Actualités of Wednesday, 28 October 2015

Source: Investir au Cameroun

Notre existence ne se justifie pas si le public est mécontent - Vamoulké

Amadou Vamoulké Amadou Vamoulké

Amadou Vamoulké, directeur général de la Crtv, explique à l’Agence Ecofin les nouvelles orientations de cet office public camerounais de télévision qui sera éclaté en six chaînes à l’ère du numérique.

La Crtv vient d’organiser un Forum national sur les contenus des programmes de la Télévision numérique terrestre. Quand tout cela sera-t-il visible à l’antenne ?

AV : Dans un proche avenir. C’était d’ailleurs le but de l’exercice. Nous évoluons dans un nouvel environnement technologique. Il y a des incertitudes et des certitudes. L’intérêt du forum était de réduire les incertitudes et d’avancer dans la mise en place de la Télévision numérique terrestre (Tnt), d’un pas relativement assuré. Il fallait s’assurer que les propositions que nous allons faire correspondront peu ou prou aux attentes de notre public divers et varié. Nous avons déjà l’outil technique en place. Le contenu, on l’appréhende encore globalement. Il s’agit maintenant de le fabriquer. Dans l’audiovisuel, il y a ce qu’on appelle les programmes de flux et les programmes de stock. Les programmes de flux sont dictés par l’actualité. Par exemple, un arbre tombe ici, et on descend sur le site pour un reportage. Les programmes de stock sont planifiés, réalisés et stockés pour meubler l’antenne. Ces programmes, on ne les a pas encore.

Quels sont les changements attendus sur l’antenne télé de la Crtv ?

AV : Le premier changement, c’est qu’il n’y aura plus une seule Crtv, mais il y en aura six. Des propositions ont été faites sur la nécessité de changer la dénomination ou la raison sociale de la Crtv. Le deuxième changement sera la qualité visuelle de l’image. C’est pourquoi on parle du numérique. La troisième chose, c’est la couverture intégrale du territoire national. Donc il n’y aura plus de zones d’ombre et des zones de silence. Tous les Camerounais pourront avoir le signal à disposition. On fera concourir la fibre optique et le satellite de manière marginale, pour que chacun puisse avoir le signal de la Crtv. Ce qui va changer aussi c’est qu’il faudra acquérir des outils pour recevoir les chaînes à la maison, même si le bouquet sera offert gratuitement par la Crtv. Enfin, le changement sera opéré sur l’effort qualitatif. Nous évoluons dans un environnement concurrentiel local et international. Notre ambition est de pouvoir très rapidement obtenir une production de qualité au sens où, à l’international, on n’hésitera pas à la regarder avec plaisir et à l’acquérir sur le marché des programmes le cas échéant.

Vous annoncez l’imminence de cinq nouvelles chaînes Crtv. C’est pour quand ?

AV : Si je peux me risquer à des estimations, je situe à la fin du premier trimestre 2016 le lancement de la chaîne d’information en continu. Les programmes seront essentiellement ceux de flux, c’est-à-dire l’actualité au jour le jour. Donc on peut déjà commencer par cette chaîne. Un chef de chaîne a déjà été désigné. Il a déjà commencé à faire les explorations nécessaires. Certainement, il a déjà des idées bien précises. Pour le moment, le bouquet expérimental a un nombre limité de canaux. La prochaine étape sera le passage d’une dizaine de chaînes à une quarantaine. Le ministre de la Communication l’a d’ailleurs annoncé. Nous pourrions être prêts dans cette perspective. Quand je parle de forte probabilité de commencer par la chaîne d’information en continu, c’est également lié au fait que les gens se sont préparés déjà. Nous avons envoyé une dizaine de personnes visiter des chaînes d’information en continu, à l’instar de France 24 et de bien d’autres. Elles ont ramené tous les éléments d’appréciation qui nous permettent très rapidement de démarrer. Evidemment, on démarrera peut-être en trottinant un peu, car il y a des aspects financiers qui attendent quand même d’être complètement callés ; et comme vous savez le financement du passage au numérique n’est pas exclusivement sur les fonds de la redevance audiovisuelle. Il y a des ressources qui seront allouées par l’Etat.

