Le président de la Conférence épiscopale du Cameroun conseille au Chef de l’Etat de ne pas céder aux sirènes de ses collaborateurs qui l’invitent à se présenter à nouveau en 2018. Dans l’entretien qu’il a accordé à La Nouvelle Expression (LNE) parue le 5 décembre 2017, l’archevêque de Douala revient aussi sur d’autres sujets d’actualité.
Cameroon-Info.Net a sélectionné quelques extraits de cette interview.
Question : La Conférence épiscopale nationale du Cameroun avait promis saisir la justice afin de faire la lumière sur la mort de Mgr Jean Marie Benoît Balla. Où en êtes-vous ?
Mgr Kleda : Effectivement, la Conférence épiscopale nationale du Cameroun (CENC) a porté plainte contre X. La CNEC s’est donc constituée partie civile et nous avons requis les services d’un collège de quatre avocats chargés de suivre cette affaire. Les enquêtes préliminaires suivent leur cours et nous espérons qu’ils auront des informations susceptibles de nous permettre de connaître la vérité. C’est l’occasion pour moi de demander à toute personne détenant une information capable d’aider dans cette affaire, de collaborer avec nos avocats. Nous avons confiance en la justice de notre pays et espérons que nos avocats travailleront en toute liberté pour leur permettre de bien faire leur travail. Notre souhait est que tous les éléments qui ont été saisis par la gendarmerie et la police lors des enquêtes, soient présentés à nos avocats afin qu’ils fassent eux-mêmes leurs recoupements.
Question : Quelle réflexion vous suggère l’enlisement de la crise anglophone ?
Mgr Kleda : Les derniers évènements qui viennent de se produire dans ces deux régions (Nord-Ouest et Sud-Ouest), montrent que la situation est suffisamment grave. La mort des civils, des militaires, policiers et gendarmes montre que la crise est loin d’être résolue, qu’elle s’enlise au fur et à mesure que les jours passent. Nous avons l’impression que les gens s’organisent en guérilla pour agir. C’est une situation à laquelle personne ne doit rester indifférent. Chaque camerounais doit vraiment s’inquiéter face à la dégradation de la situation. A mon avis, il est temps de faire faire quelque chose, il est temps de convoquer une assise nationale à laquelle prendront part toutes les forces vives de la nation, afin de trouver une solution à ce problème. On ne peut plus continuer dans cette radicalisation que l’on observe de part et d’autre.
Question : L’Eglise catholique a-t-elle été sollicitée pour un éventuel dialogue nationale sur cette question ?
Mgr Kleda : A ma connaissance, l’Eglise catholique qui est au Cameroun, n’a pas encore été sollicitée pour une quelconque médiation. Cependant au niveau de la CENC, au nom de notre foi, et au nom de l’amour que nous avons pour notre pays, nous avons pris l’initiative de demander à nos fidèles de prier pour la paix au Cameroun, nous avons organisé des neuvaines de prière sur toute l’étendue de notre pays.
Question : Le gouvernement doit-il discuter avec les sécessionnistes ?
Mgr Kleda : J’ai observé en effet que les populations sont très réceptives aux discours des sécessionnistes. Cela semble dire que selon elles, ce sont les sécessionnistes qui apporteront des solutions aux problèmes socioéconomiques qui sont les leurs. Telle que la situation se présente, l’on ne devrait pas les exclure si jamais le dialogue national est organisé dans ce cadre. Dans le souci de trouver une solution durable à cette crise, l’Etat devrait tendre la main à tous ses fils, à tous les acteurs, pour une sortie de crise qui soulagerait tout le monde.
Question : Etes-vous pour ou contre le débat sur la forme de l’Etat ?
Mgr Kleda : Dans le cadre d’un dialogue dont l’objectif est de trouver des solutions aux problèmes qui se posent dans notre pays à l’heure actuelle, toutes les questions doivent être abordées, y compris la forme de l’Etat. C’est dans ce cadre que les acteurs pourraient prendre de vraies décisions sur la forme de l’Etat qui convient à notre pays à l’heure actuelle. La forme de l’Etat est un processus dynamique qui peut subir des modifications en fonction de l’évolution et de la gouvernance. La forme actuelle des Etats africains est un sujet de débat. Ces différentes formes héritées de la colonisation répondent-elles vraiment aux exigences de développement des pays africains ?Ce qui est plus important, c’est que nos dirigeants amorcent une réflexion profonde sur la meilleure manière de gouverner et de gérer le pays.
Question : Que pouvez-vous dire à ceux qui brûlent les écoles, les églises ou empêchent les enfants d’aller à l’école ?
Mgr Kleda : Incendier les églises et les écoles est loin d’être la solution à la crise actuelle. La violence n’engendre que la violence et la misère. Si on se met à détruire ce qu’on a pris la peine de construire pendant des années, il faut bien se poser la question de savoir qui va reconstruire. J’insiste sur le fait que tout repose d’abord sur le dialogue. Que ces gens qui brûlent les écoles et les églises sachent que les actes qu’ils posent n’apporteront aucune solution aux problèmes qui se posent. Je les invite au calme et à l’esprit de responsabilité.
Question : Des motions de soutien demandent au Président Paul Biya de se représenter à l’élection présidentielle de 2018. Y a-t-il de la sincérité dans lesdites motions ?
Mgr Kleda : Dans un premier temps, les auteurs de ces motions sont sincères parce qu’en réalité, ils cherchent à protéger leurs intérêts personnels, ils ne veulent pas perdre leurs privilèges. D’autre part, s’ils réfléchissent à l’avenir du Cameroun, ils hésiteraient avant de faire de telles proclamations. Je suis convaincu que ces gens connaissent parfaitement les vrais problèmes actuels du Cameroun, et à ce niveau, ils ne sont pas sincères. Ils jouent à un jeu dont ils connaissent la finalité. Pour tout dire, ces gens n’aiment pas le Cameroun.
Question : Auriez-vous un conseil à donner au Président Paul Biya par rapport à la prochaine élection présidentielle ?
Mgr Kleda : Pour ma part, si réellement le Président Paul Biya aime ce pays, il penserait plutôt à une transition pacifique en passant le pouvoir à une autre personne soit au sein de son parti le RDPC, soit au sein d’un parti d’opposition. Je suis convaincu que s’il y a des élections libres et démocratiques au Cameroun, la vérité sera surprenante. J’insiste en disant que sir le Président Paul Biya aime ce pays, il devrait plutôt se retirer que de prêter une oreille attentive à ceux qui lui demandent de se représenter. Il y a un temps pour tout. Je souhaite qu’il soit mis en place un conseil de sages, un conseil composé de personnes qui aiment ce pays, pour pouvoir trouver des solutions à tous ces problèmes qui se posent aujourd’hui.