Le Cameroun est devenu le théâtre de la plus longue coupure d’accès à Internet (à la fois sur le réseau filaire et mobile) enregistrée sur le continent africain à ce jour. Depuis le 17 janvier 2017, les deux régions anglophones du pays (Nord-Ouest et Sud-Ouest) sont privées de connexion.
La mesure fait suite à une série de manifestations, dont certaines ont été violemment réprimées par la police, pour protester contre les discriminations dont fait l’objet la minorité anglophone du pays et réclamer plus d’autonomie.
Les régions anglophones rassemblent 20% de la population camerounaise estimée à quelque 22,5 millions d’âmes. L’année 2016 marque un nouveau tournant dans la dénonciation de la marginalisation dont les anglophones se disent victimes. Ces derniers estiment qu’ils sont traités comme des citoyens de seconde zone dans un système socio-politique dominé par le français parlé dans les 8 autres régions du pays. La langue de Voltaire et l’anglais sont pourtant toutes les deux les langues officielles du Cameroun.
Un ras-le-bol général
La grogne a commencé en octobre 2016 face au silence du pouvoir alors que les avocats réclamaient le départ de juges francophones nommés dans l’ouest du pays. En mai 2015, une association de juristes anglophones avait demandé au président camerounais Paul Biya de revenir sur leur nomination, les magistrats n’étant pas au fait du «Common Law», le système juridique anglo-saxon en cours dans cette partie du pays.
Le mouvement de protestation s’est ensuite étendu aux enseignants et aux étudiants, avant d’embraser tout le monde anglophone. En matière de justice, d’éducation et de représentation politique, les anglophones s’estiment lésés depuis la réunification des Cameroun francophone et anglophone en 1961 et l’abolition du fédéralisme en 1972.
«Nous recevons tous les jours des messages de détresse émanant de cette partie du Cameroun, beaucoup de messages de personnes qui sont inquiètes aussi, indique Julie Owono, responsable Afrique de l’ONG Internet sans frontières. Notamment au moment où la répression s’est intensifiée – arrestation de leaders politiques ou de simples badauds pris avec des tracts en leur possession – et qu’aucune information ne filtrait via Whatsapp, Viber… Il y a trois mois encore, on avait des images, par exemple, des manifestations qui se sont déroulées à l’université de Buea (fin décembre 2016, NDLR) et qui ont été violemment réprimées par la police.»
Les ONG de défense des droits numériques et les Nations Unies ont déjà demandé à maintes reprises aux autorités camerounaises de rétablir la connexion à Internet dans les régions concernées. En vain. «La suspension d’Internet à cette échelle viole le droit international. Elle ne supprime pas seulement le débat public, mais prive également les Camerounais de l’accès aux services essentiels et aux ressources de base», a déclaré David Kaye, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression.
Le silence des opérateurs privés
L’organisation de défense des droits numériques Access Now et sa campagne #KeepItOn, à laquelle est associée Internet sans frontières et plusieurs autres associations, a également interpellé les opérateurs privés de télécommunications, notamment le sud-africain MTN, le français Orange et le vietnamien Nexttel.
«Le contexte camerounais s’avère très particulier, explique Julio Owono. D’habitude, les entreprises privées sont promptes à se désolidariser des autorités dans ce type de situation. Nous avons également essayé de les contacter mais aucune n’a donné suite. C’est la première fois que nous sommes confrontés à ce cas de figure. Les abonnés s’en prennent aujourd’hui à ces opérateurs. On ne peut pas leur en vouloir puisque nous n’avons pas la preuve que les firmes concernées sont en désaccord avec cette censure. Par ailleurs, contrairement à l’Ethiopie (où l’internet mobile a été suspendu pendant plus de deux mois en 2016, NDLR), l’état d’urgence avait été déclaré dans les régions concernées. Ce qui n’est pas le cas au Cameroun. Ce qui se passe aujourd’hui dans les régions anglophones n’a aucun fondement légal, ne serait-ce qu’au regard même de la loi camerounaise.»
Le coût de la coupure était estimé à 1,39 millions de dollars à la mi-février par les ONG. Et «ce n’est qu’une estimation de base», insiste Julie Owono. La ville de Buea, chef-lieu de la région du Sud-Ouest, baptisée la «Silicon Mountain» parce qu’elle a vu naître plusieurs start-up prometteuses, est aujourd’hui particulièrement pénalisée.
«C’est une très mauvaise décision du gouvernement camerounais d’autant que le pays se targue d’être l’un des pionniers de l’économie digitale en Afrique centrale. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. Cela va avoir un sérieux impact sur l’économie camerounaise qui souffre déjà (le FMI préconise depuis 2016 un retour aux plans d’ajustement structurels, NDLR)».
#BringBackOurInternet est devenu le mot d’ordre de ralliement pour exiger la fin de ce blocus numérique. Le mouvement est porté par ceux que l’on a appelé les réfugiés numériques. Ces derniers ont trouvé asile dans d’autres parties du pays, à Douala entre autres, la capitale économique du Cameroun, pour poursuivre leurs activités professionnelles.