Dans sa chronique « la profession du journaliste au Cameroun, la mort de Martinez Zogo »., l’écrivain Calvin Djouari décrit la douleur et la tristesse du peuple camerounais suite l’assassinat de Martinez Zogo. Il y souligne également l’importance de l’information et du journalisme dans la société, ainsi que les défis auxquels les journalistes sont confrontés.
Le Cameroun vient de vivre les pires moments de sa vie publique, devant une population désemparée et impuissante, le Cameroun assiste à l’agonie de ses enfants. De mon vivant, je n'avais jamais assisté à cette douleur collective d’un crime aussi affligeant. Il n'est aucun palliatif qui puisse calmer cette douleur qui nous ronge depuis des jours, ni rien qui puisse combler ce vide créé par le départ brutal de Martinez Zogo. Mais il est une chose que je dirai avant de commencer ma chronique, Martinez Zogo est parti entouré de prières, de l’affection de tout le Cameroun et au-delà, du monde entier. Le jour qu’on le mettra sous terre, le calvaire de ceux qui ont fait cela commencera.
Je renouvelle mon salut à cet animateur qui a su affronter la bête en refusant de déserter les terrains les plus rugueux comme les thuriféraires du régime. La mort de cet homme donne les frissons. Il a subi toutes sortes de sévices, son corps a été souillé et décapité puis jeté dans une décharge publique. Si nous laissons cette affaire passer, sachez que c’est ce qu’on appelle en droit public l’arrêt de principe, nous aurons inauguré les assassinats politiques au Cameroun. C’est vrai, ils existent depuis longtemps, mais celui-ci doit être considéré comme un effet détonateur pour mettre un terme à la violence gratuite.
Si les journalistes ne dénoncent pas les criminels comme le cas de Zogo qui saura ou qui le fera ? Zogo a été un catalyseur qui aura permis d’exercer une autre forme de journalisme : le journalisme de solutions. Il renforce les convictions de tous ceux qui veulent faire ce type de révélations. Il entre dans l’histoire comme Marc Vivien Foé. Ces grands artistes morts pour le Cameroun. Les vrais enfants de la patrie.
Zogo a donné une dimension nouvelle à ce métier d’animateur et de journaliste ; son dernier souffle est plus fort, plus frais. Il y avait en cet homme quelque chose de divin, et de noble ; il était un animateur écouté ; il s’en va, mais il laisse cette force qui soude les hommes ; il devient le Camerounais le plus accompli qu’on ait connu dans ce genre de métier. L’écho de sa voix dans l’outre-tombe, se fera entendre jusqu’à nous.
Le journalisme et l'information
Le siècle que nous vivons connaît une révolution de l’information à cause des moyens modernes mises à la disposition de l’homme. Les informations arrivent de façon instantanée. L’information, nous le savons, est la puissante arme de maniement de l’opinion. La conquête du pouvoir passe par là. La recherche de l’information expose les journalistes de tout pays à des dangers et ceux-ci n’ont pas assez d’armes pour se défendre avant, pendant ou après sa diffusion. Chaque acteur veut avoir la primeur de l’information, le scoop pour faire un journal riche. Tout cela donne une célébrité. Mais les journalistes, une fois devenus célèbres, ouvre en même temps leur porte à toute sorte de pression. Entre les journalistes et les hommes de pouvoir, la tension est permanente. La mort de Martinez Zogo, me rappelle celle de Michel Essang. Écouter cette chanson qui rappelle la mémoire de Michel Essang.
Le journalisme est un métier ; comme tout métier, il a ses règles. C’est un métier qui demande beaucoup de discernement dans la diffusion d’une nouvelle. Souvent, on ne peut pas tout dire ou tout écrire ; même avec le courage, il y a des informations qui sentent mauvais. Dans les canons de ce métier, la vitesse est dangereuse, il faut chercher à larguer certains sujets comme dans une course de fond. Car ce métier, qui réclame une netteté d’âme, emporte l’homme comme un Tsunami.
Le journaliste et les relations publiques
Le journaliste a l’opportunité de rencontrer les personnages célèbres ou connus ; il est entrelacé dans des événements qui ne nous regardent pas, et qui ne le regardent pas. Il s’y mêle sans y être autorisé ; sans démontrer si c’est le dévouement qui l’y conduit. Tout l’attire à cause de la curiosité professionnelle, il suit des chemins épineux, où souvent, il est amené à endurer les épreuves de toute sorte. Généralement, c’est à la cuisine qu’on fait manger le journaliste dans une soirée de gala. Mais il tient à manger sur la table d’honneur. Pour y arriver, il est prêt à tout. Pour ce faire, il s’impose avec des scoops. Et qui n’aiment pas les scoops ? On leur donne une place pour un temps mais, le plus souvent ils sont marginalisés dans la société ; une nouvelle fraîche qu’il a conquise de hautes luttes, est balayée d’un revers de la main.
