Actualités of Friday, 1 September 2023

Source: www.camerounweb.com

Les dernières révélations d’Ahmadou Ahidjo sur le coup d’Etat de 1984

Ahmadou AHIDJO avait été accusé d'être l'instigateur du putsch d'avril 1984 Ahmadou AHIDJO avait été accusé d'être l'instigateur du putsch d'avril 1984

En mars 1985, l’ancien président camerounais feu Ahmadou Ahidjo avait accordé une interview au journal Afrique-Asie dans laquelle il a abordé plusieurs sujets notamment son choix porté sur Paul Biya pour gérer le Cameroun et le coup d’Etat dont il fut accusé d’être l’instigateur.


Lire la déclaration d’Ahmadou Ahidjo sur le sujet:



M. Paul Biya, président de la République, reçoit son Premier ministre M. Bello Bouba Maïgari. Ils s’entretiennent de tous les problèmes de leurs charges.

Ils se quittent apparemment en confiance et bonne harmonie, Et c’est environ deux heures après cet entretien que le Premier ministre, à sa grande surprise, apprend par la radio nationale, à l’émission de la mi-journée, qu’il venait d’être procédé à un remaniement, tel et tel autre entrant. Le Président ne lui en avait soufflé le moindre mot au cours de leur entretien. Ce remaniement touchait notamment le ministre secrétaire général de la Présidence dont les bureaux se trouvent à la présidence de la République même. Il y avait travaillé toute la matinée jusqu’à 13 heures avec le Président et, c’est quelques minutes après, en arrivant à son domicile, qu’il apprenait par la radio la nouvelle de son départ du gouvernement.

Considérant que c’était la preuve d’une absence totale de la -confiance et d’estime du Président à son endroit, Bello Bouba Maïgari a estimé que sa dignité lui recommandait oie rendre son tablier. D’autres ministres qui avaient aussi des raisons de penser qu’ils ne bénéficiaient eux non plus de l’estime, ni de la confiance du Président, voulaient également démissionner. D’où leur décision de se concerter avant de mettre leur projet à exécution, de venir m’en parler en tant que .1D-résident de l’UNC et tout de même, on me permettra de le penser, s’agissant du Cameroun et dans le contexte que voilà, un homme à qui il n’est pas impensable qu’on puisse demander conseil.

Malgré le bien-fondé de leur mécontentement, après réflexion, de Garoua où je m’étais rendu le jour même, j’envoyais un message au Premier ministre leur recommandant de ne pas démissionner pour éviter d’ouvrir une crise qui aurait pu être préjudiciable aux intérêts du Cameroun.

Aucun de ceux qui ont participé à cette réunion, même ceux qui sont des hommes de confiance de M. Biya et qui sont toujours membres de son gouvernement, n’ont pu dire autre ose. Et pour cause !

On permettra de poser quelques questions : Chef de l’Etat pendant 25 ans, venant à peine de quitter librement et volontairement le pouvoir ; Président en exercice de l’UNC, parti dont je suis le créateur, ne pouvais-je donc recevoir ou réunir telles ou telles personnes et parler avec elles des questions qui les concernent, que ces questions soient privées, politiques ou sociales ? Les ministres n’ont-ils pas le droit de démissionner ? La loi camerounaise interdit-elle ceci ou cela ? Où est le délit ? Où est la subversion ?

Quant à la réunion à laquelle ont participé certains officiers du Nord, le commandant Abdoulaye a pu affirmer devant le tribunal sans qu’on lui ait opposé le moindre démenti, que deux réunions similaires regroupant des officiers de l’ancienne province du Centre-Sud (province dont M. Biya est originaire) s’étaient tenues au bureau et au domicile du général Semengue sans qu’on y ait trouvé à redire.

Dans ce contexte, si réunir certains officiers du Nord et leur dire c’est l’essentiel de ce qui a été dit au cours de cette réunion et qui fut répété devant le tribunal spécial, si donc leur dire : «nous allons démissionner du gouvernement. C’est une affaire politique qui ne vous concerne pas, et dont vous ne devez pas vous mêler» est subversif, c’est que les mots n’ont plus de sens.

