Un empereur romain disait : «Pour le peuple, du pain et des jeux ». Lorsque que les jeux de cirque étaient organisés dans la Rome antique, le peuple se délectait de voir les gladiateurs se tuer entre eux, les fauves déchiqueter les hommes. Transposés au 21ème siècle et dans le contexte camerounais, l'opération Epervier ressemble à ces jeux de cirques.
A grand renfort de communication, les interpellations des dignitaires de la République font les choux gras de la presse. Le peuple se délecte des malheurs de ceux qui hier roulaient carrosse. On est content qu'un tel qui passait sans prêter attention aux autres soient dans la merde.
Dans les bistrots, au menu des conversations des preuves aussi factices les unes que les autres sont présentées pour justifier l'interpellation d'un ancien ministre, d'un ancien directeur général. Au début de l'opération Epervier en 2006, une certaine presse s'était érigée en procureur au grand plaisir du peuple.
Les premières actions de cette opération ont été très applaudies. C'était la diabolisation systématique. Mais au fur et à mesure que les interpellations se faisaient, les premiers doutes ont surgi : et si l'opération Epervier n'était que de la poudre aux yeux du peuple? Et si l'opération Epervier n'était destinée qu'à contenter la communauté internationale?
Lancée en 2006 par le gouvernement du premier ministre Ephraïm Inoni, l'opération est mise en action sous la pression des bailleurs de fonds. Ils se sont appuyés sur les rapports des organisations non gouvernementales sur le degré de corruption de la classe dirigeante camerounaise. Sans une contre-enquête indépendante, l'opinion publique avait fini par se convaincre que les hauts dignitaires camerounais étaient corrompus.
L'apparition des réseaux sociaux et la naissance d'une spécialité ambiguë dans le corps de communicateurs : les lanceurs d'alerte ont fini par embrigader le peuple et à semer le doute dans les esprits. Sur la même personne, les accusations étaient différentes d'un site à l'autre, d'un lanceur d'alerte à l'autre. Des critiques commencent alors à fuser sur l'efficacité de l'opération Epervier.
La suspicion grandit, elle est telle que certains n'hésitent pas à pointer le doigt vers le président de la République Paul Biya, soupçonné d'utiliser l'opération Epervier à des fins politiques. Les tenants de cette thèse argumentent que l'opération vise à écarter des personnalités hier protégées par le pouvoir mais qui sont devenues gênantes à cause de leurs prétentions politiques.
Dans l'ouvrage intitulé: «Opération Epervier au Cameroun: un devoir d'injustice», Charly Gabriel Mbock écrit: «L'on y multiplie les mises en accusation, les arrestations, les audiences et les condamnations qui elles multiplient des interrogations: les procès de l'Epervier sont-ils justes et équitables? Les sanctions lourdes pour la plupart correspondent-elles aux délits et crimes présumés dont il est apparu au regard de la vénalité des experts judiciaires, qu'ils étaient le plus souvent plus attribués qu'effectivement commis?
Quelle réputation la Justice camerounaise revendique-t-elle dans cette expédition carcérale si les jugements d'autorité doivent arrogamment étouffer les jugements de vérité?». A la vérité au fil des procès, le peuple commence à remettre en question l'efficacité de l'opération Epervier. La durée des procédures, les relaxes prononcées au bout de 5 voire 6 ans de procédure donne l'impression que on a mis la charrue avant les bœufs.
On a procédé aux interpellations avant de chercher les preuves de l'accusation. Le 20 septembre 2012 dans une chronique politique, la journaliste Sarah Sakho parlant de l'interpellation de Marafa Hamidou Yaya écrivait: «Cette ultime affaire relance comme à chaque arrestation la polémique autour du bien-fondé de cette opération «mains propres» ultra médiatisée. Car six ans après son lancement par le président Biya qui promet plus d'arrestations à longueur de discours, la campagne anti-corruption ne convient plus.
Fini l'enthousiasme des débuts où les arrestations spectaculaires étaient applaudies par un peuple heureux de voir descendre aux enfers des dignitaires dont le train de vie défrayait régulièrement la chronique ». Désabusé, le peuple l'est. Il voit dans cette opération un règlement de comptes plutôt qu'une volonté d'assainissement de la gestion du pays.
Le politologue Mathias Owona Nguini corrobore cette vision: " Chaque fois que l'opération est relancée, elle contribue à discréditer l'Etat et ses institutions. On ne fait que monter dans la hiérarchie de l'Etat et cela n'affecte pas que la réputation des hauts responsables accusés mais celle de l'Etat". Certaines organisations de défense des droits de l'homme jugent les condamnations prononcées par le Tribunal criminel spécial(Tcs) d'arbitraires.
Beaucoup estiment qu'il est téléguidé par le pouvoir politique. Pour ces organisations, l'impopularité du Tcs est à la mesure de la crainte qu'il inspire aux puissants. L'appréciation que les Camerounais ont de l'opération Epervier diverge plus qu'elle ne fédère faute de lisibilité dans le processus.
En réalité il en est de l'opération Epervier comme d’un épouvantail monté dans une jungle pour faire diversion là où la complainte et la déception cèdent à la colère des masses exsangues et fatiguées du discours que narguent les hauts gestionnaires.
L'opinion publique est perplexe sur l'efficacité de l'opération Epervier. Elle s'interroge sur son coût. Si on parle des milliards de francs CFA récupérés, aucune information ne filtre sur le coût. Ce black oût amène certains à penser que le bilan est maigre et humainement désastreux.