L’information sauve, mais elle tue aussi. Le journaliste est un voyageur, il n’hésite pas à aller en Colombie, si un événement s’y produit ou justifie son déplacement. Son téléphone sonne à l’aube, à midi, au crépuscule et à minuit. À chaque appel, il n’hésite pas à se mettre en route. C’est un homme qui a les pieds chauds, le ventre à moitié plein, la tête froide. Tous rêvent d’avoir leur grande revue ou leur radio télé. Dans ce contexte, il court derrière l’information, mais aussi derrière l’argent. Sur un tel terrain, il sera l’objet des attaques frontales et ravageuses ; il affrontera la bête sans arrogance, il sera sujet à des tentations, il sera présent à tous les carrefours. Il n’a pas un chemin précis et tous les chemins l’interpellent, qu’il soit présent partout avec son instrument favori qui est son stylo. Il accumule des rancœurs, souvent des dénigrements, à son tour, pour faire rayonner son journal, il passe à l’attaque ; s’il faut pénétrer par effraction chez des gens, il n’hésite pas, il ne renonce jamais.
Tous ont commencé dans des bureaux poussiéreux, souvent le maniement de la langue n’est pas terminé, il faut se lancer pour trouver quelque chose pour tromper la faim. Le journaliste camerounais est comme l’enseignant, il doit se battre pour survivre et être reconnu. Ils appartiennent à des cabinets ministériels ou parlementaires, avant la célébrité, ils ont d’abord inspiré la pitié. Mais ce sont des hommes de foi. La foi du charbonnier. Comme les artistes musiciens, ils savent qu’un jour, ils composeront le bon son.La course à l’argent dans le journalisme camerounais est comme la course à l’armement. L’arme que tu achètes est aussi cette arme qui peut te tuer.
Ceux qui sont vieux dans ce métier ont fait tous les combats. S’ils ont survécu, c’est parce qu’ils ont l’esprit bulldozer. Le journaliste camerounais a souvent l’esprit retors, il est difficile de le domestiquer, c’est pourquoi il n’est pas loin d’être considéré comme un hors-la-loi. Mais il ne se décourage jamais. Après un échec, le lendemain, il faut tout recommencer, le journaliste camerounais explique très souvent ce qu’il ne comprend pas lui-même, il a des infos, elles paraissent pertinentes, réelles, mais elles peuvent être erronées, même si elles ont été bien ficelées.
La course à l’argent dans le journalisme camerounais est comme la course à l’armement. L’arme que tu achètes est aussi cette arme qui peut te tuer.
Ceux qui sont vieux dans ce métier ont fait tous les combats. S’ils ont survécu, c’est parce qu’ils ont l’esprit bulldozer. Le journaliste camerounais a souvent l’esprit retors, il est difficile de le domestiquer, c’est pourquoi il n’est pas loin d’être considéré comme un hors-la-loi. Mais il ne se décourage jamais. Après un échec, le lendemain, il faut tout recommencer, le journaliste camerounais explique très souvent ce qu’il ne comprend pas lui-même, il a des infos, elles paraissent pertinentes, réelles, mais elles peuvent être erronées, même si elles ont été bien ficelées.
Que ce soit dans les bas-fonds des grandes capitales ou dans les palais royaux, ils sont là. Se croyant indépendants, ils osent, mais se rendent très vite qu’ils sont captifs du système. Le journalisme a aussi son spectacle qui doit sortir hors des canons du métier. Il n’est pas rare de constater autour d’eux aujourd’hui une mafia qui ne dit pas son nom. Le journaliste camerounais, s’il faut le dire, est astreint aux mêmes critères d’inhumanité et d’insensibilité que le boucher. Il coupe dans le vif. Les clients défilent, il n’a ni le temps de s’attendrir, ni celui de regarder les visages, il regarde les morceaux de viande qu’il ciselait. La précipitation avec laquelle il découpe l’aveugle ; il ne sonde pas les reins, ou le cœur, il s’en fout des os présents dans le morceau de viande. Le revers de la médaille n’est jamais heureux, parce qu’il peut vendre la viande avariée. Et quand ça fera mal dans le ventre de son client, celui-ci fera un détour et c’est avec son hachoir qu’il se fera décapiter.
