Plusieurs analystes politiques l'avaient annoncé, notamment au début de la grève qu'ils voyaient s'installer la dans la durée. Eh bien, la grève des enseignants aura des conséquences et elles sont déjà visibles. Dans sa livraison de ce mercredi 30 mars, le journal "L’information" brosse quelques conséquences de cette grève que le gouvernement aurait pu éviter s'il avait vraiment pris la mesure de la chose.
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Après 5 semaine de débrayage dans les établissements scolaires publics, les enseignants ont décidé de surseoir la grève et de reprendre la craie depuis lundi dernier. Seulement, au regard des conséquences qu’elle aura occasionnées, votre journal s’interroge sur la nouvelle atmosphère qui règnera après plus d’un mois de chaude tension.
Les enseignants ont ressuscité la craie depuis lundi, 28 mars dernier pour, disent-ils, non seulement montrer leur bonne foi à la communauté nationale et internationale, mais aussi mettre l’état à l’épreuve et voir si ses réactions tiendront la promesse des fleurs. Cette réaction elle-même s’est vu diviser l’opinion au sein de la corporation car, si certains l’ont trouvé louable et stratégique, d’autres n’ont fait que crier à la trahison de la part de certains piliers du mouvement, arguant que certains « leaders » auraient été manipulés, ne tenant en compte que leur bénéfice personnel, au détriment des situations malheureuses de la majorité d’enseignants. Mais le plus important qu’on puisse dire, c’est que le redémarrage des enseignements dans les écoles qui ont connu la grève ne sera pas un long fleuve tranquille, quand on sait quelles ont été les multiples échauffourées que cette dernière a occasionnées. Tout d’abord, Martin Kafo, Conseiller d’orientation scolaire, estime que les chefs d’établissement qui se sont comporté comme propriétaires de formation scolaire, ne pourront plus facilement être en bons termes avec leurs personnels, puisque ces derniers les traiteront plus que jamais, d’ennemis. Ainsi clame-t-il : « les chefs d’établissements qui intimidaient leurs personnels en envoyant leurs noms à la hiérarchie pour sanction pourraient devenir soit ridicules, soit malheureux, maintenant que personne de ceux à qui ils souhaitaient le malheur n’a été dérangé ».
Aussi, Makosso James Kinsley, enseignant d’économie ajoute-t-il : « Pendant cette grève, j’ai vu des gens se comporter comme si nous étions leurs serviteurs à qui ils peuvent décider tout enlever et qu’ils peuvent mettre à la porte à n’importe quel moment, oubliant même les services que nous leur avons rendus auparavant, ou même les énormes sacrifices que nous avons parfois fournis pour en arriver aux résultats satisfaisants, si bien que je me demande si après avoir voulu nous molester, ils auront encore le courage de venir auprès de nous ne serait-ce que pour un simple bonjour ».
Plus loin encore, pour les plus extrémistes, c’est une longue bataille qui semble commencer entre les grévistes et les non- grévistes dans certains établissements scolaires. Tenez par exemple dans un lycée où ils ont choisi de s’exprimer hors micro, les grévistes, exprimant leur courroux face à un cadre de cet établissement scolaire qui, en plus de s’opposer clairement au mouvement OTS, a également voulu torturer un des manifestants, ont dit envisager signer une pétition visant à destituer celui-là comme chef de secrétariat à n’importe quel examen certificatif de la prochaine session, faute de quoi aucun enseignant fonctionnaire impliqué dans la grève n’y interviendra. Cette initiative est visiblement la plus rude, surtout quand on sait que ce monsieur-là est classé parmi ceux que les enseignants appellent trivialement « éternel chef de secrétariat ». Ses jeunes scolaires estiment que si ce dernier, souvent très attaché à son poste de de chef de secrétariat arrivait à le perdre, ce sera sa descente aux enfers, lui qui ne tient plus qu’à quelques fils du départ à la retraite.
