S’il fallait contrôler cette femme, la journaliste dont vous parlez, cela est possible, mais ce contrôle doit être fait par une autre personne du même sexe qu’elle, et dans un endroit caché. Il n’est pas normal que des hommes déshabillent une femme pour la contrôler. Je remonte encore plus loin, parce qu’il y a aujourd’hui ce phénomène de la banalisation du sexe, la pornographie. Tout ce qu’on voit influe sur chaque homme.
Alors quand on se trouve devant une femme, on ne la respecte plus dans son état. Justement dans notre lettre nous dénonçons ces actes de manière très forte. Il faut qu’on revienne au respect de la personne, le respect du corps de la personne, pas seulement chez nous, mais dans le monde entier. Nous devons l’enseigner à nos enfants, à tout le monde, que la personne respecte son corps, et respecte le corps de l’autre.
La recrudescence de ces scandales peut-elle s’expliquer par l’impunité ?
Mais justement, l’impunité les encourage à continuer, elle pousse les crimes à se multiplier. Je crois que si, effectivement, il y a impunité, les gens pourront continuer tranquillement à agir et le nombre de criminels ne pourra qu’augmenter. L’impunité dans un pays favorise les crimes, parce que ça veut dire que tout homme peut faire ce qu’il veut, mais il ne sera jamais inquiété. Si quelqu’un pose un acte répréhensible et qu’il ne soit pas inquiété, demain il pourra encore recommencer tranquillement, parce qu’il sait que rien ne lui arrivera. L’impunité est un mal extrêmement grave et je crois qu’elle est en train de s’installer de manière forte dans notre pays.
Dans votre lettre pastorale, vous dénoncez également les difficultés d’accès des jeunes démunis à la formation et leur insertion problématique au monde professionnel…
Oui ! Nous abordons effectivement le problème. D’abord il faut dire que nous sommes à Douala. Tous ces jeunes qui viennent étudier ici à Douala, la plupart y restent, peut-être quelques-uns à la fin de leurs études trouvent du travail, d’autres n’en trouvent pas, et chacun reste vivre à Douala et cherche le moyen d’y vivre. Mais il y a tous ces jeunes-là qui n’ont pas d’emploi, donc c’est un problème extrêmement grave.
Ce qui fait que quand un jeune s’adresse à une société pour trouver du travail, tout ce qu’on lui demande, il est obligé d’accepter pour pouvoir trouver du travail. Imaginez une jeune fille qui a 20, 25, 30 ans, qui n’a pas de travail. Si on lui dit de se livrer, elle ne va pas hésiter et c’est ce qui arrive souvent non seulement aux filles, mais aussi aux garçons. Un autre phénomène : on demande régulièrement à ceux qui sont en recherche d’emploi de présenter une lettre de recommandation d’une autorité ; c’est le système de parrainage. Imaginez-vous, un jeune homme qui n’est pas recommandé ne pourra jamais trouver d’emploi. Voilà le système qui existe. Ce que nous voyons est un fléau pour notre pays. Pourquoi ?
Parce que l’entreprise privée n’arrive pas à répondre, donner assez d’emplois pour pouvoir aider l’Etat. D’ailleurs l’entreprise au Cameroun n’est pas développée. Or, l’Etat seul qui est employeur ne peut pas employer tous les Camerounais. Donc pour moi la solution pour éviter tous ces fléaux, pour aider tous ces gens qui souffrent, c’est qu’on développe l’entreprise privée. Autre chose encore grave, quelquefois il y a des entreprises qui veulent s’installer chez nous, mais la voie pour arriver à réaliser leurs projets est tellement sinueuse, on demande tant de choses que quelquefois, la société, découragée, quitte le Cameroun, va s’installer ailleurs. Ou si c’est un Camerounais, il dit peut-être non il ne fait rien, il fait autre chose. Donc il faut favoriser l’entrepreneuriat. C’est ce qui peut résoudre le problème. Il est difficile aujourd’hui de dire aux gens, à tous ces jeunes : « allez vivre en campagne ! ».
Qu’est-ce qu’ils vont faire là-bas en campagne ?
Ils ont étudié, mais on doit créer des entreprises qui fournissent des emplois à nos jeunes. Je crois que la solution est à ce niveau. Sinon, tant que nous ne sommes pas arrivés à résoudre ce problème-là, nous aurons tous ces jeunes qui sont victimes, parce qu’on leur propose n’importe quoi, ils acceptent et se livrent sans hésiter. Et même j’irai plus loin, même à l’école il y a des enfants, des jeunes qui sont obligés de se prostituer pour étudier. Ce n’est pas digne, mais c’est la situation que nous vivons dans notre pays. Que faire ?
Des observateurs avisés déplorent la fracture sociale très grande entre une minorité au pouvoir, qui a tous les moyens pour envoyer leurs enfants étudier dans des grandes écoles occidentales, dans la perspective que ceux-ci vont assurer la relève, et d’autres Camerounais, majoritaires, mais qui n’ont pas accès à une éducation de qualité. Quel regard l’Eglise porte-t-elle sur ce phénomène de reproduction sociale ?
Pour l’Eglise, la chance doit être donnée à tous de se former, à tout Camerounais. Nous avons le bien commun, le bien de ce pays, les ressources, toutes les richesses du Cameroun. Elles doivent être partagées de manière équitable à tous les Camerounais, pas seulement réservées à une petite classe.