Avec l’état et les grands hommes, c’est toujours le bras de fer. Ces derniers n’ont jamais joué le beau jeu. Ils n’arrivent sur le terrain qu’avec des mines et des bombes pour faire exploser. Je me suis moi-même essayé à ce beau métier. J’y entrais comme romancier, or, le journaliste n’est pas le romancier. Je l’ai compris. Quand je me souviens des fausses nouvelles que j’ai annoncées de bonne foi, des gloires mortes-nées dont j’avais pris à mon compte pour les fabriquer ; des vedettes lancées à grands fracas dont je souhaitais la réussite un soir, et même si on entendra plus parler d’eux le lendemain ; des rubriques désolantes dont j’imposais la publication. C’est comme ça ce métier, à force de chercher l’homme, on retrouve le diable. Parfois, c’est une seule phrase qui vous amène en enfer. Dans le livre Monnaie et servitude de Tchumdjang Pouémi, la phrase qui lui coûte la mort est celle-ci « la France est le seul pays qui impose sa monnaie aux états indépendants ». Le journaliste est en permanence en danger, il y a des choses qu’il ne doit pas voir, sentir, entendre, et même percevoir. La colère dans cet art se paie avec le sang.
Dans ce métier, ils ont aussi leur chance ; par exemple, les grandes dames figurent dans leur tableau de chasse. Souvent, il te déshabille, jusqu’aux os, leur vie tient à un fil, et leur destin finit quelquefois sur des routes funèbres, on les accuse d’être des serviteurs zélés d’un camp qui a pour mission de détruire l’autre.
Le journalisme, ce n’est pas le cinéma, c’est un film, si on le trace en image, il faut qu’on soit authentique. Ils louchent un peu, c’est vrai, ils ont un strabisme divergent, alors comme tous les insatisfaits, ils veulent tout contrôler, comme chez les avocats, « pas d’argent, pas d’action. » Le journaliste camerounais vous montre la lumière et souvent vous entraîne dans le noir. On a fini par ne pas leur croire au sérieux.
Un métier qui a perdu sa saveur au Cameroun. Beaucoup sont entrés par passion. Dans leur jeunesse, ils ont écouté la radio tous les matins, entendre les gens parler à la radio, les émerveillait. Mais les pauvres, sans défense, ils sont brisés comme des mouches.
Ce qui attire le journaliste, c’est l’espoir que ce métier peut contribuer dans l’éclosion d’un Cameroun nouveau. Partout, dans le monde, la presse a ses limites. Cependant, elle peut contribuer au changement. J’ai la foi d’une nouvelle presse qui peut se baser sur la vérité en formant et informant la population, ce qui peut nous aider à combler certaines lacunes de notre système éducatif, les faiblesses de notre santé, d’autres problèmes comme l’insécurité et mes tares du système.
Zogo était un homme, un vrai. Il diffusait les infos politiques. C’est un engagement. Il a exercé le journalisme avec un esprit déterminé. Les atrocités qu’il a endurées en raison de sa dévotion pour la transparence n’ont pas pu le faire reculer. Il n’avait que sa voix, il n’avait que cela et on a coupé sa langue pour qu’il ne parle plus. Mais sa mort annonce les couleurs et chacun verra les couleurs acariâtres des âmes mortes de cette façon.
Aux gardiens de nos traditions
Je voudrais dire aux chefs traditionnels… Que leur pouvoir est intact.
Que le corps de Martinez leur appartienne. Que c’est leur fils. Qu’ils fassent ce qu’ils peuvent pour sauver les vivants. Sauvez les hommes ! Sauvez les journalistes ! C’est à vous de parler puisque personne ne le fera. Faites tout ce que vous pouvez. Le pauvre n’a personne sur qui compter. Si vous ne résolvez pas ce problème, tous les journalistes et d’autres hommes vont tomber, et lorsque tous tomberont, les tueurs se retourneront contre vous. Vous devez être comme les gardiens du Cameroun. Tout commence avec vous, c’est avec vous que tout retournera. Qui démontre que les pouvoirs ne sont pas modernes, ils sont traditionnels. Vous êtes la seule chance qui nous reste. Frappez les portes de nos ancêtres.
Le destin camerounais
Un grand destin attend le Cameroun, ça ne sera pas avec les clans qui se battent pour le pouvoir. N’ayez pas peur ! Celui qui assassine pour prendre le pouvoir sera inévitablement assassiné. Je lance un défi à quiconque de dire qui sera le troisième président camerounais. Personne ne peut le dire. C’est comme ça le Cameroun, le troisième président sera une personne qu’on ne s’y attendait pas. Retenez bien cela maintenant.
Nous n’avons plus de conscience, notre pays a besoin de conscience. Je veux dire des hommes fulgurants. Plus personne pour nous défendre. C’est pourquoi, nous vivons dans un état d’animalité avec ceux qui sont censés nous protéger et qui se battent pour des pouvoirs de pacotilles. Tout ceci indique, que notre pays, notre beau pays, glisse vers la plus chimérique utopie.