Au carrefour dit «Vieux manoir» de Domayo, à Maroua., Haouwa, une fille d’à peine 16 ans et aux formes provocantes sort furtivement d’un loungou (auberge), faiblement éclairé. A son passage, l’on aperçoit sa poitrine généreuse qui se dessine sous un corsage transparent.
En dessous, un pagne noue sa taille. Discrète, l’adolescente se balade la tête recouverte d’un voile. Elodie, 17 ans et originaire de Guider a également des formes généreuses. Vêtue d’un collant transparent, et d’un décolleté, la jeune fille qui fume sans lance une cigarette et jette les bouffées de fumée près de celle qui s’échappe du fourneau sur lequel fait partie de ces jeunes filles qui font des va et vient dans le but de dénicher de nouveaux clients. «Avant de venir au travail, nous prenons des petites choses pour nous donner du courage, de la force, du tonus. On boit un peu d’alcool. Ça nous aide beaucoup», avoue Adjidja, une autre belle de nuit qui entre à peine dans l’adolescente.
Très appréciée ici, Adjidja a la cote auprès des hommes adultes. «Ils viennent pour s’amuser. Déstresser, se faire plaisir. Et ce plaisir, je le leur donne. Certes, contre rétribution, mais ça ne représente pas grand-chose», se vante-t-elle, en buvant un sachet de whisky. Avant de préciser que parmi ses clients se recrutent non seulement des fonctionnaires, hommes mariés et hommes en tenue de tous les âges, mais aussi et surtout des étudiants. «Les jeunes sont plus doux. Ils ne frappent pas sur nous. Ils sont attentionnés, font la conversation. Bref, tout ce que les adultes ne font pas. Ils viennent pour un objectif. Et dès qu’ils finissent, ils partent» raconte Haouwa.
22h 40 vient de sonner, Hawoua et trois de ses collègues font leur entrée dans un bar, pour «couper rapidement une bière bien glacée». Une pause rapide puisqu’elles doivent vite aller satisfaire trois soldats en rut. Une quinzaine de minutes après, elles reviennent au bar. Les visages fermés, elles échangent. Apparemment, les trois clients n’ont pas bien payé. «Il t’a donné combien ?» interroge Hawoua. «Seulement 1.000 FCFA», répond Adidja. Et toi, questionne-t-elle : «500 FCfa. Il m’a dit qu’il n’a pas d’argent. Et qu’on se voit plus tard», explique l’adolescente.
54 ANS ET 11 ANS
Dans le bar, les décibels cassent les tympans des clients et la soirée bat son plein. Les dérives aussi. Les adolescentes, bières en main se saoulent petit à petit. Soudain, Djamila, 14 ans et demie, les rejoint. Enceinte de trois mois, la belle de nuit ignore l’auteur de sa grossesse. «J’ai conçu de l’un de mes clients. J’ignore qui sait. Mais je suis décidée à garder mon enfant. Bien qu’il soit de père inconnu. C’est mon enfant, je le garde», déclare Djamila, sans conviction. «Je suis née à Bogo. C’est mon village. A la mort de mon père, ma belle-mère m’a confié à un ami de mon père, en compensation de la dette que mon père lui devait.
A l’époque, l’ami de mon père était âgé de 54 ans, et moi j’avais 11 ans. Ne sachant quoi faire, au début, je suis partie. Mais c’était très difficile chez lui. C’est à ce moment que j’ai décidé de partir, de fuir ce mariage forcé. Après avoir causé avec une ainée qui était au courant de mon histoire, nous avons établi un plan. Et dans ce plan, il était question que je me retrouve ici, à Maroua. Elle devait me soutenir et m’envoyer à l’école», raconte l’adolescente.
A Maroua, Djamila a effectivement été accueillie par «la grande sœur». Celle-ci l’a hébergé, l’a nourri, quelques semaines, avant de lui demander de trouver un emploi, comme elle. «C’est ainsi que je me suis retrouvée dans la rue, comme ma grande sœur», conclut-elle en quittant la chaise qu’elle occupait pour répondre à l’appel d’un homme qui lui faisait des gestes coquins.
Hier peu nombreuses, aujourd’hui les travailleuses du sexe, inondent désormais la région de l’Extrême-Nord. Et Maroua, avec la création de l’université, de l’école normale supérieure (ENS), les grandes écoles, l’arrivée massive des militaires dans la région, la prolifération des organisations non gouvernementales (ONG) en est l’épicentre. «La prostitution s’est enracinée dans les habitudes des femmes. Car malheureusement, tous ces changements y ont contribué», remarque un enseignant à l’université de Maroua.
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A Domayo, le prix d’une passe oscille entre 1500 et 5000 FCfa quand le client est généreux. «Mais il arrive très souvent que nous soyons victimes des mauvais payeurs. Dès que nous finissons de leur donner du plaisir, au lieu de respecter le contrat initial, soit ils donnent la moitié de ce qui était prévu, soit il frappe sur nous, et s’en vont», confie Hawoua, qui sort du bar, pour rejoindre un autre client. Depuis la soirée, c’est le quatrième qu’elle reçoit. Et il n’est que minuit. La soirée est encore longue...
Depuis quelques années, l’Extrême-Nord est au cœur de l’actualité au Cameroun en raison des faits liés à son contexte sécuritaire. Avec les exactions de Boko Haram, la ruée des militaires dans cette partie du Cameroun, la prolifération des organisations onusiennes et non gouvernementales (ONG), la prostitution semble avoir atteint des proportions inquiétantes dans le chef-lieu de la «plus belle des régions».
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Alors que certains hommes d’affaires, hauts gradés de l’armée, politiques, responsables d’ONG, en pincent pour les «prostituées de luxe», d’autres préfèrent les jouvencelles. En à peine sept ans, Maroua est ainsi devenu un grand marché du sexe, où les offres aguichantes des belles de nuit font le «bonheur» de «clients» de plus en plus nombreux.