Pour conclure avec ces conséquences de la grève dans les établissements scolaires, il y a aussi le cas de ceux que la masse des grévistes a nommés « les chauves-souris », ceux-là qui, dès le début de la grève, se montraient très favorables au débrayage, alors qu’ils continuaient à enseigner en sourdine et plus grave, se servaient des stratégies des grévistes pour les communiquer discrètement à la hiérarchie pour contrecarrer toute action visant à faire prospérer les manifestants. Vivienne Ngoumou, enseignante de lettres bilingues, dit avoir une idée du traitement à infliger à ce type d’adversaire : « Eh bien c’est simple ! que tous ceux et celles qui nous ont trahis pendant la grève sachent que nous ne le leur pardonnerons jamais. J’appelle tous les collègues grévistes à s’éloigner de ces traitres et comment ? personne ne leur dira plus bonjour, pas de blague, ni de compassion envers ces lâches. Par ailleurs, ceux et celles qui nous ont étiquetés de rebelles, de fauteurs de troubles et de tous les noms d’oiseau doivent savoir que désormais, quand ils voudront organiser quoi que ce soit au lycée, ils iront chercher leurs protecteurs administratifs et leurs collègues non-grévistes pour les accompagner. ».
La grève semble donc avoir créé des divisions au sein d’une même maison, mais peut être aussi au-delà. Elle est même allée jusqu’à atteindre d’autres corporations.
« Nous n’avons pas oublié ce que nous ont fait les gendarmes et les administrateurs civils zélés pendant cette grève. Nous espérons seulement que dès cette reprise, ils enlèveront leurs enfants dans nos classes », pouvait-on lire sur le compte Facebook d’un enseignant, la veille de la reprise des cours. Rappelons également que pendant la grève, certains conducteurs de motos taxi de la ville de Douala avaient courroucé les enseignants par leur déclaration faite au service du gouverneur de la capitale économique du pays, en leur promettant du répondant au cas où ils tenteraient de porter atteinte à l’ordre public.
Sur tout un autre plan, certains médias et hommes de médias pourraient prendre un coup de cette grève. Si certains comme Equinoxe télévision, Canal 2 international, STV pour ne citer que ceux-là ont gagné en audience, d’autres par contre, à l’instar de la CRTV, en perdront davantage. La chaine de télévision à capitaux publics aurait vexé plus d’un, tant dans le traitement que dans la diffusion de certaines informations dites erronées. « La CRTV et moi c’est terminé ! Je ne comprends pas comment une chaine de télévision qui fonctionne grâce à nos redevances audiovisuelles peut se permettre de mentir autant.
C’est seulement dans cette chaine qu’on a annoncé l’augmentation des salaires des enseignants, alors qu’il n’en était rien, même pas des compléments de salaires à cent pour cent, ne parlons pas des rappels. C’est encore là-bas qu’on a fait fabriquer de faux enseignants comme Jean Paul Bikeck qui se sont permis de venir dire au sortir d’une réunion avec le ministre du travail que le mot d’ordre de grève est levé, inutile de préciser que c’est cette même chaine qui disait bien longtemps avant que la grève est terminée. », s’offusque une institutrice en colère. Décidément, la colère des enseignants n’a pas baissé, même pas avec certains hommes de médias comme « celui d’Owona Nguini, qui a retourné sa veste et s’est assis à la table des pilleurs de fonds, se lève aussi un jour pour traiter les enseignants d’instrumentalisés, quelle grosse injure à l’endroit des « seigneurs de la craie » ! ».
En somme, cette grève aura fait couler beaucoup d’encre et de salive. Elle aura surtout fait, comme le reconnait un membre de la société civile : « de nombreuses révélations car permettant de voir comment les enseignants, généralement traités de peureux, ont su mettre l’Etat dos au mur en lui sortant la carte de l’inattendu ».
Mais le plus grand bien qu’elle aura également fait dans les établissements scolaires, c’est « d’avoir permis à chacun de nous de découvrir le vrai visage des collègues et de savoir à qui on a désormais affaire pour le reste de la carrière. Nous avons vu les collègues les plus réservés se lever comme des fauves pour défendre nos droits, certains autres, malgré leur rapprochement avec le staff administratif en général et le chef en particulier, ont d’abord mis cet aspect de côté pour défendre l’enseignant tout court. En revanche, nous avons également eu l’occasion la plus idoine de découvrir les extrémistes, les téméraires, les animateurs, les leaders, les suiveurs, les traitres, etc. », mentionne Raoul Kaldak, enseignant de philosophie à l’extrême-nord du pays. Elle aura fait bouger les lignes, la grève, mais surtout, elle laissera de nombreuses plaies qu’il importe de panser dans les plus brefs délais, au risque d’en faire des cicatrices étouffées.