Vous avez souvent reconnu le déficit infrastructurel de la Crtv. Ce problème est-il résolu pour que la Crtv puisse aborder la Tnt avec assurance ?

AV : C’est de l’histoire ancienne. Actuellement, on parle de la Crtv en réhabilitation. Donc tout sera neuf, jusqu’à la climatisation et les éclairages, en même temps que les outils de travail.

Etes-vous soulagé que la Crtv soit éclatée en plusieurs chaînes de télé, elle, considérée comme un mastodonte qui embrasse trop et étreint mal ? AV : Peut-être que vous plaignez le directeur général qui risque de continuer de mal étreindre cette future grande maison qui comptera six chaînes Tv. Mais il faut se mettre dans la perspective des objectifs de l’outil Crtv. L’Etat a besoin de maintenir un lien ombilical avec le citoyen à travers la communication publique. A l’ère du numérique, ce qui se fait de mieux dans le monde, c’est à la fois l’éclatement et la convergence. Dans l’éclatement, ce que les Anglais appellent « broadcasting » devient le « narrowcasting ». On passe d’une diffusion large et ouverte à la planète entière à une diffusion plus ciblée des publics. Alors, si on cible les publics, on doit éclater les structures chargées de suivre ces publics. Par ailleurs, les hommes créent la technologie, mais la technologie leur impose la marche à suivre. La technologie numérique est à la fois une technologie d’éclatement et convergence en ce que tout devient numérique : la parole, l’image, le son, l’écriture, etc. Donc, l’éclatement n’est que théorique car, finalement, tout ce qu’on aura fait tombera dans l’escarcelle de l’ingénieur qui va tout convertir en chiffre 0 et 1, pour parler comme les informaticiens.

A l’ère du numérique, comment la Crtv va-t-elle affronter la concurrence des chaînes locales et des chaînes internationales qui affluent ?

AV : Nous avons de nombreux atouts. Le premier, c’est la loi du domicile. Le compétiteur qui vient de l’étranger ne peut pas nous battre chez nous. Peut-être que le compétiteur local pourra y arriver.

La loi du domicile n’empêche pas les publics de consommer de plus en plus ce qui vient de l’étranger ?

AV : Là est la question centrale. Si quelqu’un trouve un immense plaisir à regarder la pornographie tous les soirs, si vous lui faites un film sur l’histoire du Cameroun, il faudra un certain temps pour l’extraire du petit domaine qu’il s’est créé.

Vous faites une caricature. Il n’y a pas que la pornographie qui vient de l’étranger.

AV : Oui, mais il y a beaucoup de fictions qui retiennent les gens. Là, nous sommes mal partis si l’on doit se comparer aux autres. Mais en même temps, qu’est ce qui manque ? Les pierres sont là, c’est la pyramide qui n’est pas construite. C’est notre responsabilité de la construire. Si nous en jugeons par la demande de notre public dont nous avons le feed-back, il y a un besoin de voir des fictions locales. Nous sommes disposés, mais nous n’allons pas créer la fiction. Il n’y a aucune télévision au monde aujourd’hui qui créée elle-même ses fictions. Il faut des productions externes.

Justement, la Crtv aura cruellement besoin de productions indépendantes pour meubler ses six chaînes. Etes-vous prêts à payer pour ces productions qui coûtent quand même très chères ?

AV : Il y a une bonne volonté. Nous avons des provisions budgétaires pour cela. Mais d’un autre côté, une production n’a pas vocation à être achetée et consommée par un seul média. Si vous avez une production de qualité, vous avez la planète entière comme marché. Le financement de la production est largement ouvert. La Crtv apportera sa contribution, mais les banques apporteront la leur, ainsi que les acheteurs et les vendeurs de programmes.

