Suite à une plainte de Bernard Njonga, ancien président de l’Acdic, le Tribunal criminel spécial a ouvert une enquête sur des détournements au ministère de l’Agriculture..
Huit ans après les dénonciations de Bernard Njonga, alors président de l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC) sur les détournements au Programme national d’appui à la filière maïs (PNAFM) du ministère de l’Agriculture, la justice se saisit enfin du dossier. Mardi dernier, 7 avril 2015, Bernard Njonga a été entendu comme témoin assisté au Tribunal criminel spécial (TCS).
L’affaire remonte à 2006. A la suite d’une campagne menée par l’Acdic, l’importation des poulets congelés est interdite au Cameroun. Mais la filière avicole nationale ne décolle pas. A l’origine, une crise du maïs (le maïs entre à 70% dans la fabrication de la provende du poulet).
En l’espace d’une année, le prix du maïs est passé de 90 FCfa à 200 FCfa le kilogramme. Pourtant, la filière avicole a bénéficié d’une subvention de 1,2 milliards FCfa pour renforcer et satisfaire la demande en qualité et en quantité de poulet sur le marché national et dans le même ordre d’idées, un Programme national d’appui à la filière maïs financé sur les fonds Pays pauvres très endettés (PPTE) a été créé. Ses missions: améliorer la production du maïs (faire en sorte que la production nationale de maïs couvre tous les besoins) et les revenus des producteurs de maïs. Face à la rareté du maïs et à ses conséquences sur l’aviculture nationale, l’Acdic entreprend des démarches auprès du Programme maïs pour savoir ce qui bloque.
Mais elle fait face à une opposition des responsables de ce Programme. C’est alors qu’elle engage des investigations. 288 Groupes d’initiatives communes (Gic) sont enquêtés dans les régions de l’Ouest, du Centre, du Sud, du Sud-Ouest, du Littoral et du Nord qui sont des bassins de production de maïs.
L’Acdic découvre de nombreuses irrégularités, notamment la création d’une centaine de Gic fictifs qui ont reçu des subventions du Programme maïs, des Gic qui existent dans les documents comptables mais dont l’activité sur le terrain ne concerne en rien l’agriculture, des Gic qui produisent le maïs, mais qui n’ont pas reçu la totalité des subventions. A la suite de cette enquête, l’Acdic adresse un mémorandum au ministre de l’Agriculture.
Conférence de presse interdite
Le 3 décembre 2008, une conférence de presse est prévue à l’hôtel Hilton pour présenter le rapport d’enquête de terrain de l’Acdic sur les pratiques de corruption ayant entaché l’octroi par l’Etat du Cameroun des subventions aux filières élevage avicole et production du maïs. Mais ladite restitution est interdite par le sous-préfet de Yaoundé III. Bernard Njonga s’entête et délocalise la conférence de presse au siège de l’Acdic à Elig-Essono.
Celle-ci sera perturbée par les forces de l’ordre. C’est finalement en catimini, dans les bâtiments du Lions club, que cette conférence de presse a pu se tenir. Accusé de trouble à l’ordre public, par la suite, Bernard Njonga est arrêté puis relâché.
Un procès est tout de même ouvert contre lui et il est condamné à trois mois de prison avec sursis. Mise au courant de ce rapport de l’Acdic, la Conac que présidait à l’époque Paul Tessa se saisit du dossier à son tour. Du 22 décembre 2008 au 20 janvier 2009, une mission composée entre autres de l’Inspecteur d’Etat Gilbert Bayoi du Contrôle supérieur de l’Etat, du commissaire divisionnaire Ekoumlong de la Police judiciaire procède à une contre-enquête sur 97 Gic.
Dans son rapport rendu le 27 février 2009, la mission observe entre autres que « des Gic figurant sur la liste des bénéficiaires des subventions ne se retrouvent nulle part dans les localités où ils sont supposés conduire leur activité. Sur 97 Gic enquêtés, 30 se retrouvent dans cette configuration ».
Ce qui rejoint les conclusions du premier rapport de l’Acdic. Le rapport de la Conac constate également que « des Gic non sélectionnés par le comité départemental maïs dont le nom apparait sur la liste des bénéficiaires introduits par la coordination nationale du Programme maïs ne se retrouvent pas dans les localités où ils sont pourtant annoncés sur le papier ».
Jean Nkuete
La Conac conclut que « les faits dénoncés par l’Acdic sont fondés et mettent à nu un vaste scandale financier autour de la gestion du Programme national d’appui de la filière maïs. De toute évidence on peut affirmer que les responsabilités dans cet immense réseau de prévarication sont partagées entre les responsables à tous les niveaux à savoir, la coordination du programme à Yaoundé aux chefs de poste agricoles en passant par les responsables départementaux et régionaux du Minader. Nous pouvons affirmer qu’une portion congrue seulement des ressources financières allouées est allée dans les champs. La majeure partie ayant servi les intérêts égoïstes des individus. Les sommes ainsi détournées s’élèvent à 700 millions FCfa au lieu de 1,2 milliard FCfa avancé par l’Acdic ».
Le rapport de la Conac recommande, compte tenu de la gravité des faits, que « les pouvoirs publics prescrivent une information judiciaire en vue de déterminer avec exactitude la responsabilité des uns et des autres ». Le rapport de la Conac cite 47 personnes soupçonnées de détournement, avec en tête le coordonnateur national du programme maïs, Paul Sikapin. En mars 2009, ce rapport est envoyé à Jean Nkuete qui était ministre de l’Agriculture.
Le 14 septembre 2009, six mois plus tard, face au silence du ministre, le président de l’Acdic décide de porter plainte au parquet du Tribunal de grande instance du Mfoundi contre les 47 personnes citées dans le rapport de la CONAC.
Le dossier est transmis par le procureur de la République au service central de recherches judicaires du Sed pour une enquête préliminaire. Le 9 décembre 2009, Bernard Njonga est entendu pour la première fois au Sed dans le cadre de cette affaire.
On n’entendra plus parler des détournements au Programme maïs jusqu’à l’arrestation du coordonnateur national de cette organisation, Paul Sikapin, en février 2015, suite à un mandat de détention provisoire décerné contre lui par le Tcs. L’audition de Bernard Njonga chez le juge d’instruction est venue relancer cette affaire.