Trois questions à Sosthène Fouda sur la gouvernance politique au Cameroun. Nous voulons mieux vous suivre, quand vous dites : « La dictature est une notion plus restreinte. Elle implique le plein exercice du pouvoir par un homme seul, sans contrôle, sans limitation de ses compétences, sans limitation de la durée de son mandat. Un dictateur peut arriver au pouvoir par la force ou il peut être élu mais se maintenir contre le droit et par l'oppression. »
Peut-on opposer d'abord régime autoritaire et démocratie ? Le régime autoritaire ne peut-il pas être une dérive de la démocratie?
Je voudrais en premier préciser une chose si vous voulez bien. Nous avons très peu d’enquêtes et de baromètre pour pouvoir comprendre la gouvernance politique dans notre pays. Nous devons accepter de sortir des concepts forgés pour d’autres sociétés pour nous interroger nous-mêmes, pour interroger ce que nous vivons. Ceci accepté, c'est effectivement un processus que l'on constate assez couramment. A la limite, si l'on se fie à l'étymologie de la notion d'autorité, tout Etat a une dimension autoritaire.
Qu'un leader fasse usage de son ascendant, de son charisme, de son aptitude à diriger, et on entre dans le champ de l'autoritarisme sous des variantes très englobantes : exercice solitaire du pouvoir, omnicompétence, "dérives présidentielles", personnalisation du pouvoir, etc. Beaucoup de témoignage du régime Sékou Touré entre dans ce cadre alors qu’au moment où la Guinée accède à l’indépendance le régime présente tous les aspects d’une démocratie, dialogue avec le peuple notamment.
Maintenant il ne faut pas oublier non plus que la démocratie n'est pas seulement un modèle idéal de cité. C'est aussi une technique de gouvernement, et donc potentiellement une forme de domination. Mais la domination en démocratie est encadrée par la loi fondamentale, celle-ci ne bouge pas tout le temps, c’est elle qui consacre la stabilité de l’Etat et non les armes et une armée au service d’un homme.
La démocratie c’est la séparation des pouvoirs, ceci à tous les niveaux. Quel est l’usage qui est fait des médias dans notre pays ? Que font les médias des populations ?
L’usage systématique de la manipulation des masses passe par les médias et la prolifération du clientélisme, tu népotisme y est masquée. Toutes ces pratiques diluent l’espace public or aucune société ne peut être à l’abri de la dictature sans espace public, sans débat public. Il est important de surveiller le comportement des médias au Cameroun pour vous rendre compte de l’état de gouvernance du pays.
Si l'autoritarisme arrive au pouvoir par des voies démocratiques, peut-on toujours le considérer comme non démocratique ?
Encore une fois, l'opposition démocratie-autoritarisme est trop simple et en partie fausse. La démocratie étant une technique de gouvernement et l'autoritarisme une posture plus ou moins affirmée, les deux concepts peuvent se combiner dans la pratique.
Un président élu le sera d'abord dans des conditions plus ou moins contestables. Mais même à la faveur d'une élection totalement libre, les dérives autoritaires peuvent être fréquentes, et conduire à des formes d'exercice de pouvoir qui n'ont plus grand-chose de démocratique.
Lorsque les institutions sont fortes, ces dérives sont contrôlées ; Vous vous souvenez sans toute de la déclaration du président Obama, l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes, c’est ici qu’elle prend tout son sens. Lorsqu'elles sont incertaines, elles ne sont plus maîtrisées. Les exemples sont légions dans la sous-région.
Donc les deux variables dont nous devons tenir compte sont, d'une part, la qualité des institutions et la manière dont elles sont respectées, ainsi que l'intensité du débat public qui est seul en mesure de maintenir une vie démocratique ordinaire.
Les régimes autoritaires sont-ils durables comme a priori les démocraties ?
Certains, à l'instar des empires, ont traversé plusieurs millénaires… Ce n'est pas l'autoritarisme qui est précaire, ce sont les mécanismes de sa personnalisation. Un régime trop personnalisé dépend de la pérennité des succès de son dirigeant. Un échec sur le plan national ou international conduit à des logiques d'usure qui s'observent également dans le jeu démocratique, mais qui sont évidemment beaucoup plus corrosives dans un contexte autoritaire.
La déflagration est toujours terrible comme vous l’avez vu avec certains régimes qui ne sont pas loin de nous. Dans les démocraties ce sont les institutions qui sont pérennes, dans les dictatures tout s’écroule avec le dictateur.