La Tnt, c’est cinq nouvelles chaînes Crtv et la possibilité de créer d’autres chaînes privées, puisqu’on parle d’un bouquet national d’une quarantaine de chaînes. Est-ce que l’environnement économique et le marché national de la publicité permet la viabilité de tous ces médias ?

AV : Si le marché ne le permet, l’activité ne se déroule pas. On est en économie libérale. Les gros poissons mangent les petits. Il y aura un darwinisme. Les plus forts vont survivre et les autres vont disparaître.

Dans la concurrence qui sera féroce, la ligne éditoriale et l’exigence de service public imposées à la Crtv ne constituent-elles pas une faiblesse pour ce média contrôlé par le gouvernement alors que les autres ont une marge de manœuvre plus grande ?

AV : Dans le secteur des médias, le service public est demandé. Il y a un marché du service public. Il ne faut pas le présenter comme un boulet que portent les organisations publiques. Dans l’ensemble des informations que l’on voudrait recevoir de son environnement, il y a des informations publiques, on ne peut pas faire l’impasse dessus. La seule question qui compte c’est celle du professionnalisme. Maintenant, il y a aussi le fait que les autorités peuvent faire une entrée tonitruante dans une programmation et tout décaler. Nous nous efforçons depuis un certain temps à expliquer aux différents acteurs publics que la télévision doit fonctionner selon une espèce de triangularité. En d’autres termes, il faut que nous, Crtv, soyons contents, que le public soit content et que les acteurs créateurs d’évènements soient contents. Si nous seuls sommes contents et que le public n’est pas content, alors notre existence ne se justifie pas. Je puis vous assurer que les autorités ne sont pas sourdes à notre message. Nous avons quand même réussi à calibrer le journal télévisé.

Mais il reste la prédominance de l’institutionnel dans les journaux de la Crtv.

AV : Il y a ce que le public voit, mais il y a aussi ce qu’il ne voit pas. Beaucoup de contenus institutionnels sont écartés. En plus, l’information institutionnelle est un besoin qui s’exprime à tous les niveaux. Plus encore, les plus récentes études montrent que les chaînes de télévision privées ont grandi de manière exponentielle et connaissent un point d’inflexion. Il y a un retour du service public dans les demandes des publics. Prenez le cas de la République démocratique du Congo qui avait abandonné sa télévision publique, pourtant l’une des plus significatives et les plus reconnues en Afrique. Aujourd’hui, le pays revient vers cette chaîne, car on se rend compte que l’institutionnel fait partie des préoccupations du citoyen.

La nouvelle loi sur l’audiovisuel favorise la Crtv en faisant d’elle un éditeur de télévision mais aussi l’unique diffuseur national vers lequel devront se tourner tous les autres concurrents. Quelle garantie que vous n’utiliserez pas cela à votre avantage ?

AV : On ne se plaint pas de bénéficier d’un avantage. Maintenant, pour être objectif, il faut dire que la loi est sévère vis-à-vis du diffuseur public si celui-ci ne satisfait pas aux exigences de son cahier de charges bien connu par les éditeurs de contenus. Si un éditeur m’apporte son package pour diffusion, et je ne le fais pas, les amendes sont prohibitives. Rien qu’à l’idée d’avoir à payer de telles sommes d’argent, on sera extrêmement discipliné. Nous n’avons pas le choix de diffuser ou non une chaîne qui est en règle avec l’administration.

Avec désormais six chaînes à la Crtv, c’est un volume de travail plus important et plus d’exigences professionnelles. Comment ferez-vous avec un personnel pour qui tout cela sera nouveau ?

AV : Vous posez là un problème sérieux et on ne va pas se le cacher. Sans révéler ce que nous avons l’intention de faire, nous sommes engagés dans une stratégie de gestion des ressources humaines qui essaie de privilégier la performance. Généralement, les bonnes pratiques incluent la feuille de route de chaque employé. Ce qui permet d’évaluer sur une période, par rapport à des objectifs assignés au départ. Alors, on peut attribuer une note et donner une promotion. On va donc regarder de manière beaucoup plus objective que la pratique courante qui consiste à se souvenir vaguement que telle personne est bien, alors on la note en des termes très vagues. Désormais, il y aura une évaluation quantifiée. Ce travail sera certainement sous-traité et c’est bien notre intention en 2016 de mettre en place les techniques les plus appropriées de gestion des ressources humaines. Nous espérons que la morsure des habitudes sur l’esprit des gens ne continuera pas à nous créer des problèmes comme par le passé.

A quoi s’expose l’employé qui n’aura pas atteint ses objectifs ?

AV : Nous n’inventons rien. J’ai un fils qui travaille dans une entreprise. A la fin du mois lorsqu’il n’a pas atteint ses objectifs, il sait que son salaire sera réduit d’un certain quantum. On ne sait pas encore si ce sera le cas à la Crtv, mais nous plaidons fortement pour que ça soit comme ça.

Pourra-t-on arriver à des licenciements faute de résultats satisfaisants ?

AV : Ça reste possible ; même si on ne l’a jamais fait jusqu’ici. Si cela s’avère nécessaire, on va y arriver.

Va-t-on vers une utilisation optimale du personnel de Crtv, du moins les journalistes qui sont quand même nombreux et qu’on ne voit pas toujours sur les antennes ?

AV : Oui, je vous l’accorde. On ne les voit pas toujours. Je reconnais qu’il y a des gens qui flemmardent et ne méritent pas leur salaire, mais il y en a aussi qui le méritent amplement. Je crois pouvoir exprimer de manière générale une certaine satisfaction du travail qui est fait. Même s’il y a cette loi de Pareto qui voudrait que dans une organisation, 20% des travailleurs se tapent le boulot, tandis que 80% se prélassent. On va essayer de lutter contre cette tendance.

Pourtant, au terme des dernières nominations, beaucoup de journalistes occupent des postes. Est-ce que la place du journaliste est dans un bureau ?

AV : J’aime à dire en plaisantant que notre structure est une armée mexicaine dont on dit que tout le monde a des galons. Mais c’est une nécessité. Nous ne sommes pas une industrie. Il y a d’importantes activités intellectuelles à faire. De toutes les façons, les métiers sont tellement nombreux que vous ne pouvez pas les regrouper absolument. Le plus important ; c’est d’avoir un modèle économique qui permette à l’organisation de fonctionner, c’est-à-dire pouvoir payer tous ces gens. Si je peux les payer, ça ne dérange personne qu’il y ait des généraux et des colonels.

Une armée mexicaine pour quelle efficacité ?

AV : Il faut des gens pour encadrer le personnel et organiser le travail. Maintenant ces encadreurs ont des talents de journalistes qui sont utilisés au niveau de l’antenne.

Pour finir, que devient le directeur général de Crtv alors que deux directions centrales été créées, l’une pour la radio et l’autre pour la télévision ?

AV : La structuration repose sur une préoccupation centrale : le contenu. La création des directions centrales signifie qu’on donne une relative autonomie aux deux médias que sont la radio et la télévision, puis il y a aussi une direction centrale de la diffusion à laquelle on donne aussi des moyens. A partir de là, chaque direction centrale a une sous-direction des finances afin que les ressources soient mises à disposition plus facilement et rapidement que du temps où il y avait une direction de l’administration et des finances pour l’ensemble de maison. Vous voyez que la direction générale n’a rien perdu de sa substance. Encore que si c’était le cas, avec pour conséquence une Crtv plus efficace, ce serait un bon prix à payer. Mais ce n’est pas le cas, car c’est moi qui débloque les ressources mises à la disposition des directions centrales. La stratégie globale c’est moi qui l’arrête en dernier ressort.