Actualités of Tuesday, 18 January 2022

Source: BBC

Lutte anticorruption : les Seychelles à la recherche de 50 millions de dollars disparus

Six personnes interpellées dans l'affaire Six personnes interpellées dans l'affaire

Six des citoyens les plus éminents des Seychelles, dont l'ancienne Première Dame, sont accusés dans une affaire de détournement de fond public a hauteur de 50 millions de dollars. Sur l'archipel, cette histoire de corruption a fait grand bruit tout en faisant courir des risques à certains habitants, comme le rapporte Patrick Muirhead.

Derrick Labrosse, un pêcheur de 25 ans, répare ses pièges avant de les placer soigneusement dans son petit bateau de pêche sur le rivage de l'Anse à la Mouche, petit coin de paradis digne de figurer dans une brochure de vacances.

Ses doigts épais travaillent adroitement les structures en bambou tressé, appelées kazye. Il a appris cette méthode de pêche traditionnelle auprès de son père et de son grand-père, qui ont nourri leur famille avant lui, et qui fournit aujourd'hui juste suffisamment pour subvenir aux besoins de sa petite amie et de leur fille de six ans.


Mais ce matin, M. Labrosse, comme beaucoup de Seychellois, se demande comment il aurait pu bénéficier de la somme disparue.
"Les 50 millions étaient un cadeau pour les Seychellois et nous ne les avons pas eus", dit-il en serrant les dents, ses yeux sombres brillants d'amertume.
Il s'agit d'une somme qui fait tourner la tête et que presque aucune des 100 000 personnes vivant sur ces minuscules parcelles de paradis de l'océan Indien occidental ne peut vraiment imaginer, encore moins gagner en une vie, ni même voler.
Pourtant, on prétend qu'elle a été volée.

Un don qui disparaît

L'argent était un don il y a 20 ans des Émirats arabes unis à la petite république, destiné à aider les îles en difficulté à surmonter une pénurie de devises étrangères et à payer les produits de base : riz, farine, huile de cuisson.

Le don n'a jamais été versé. Au lieu de cela, selon l'acte d'accusation de la Cour suprême, il a été siphonné par un proche allié de l'ancien président Albert René, blanchi avec l'aide d'autres personnes par le biais d'une sombre privatisation d'actifs publics sous-évalués, et dispersé sur des comptes bancaires dans le monde entier.
Les six accusés n'ont pas officiellement commenté les accusations.

Les six accusés
• Mukesh Valabhji, homme d'affaires et ancien conseiller économique du Président René
• Laura Valabhji, son épouse, avocate
• Leslie Benoiton, ancien lieutenant-colonel des forces armées, fils de René
• Lekha Nair, ancienne fonctionnaire au ministère des Finances
• Maurice Loustau-Lalanne, ancien ministre des Finances et ministre du Tourisme
• Sarah René, ancienne première dame, veuve de René

Le pêcheur, comme beaucoup d'autres ici, est cependant optimiste quant au recouvrement des fonds.

Il place sa confiance dans le nouveau gouvernement du président Wavel Ramkalawan, dont le parti Linyon Demokratik Seselwa a remporté les élections il y a 14 mois, en promettant d'éradiquer la corruption qui, pour beaucoup, était devenue synonyme de 43 ans de régime du parti de René.

"Je sais que le gouvernement actuel est très sérieux dans sa volonté de mettre fin à la corruption", déclare M. Labrosse. "Avant, ils ne faisaient qu'en parler. Mais maintenant, ils attrapent les gens. Cela a ouvert les yeux des Seychellois. Nous voulons tous récupérer l'argent."

Au départ, le président Ramkalawan, un prêtre anglican, faisait partie de l'opposition clandestine. Il a passé 30 ans dans les affres de la terreur, mais sans jamais se laisser abattre par la répression du parti unique sous René et son successeur, James Michel. Il a finalement balayé la dernière incarnation la plus libérale de l'ancien régime, dirigée par Danny Faure, lors des élections d'octobre 2020.

Mais les arrestations surprenantes dans l'affaire de corruption de 50 millions de dollars de plusieurs personnes très en vue - dont la veuve du défunt président René - ont porté un grand coup auprès d'une population dépendante du tourisme.

La découverte d'une vaste cache d'armes militaires au domicile de deux des accusés n'a fait qu'ajouter au scandale.

Dans une interview accordée à la BBC, M. Ramkalawan s'interroge : "Pourquoi ces armes étaient-elles conservées ? Toutes ces choses que j'entends ne m'effraient pas. Mais il faut être prudent."

Le prêtre-président s'attend maintenant à une collecte exceptionnelle auprès des purgés et des pénitents de sa congrégation, une manne d'argent pour son pays comme jamais auparavant.

On suppose qu'une partie de l'argent disparu se trouve encore sur des comptes bancaires et qu'il a accumulé des intérêts au cours des 20 dernières années.

"Nous espérons que les 50 millions ont maintenant produit des centaines de millions et nous espérons tout récupérer", dit-il.

"Cette administration a une tolérance zéro pour la corruption et nous allons essayer de ramener chaque centime dans les coffres du gouvernement, car l'argent était destiné au peuple des Seychelles et ce crime ne sera pas pardonné."


Réunion dans un lieu secret

C'est à May de Silva, commissaire anticorruption du pays, qu'incombe la tâche de retrouver les millions manquants et ceux qui les ont dérobés. Consultante en gestion, de retour dans son pays après des études et une carrière à l'étranger, elle me rencontre à un endroit secret, une suite de bureaux déserts et peu meublés dans la capitale des îles, Victoria.

"Je dois être très consciente des dangers qui nous entourent. Le gouvernement a mis en place des dispositions pour assurer ma sécurité personnelle", dit-elle.

"Les décisions que nous prenons touchent des personnes occupant des postes élevés. Ils ont une position très forte, ils ont [un] bon réseau, non seulement aux Seychelles mais peut-être à l'étranger."

Elle doit examiner 55 affaires de corruption, dont les 50 millions de dollars manquants. Mais, avec l'aide d'enquêteurs britanniques et européens, elle est déterminée à obtenir des condamnations et à ramener l'argent au pays.

"Si vous avez mis votre argent à la banque, nous le trouverons", insiste-t-elle, "et si vous n'avez pas mis votre argent à la banque, vous devrez expliquer d'où venait l'argent pour acheter vos maisons et vos voitures. Nous sommes allés très loin en termes d'informations numériques - il y a un accès."

La mission consiste en partie à rassurer les donateurs étrangers amis, mais aussi à apaiser l'UE, le FMI et la Banque mondiale, qui ont tous intérêt à ce que la réglementation financière soit respectée dans un paradis fiscal offshore autrefois notoirement louche.



"Nous devons également envoyer un message fort au continent africain, à savoir que nous devons faire le ménage dans nos affaires", déclare le président Ramkalawan.

"Aussi petits que nous soyons, nous montrons l'exemple. Espérons que cela se répercutera dans d'autres régions d'Afrique et que les ressources de notre grand continent seront utilisées à bon escient", ajoute-t-il fièrement.

M. Labrosse, le pêcheur, a de grands espoirs pour les millions manquants. Pour lui, l'heure de la revanche a sonné.

"L'argent qu'ils récupèrent peut être utilisé pour construire de meilleures routes et davantage de maisons. Nous pouvons construire un nouvel hôpital et des écoles", dit-il avant de repartir avec ses casiers, ajoutant avec espoir : "et ils pourront peut-être donner une petite prime à tout le monde."