Actualités of Saturday, 25 November 2017

Source: ebugnti.wordpress.com

Malgré l’esclavage, des jeunes Camerounais veulent retourner en Libye

Plus de 200 migrants camerounais ont été rapatriés à Yaoundé Plus de 200 migrants camerounais ont été rapatriés à Yaoundé

Alors que l’on continue à découvrir, avec consternation et stupeur, les témoignages toujours aussi ahurissants de l’enfer libyen, de nombreux jeunes camerounais nourrissent déjà le projet de reprendre la route du désert.

Dans le taxi qui la ramène chez-elle ce vendredi 24 novembre 2017 au soir, Marie*, une jeune trentenaire, est au téléphone avec Albert*, un ami d’enfance. Elle n’a pas eu de ses nouvelles depuis quelques temps et ne sait plus tout à fait reconnaître son emprunte vocale.

Le jeune homme finit par décliner son identité. La correspondante n’a pas le temps de se le remémorer qu’il lui confie revenir de Libye. La confidence est faite avec une réelle fierté, voire de la bravoure.

Marie se confond en complaintes, soucieuse de compatir au malheur qu’est sensé avoir vécu son interlocuteur. Mais celui-ci ne semble pas du tout avoir la même appréhension de son séjour libyen.

Il n’aura pas le temps de lui expliquer son exploit. D’ailleurs pas besoin, puisqu’il lui fait part de sa détermination à repartir. La jeune femme en est toute retournée.

Marie ne comprend pas que quelqu’un qui a vécu cet enfer, ce qu’elle a vu et qu’on a raconté depuis plusieurs jours, songe à tenter de nouveau l’expérience. Elle essaye de l’en dissuader. Mais c’est peine perdue.

Le jeune homme appelait pour lui offrir « une bière ». Bon gré, malgré, elle prend rendez-vous avec son brave ami. Elle ne veut pas vraiment y aller, mais espère en profiter pour le convaincre de ne pas récidiver.

Une obstination suicidaire

Pour elle, c’est quelqu’un « qui ne veut rien faire ». Elle estime que, « avec ce qu’ils dépensent pour la traversée du désert (deux millions de francs CFA au bas mot), ces jeunes ont largement de quoi entreprendre un projet économique ici ».

Bien des observateurs sont de cet avis. Certes, ce qui se passe en Libye est absolument inacceptable, au summum de l’inhumanité.

C’est vrai aussi que les pays africains ne garantissent pas à leur jeunesse les conditions d’une espérance vive et des certitudes d’avenir.

Mais la mauvaise gouvernance n’explique pas tout. Cette opinion estime qu’il y a, dans le désespoir d’aller obstinément chercher ailleurs des perspectives qui manquent ici, comme le paradoxe de la démission et de la fainéantise que ne disent pas le risque et les dangers bravés par ces jeunes.
Le fait est encore plus pertinent après les évènements effroyables qui mobilisent le monde entier depuis quelques semaines.

Le gouvernement a versé un pécule à chaque migrant ramené de Libye. Samuel Eto’o, de sources concordantes, leur disposé à chacun un million et demi pour s’installer. Cette somme pourrait bien servir à financer de nouvelles aventures vers l’enfer de l’esclavage.

Rebelote …

Le cas de Albert n’est malheureusement pas isolé. Il y a quelques jours, Hervé Moukouri, journaliste et Rédacteur en chef de la chaîne de télévision Dan Broadcasting System (Dbs), publiait sur les réseaux sociaux un épisode qui n’est pas anecdotique.

La trame du drame est exactement la même. Une conversation téléphonique, cette fois, entre un père et son fils. Le fils appelle le père pour lui annoncer qu’il a été ramené de Libye.

Joyeux d’apprendre que son garçon a survécu à l’enfer du désert, l’homme manifestait naturellement son impatience de revoir bientôt sa progéniture.
Malheureusement le garçon lui annoncera qu’il n’aura pas le temps de venir le voir, car devant repartir. Décidé à ne pas vivre dans ce pays où il n’a pas d’avenir.

Loin de les condamner, il faut avoir une vision plus holistique de la question. Aux causes de gouvernance, dont la pertinence n’est pas contestable, il faut associer différents schèmes de pensée qui ont construit l’imaginaire populaire africain depuis le début des années 1990.