Le cas du général Pierre Semengue mérite qu’on s’y arrête un peu, car il est éclairant. Le général Semengue avait ordonné, alors qu’aucune circonstance ni aucune raison ne le justifiait, une marche des troupes de différentes garnisons du territoire sur Yaoundé. Et cela, non seulement sans l’autorisation du ministre des Forces armées, mais à l’insu de ce dernier, en violation flagrante des règles impérieuses régissant tout déplacement de troupes au Cameroun.
Le ministre, informé de ce qui se passait par les autorités préfectorales des villes et villages traversés, comme elles en avaient l’obligation, eu juste le temps d’arrêter cet étrange déploiement avant l’arrivée des troupes à Yaoundé. Interrogé, le général Semengue ne sut donner aucune explication valable.

Le président de la République nie avoir eu connaissance du mouvement ou l’avoir autorisé. Sur rapport de son cabinet militaire, le Président ordonna qu’il soit pris une sanction sévère et exemplaire contre le général pour faute grave. Comédie et mensonges indignes d’un chef d’Etat. La suite devait établir que le général avait bien agi sur ordre du Président. Pour apaiser sa colère et sa déception, et rattraper le «lâchage» dont il avait été l’objet, il reçut, avant même la fin des arrêts qui lui furent infligés, une promotion tout à fait inattendue pour quelqu’un qui venait d’être sanctionné pour faute grave : il fut nommé chef d’État-major général de toutes les Forces armées, poste nouvellement créé.

Pendant ce temps, le ministre des Forces armées avait lui, démissionné. Curieuse promotion pour un officier général qui venait d’être sanctionné pour faute grave !

Je suis en fuite à l’étranger

C’est le tribunal spécial qui l’affirme, sans craindre, semble-t-il, de sombrer dans le ridicule.

J’ai en effet quitté le Cameroun le 19 juillet dernier pour venir en France suivre un traitement médical et me reposer. M. Biya savait si bien où j’étais et comment me trouver qu’il m’a dépêché, pendant que j’étais encore à la clinique, dans le Midi, un membre de son cabinet, chargé de mission à la présidence de la République, pour m’apporter une lettre.

Je suis en fuite et j’ai quitté le Cameroun normalement avec un passeport diplomatique et des visas en règle, ainsi qu’une partie du personnel civil et militaire à mon service, personnel payé par le gouvernement camerounais.
Depuis que je suis en France, certains d’entre eux sont rentrés au Cameroun, d’autres sont venus les remplacer, ils ont été mis en route par le gouvernement camerounais avec feuille de route officielle, visas.., et leurs salaires régulièrement payés par le Cameroun. Je suis en fuite, mais l’ambassade du Cameroun en France sait où me joindre.

Je suis en fuite et ai cependant, de Dakar où j’étais, envoyé au mois de janvier 1984 un télégramme à M. Paul Biya pour protester contre la violation de mon domicile de Garoua sans aucun mandat l’autorisant.

Je suis en fuite et le. Président Abdou Diouf a eu l’occasion à plusieurs reprises, de dire à M. Biya que j’étais à Dakar depuis le 1er novembre 1983. Vous le voyez, la stupidité le dispute au grotesque.

M. Paul Biya lui, après avoir monté son affaire, quitte subrepticement le Cameroun quelques jours avant l’ouverture du procès pour se réfugier dans les montagnes de Suisse et attendre en Europe, le déroulement des choses. On peut poser la question : qui de nous deux a fui ?

Le complot en vue de l’élimination de m. Biya et le procès

Comme je l’ai dit plus haut, j’avais fait de M. Paul Biya membre du comité central et vice-président du parti. Je lui avais donné tout pouvoir pour me remplacer et diriger le Parti en cas d’absence ou d’empêchement. Je lui avais dit que le président, étant élu par le congrès, je quitterais la présidence à son profit avant- le congrès prochain.

Ma surprise a été grande, dans ces conditions, de recevoir de M. Biya, alors que j’étais à la clinique à Nice, et qu’il avait tous les pouvoirs, une lettre par laquelle il me demandait de lui abandonner la présidence de l’UNC.
Je lui répondis que ce problème qui n’en était pas un en réalité si l’on veut bien se reporter à ce que je viens de répéter ne concernait pas que moi et que, aucun péril ne menaçant, nous en déciderons ensemble dès mon prochain retour au pays. C’est après la réception de ma réponse que mon aide de camp, Salatou, a été arrêté. Quant au commandant Ibrahim, il fut inquiété et se vit retirer son passeport.

Quelques jours après, il est arrêté.

Quand le commandant Ibrahim et le capitaine Salatou ont été arrêtés, tout avait déjà été préparé. Avant même qu’ils aient été interrogés, un document qu’ils n’avaient plus qu’à signer était déjà établi. Les menaces, les sévices, la torture ont convaincu les deux malheureux d’avoir à s’exécuter. Ce sont là, les « aveux spontanés ». Mais à vouloir trop faire, on finit par faire des bêtises et par se trahir.

Voici donc deux personnes sur qui pèsent des accusations graves qui risquent leur tête. Elles font tout, et leur famille avec elles, pour avoir un bon avocat pouvant échapper aux pressions du pouvoir et capable de leur apporter la défense efficace qui les tirerait d’affaire. Leurs épouses écrivent pour solliciter le concours de Me Bournazel de Paris. Ce dernier n’a jamais reçu de réponse toutes les demandes adressées par lui au président du tribunal pour savoir la date du procès. Mieux, les détenus qui encouraient la peine de mort, refusent subitement le concours de tout avocat y compris l’avocat camerounais commis d’office pour eux. Vous avez pu lire dans la presse française que le commandant Ibrahim Oumarou tremblotait lorsqu’il a fait savoir ce refus à Me Pierre Fouletier, avocat camerounais, qui seul, a pu rendre visite aux deux accusés en prison.

Est-il nécessaire, parlant à des hommes avertis comme vous, d’insister sur le misérable marché de dupes passé par le pouvoir avec les accuses. Nul au Cameroun comme à l’extérieur ne s’y est trompé. Quant à moi, c’est par la presse internationale et par des témoins qui me l’ont rapporté que j’ai appris que j’étais l’objet, comme inculpé, du procès qui se déroulait à Yaoundé. Je n’ai jamais été avisé de l’ouverture d’une information me concernant. Je n’ai non plus jamais reçu notification de la moindre citation à comparaître. Aucune convocation, aucun document d’aucune sorte ne m’a été adressé, ni à mon domicile à Garoua, ni en France. Nulle part et l’on prétend me juger en arguant que je suis en fuite !

Mieux encore, l’avocat commis d’office pour assurer ma défense, le bâtonnier Black Yondo, a reçu l’avis de sa désignation le 22 février, veille de l’ouverture du procès ! (Le Monde 29/02/84). Et «Le Monde» qui relate ces faits ajoute : «Etant dans l’impossibilité de vérifier les conditions de la contumace, il a demandé – sans succès – le renvoi du procès». Tout est clair.
Oui il y a eu un complot, un complot contre Ahidjo et probablement aussi contre le Nord Cameroun comme cela ressort lumineusement de tout ce que nous venons de voir.

Et pourtant, le Nord, comme toutes les régions, n’a jamais manqué à ses devoirs nationaux, et je me suis considéré comme l’homme de tout le Cameroun et non celui d’une région.

Pourquoi et comment, me direz-vous, en est-on arrivé là ?
L’explication ici aussi est simple. C’est un fait qu’il ne faut pas nier, que le climat, à la suite de plusieurs frictions, s’était bien détérioré entre M. Biya et moi. M. Biya a pris peur pour son pouvoir, peur de le perdre. Il lui fallait, a-t-il cru, coûte que coûte, trouver quelque chose d’assez énorme pour provoquer un choc, soulever le peuple d’indignation et le mobiliser à son profit en le faisant, apparaître comme l’innocente victime d’une monstrueuse machination.

L’opération, du même coup, grâce au choc et à l’ambiance ainsi créés, lui permettait de se saisir complètement du parti et d’asseoir son pouvoir en m’éliminant, comme lui recommandaient sans cesse certains de ses conseillers politiques et occultes. Faire assassiner Biya ! Plus j’y réfléchis et plus je découvre à quelles aberrations le désarroi et la peur peuvent conduire. M. Biya croit-il seulement à cette ineptie ?

Admettre que je sois l’homme vouloir cela est une injure quelconque. Même en admettant cette hypothèse, comment expliquer qu’un homme, qui n’est peut-être pas plus intelligent qu’un autre, mais qui n’est pas habituellement tenu pour un parfait idiot, qui connait un peu le Cameroun, son pays, et l’a gouverné pendant 25 ans, s’y prenne de façon aussi enfantine, improvisée, ridicule ?