L’apologétique de l’Occident

Parmi eux, il y a le rêve occidental, vendu même au non disant. L’Europe a été présenté comme l’Eldorado où personne n’échoue. Ce que l’on pourrait appeler l’apologétique occidentale.

Les Africains d’Occident, qui reviennent investir en Afrique ou alors déployer leur confort lors de séjour souvent très courts sur le continent participent énormément à construire ce modèle.

Il serait difficile de leur en faire le reproche, tant il est vrai que d’ici, on est très loin d’imaginer le drame qu’ils vivent au quotidien. D’ailleurs, beaucoup ont entrepris de leur dire, mais il faudra sans doute du temps pour déconstruire cette perception.

Les quêtes de la facilité

En filigrane, il y a l’idée de l’argent facile. Sans doute pas de gain, puisque la preuve est là des affres par lesquelles ils gagnent, pour la plupart, cet argent (prostitution, homosexualité et trafics de toutes sortes).

De voir un tiers familier, à qui on pourrait très souvent servir de précepteur, venir s’imposer à coup de billets de banque à une structure sociale où l’argent a été érigée en valeur absolue, peut être très frustrant mais davantage encore incitant.

La médiatisation négativiste du continent africain

Il y a également, et c’est loin d’être exhaustif, la stigmatisation sociale de l’Afrique. Le discours sur le continent est d’un tel négativisme qu’il a fini par complément imprégner le soi psychique des Africains, les plus jeunes notamment.

Et ce n’est pas seulement le fait de l’objectivité. La médiatisation du pire, ou même le pire de la médiatisation. Là où le continent se définit par la famine, les guerres tribales et ethniques, les dictateurs et dictatures.

Où l’on fait, en parallèle et de façon systématique, l’éloge du développement, du modernisme et de la civilisation, bref l’apologie du modèle occidental.

À force de présenter les systèmes étatiques et la gouvernance des affaires publiques, faute d’une vision stratégique qui n’a rien à envier à la médiocrité qui l’ulcère, la critique en a oublié qu’elle posait en même temps des marqueurs identitaires dans la mémoire commune.

Résultat des courses, le désespoir est vendu à coup de slogans anti-systemique et les esprits les moins entreprenants, les mentalités les moins aguerries, et les inspirations les plus utopiques et même les compétences les moins reconnues ou frustrées ne rêvent que d’ailleurs. Là où elles devraient se mobiliser en vue d’une société meilleure.

Que faire ?

La qualité de la gouvernance des pays africains est incontestablement là première solution pour résorber le flux migratoires. Qu’il s’agisse d’ailleurs des cas désespérés comme de la fuite des cerveaux.

Mais croire que les politiques changerons parce qu’ils doivent changer est d’un point de vue psychologique utopique, doublé d’une utopie sociétale.
Tout comme il serait illusoire de convaincre les jeunes Africains de rester sur le continent alors que leurs congénères, qui prennent la route de l’Occident, reviennent « cousus de sous ».

Il est dans la nature humaine de faire des émules et être envieux. Ce serait donc encore moins intelligent de demander à ceux qui ont trouvé le « bonheur » de ne pas le manifester.

Par contre la mobilisation des énergies africaines, les jeunes notamment, doit être le premier combat de la critique. Car plus la jeunesse se sentira concernée, plus elle va s’impliquer et moins elle aura envie de partir.

Certes, le modèle de critique sociopolitique adopté par les Africains depuis les années 1990 a permis bien des avancées en matière de démocratie. Mais il faut bien se rendre compte qu’il a participé à plomber la citoyenneté et l’implication politique des jeunes.

Une réflexion doit donc être menée pour ajuster à la nécessité, notamment de la part des oppositions et les sociétés civiles africaines, et repenser leur modèle ; là où les pouvoirs politiques ont échoué à provoquer une véritable mutation sociopolitique.

Il faut complètement revoir nos valeurs et surtout la responsabilité communautaire. De fait, si l’herbe est si verte chez le voisin, c’est bien parce qu’il se donne la peine de la tondre.

Ainsi, plutôt que de fuire la misère de chez-nous, il faut travailler à l’amélioration des conditions de gouvernance car personne ne viendra le faire à notre place.

Quitte à ce que le prix à payer soit extrême. C’est toujours mieux que d’aller périr au désert, en fuyant ses responsabilités.

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes