L’ex-maire de Njombé-Penja a quitté la prison centrale de Douala le 23 juillet 2015, une semaine après son acquittement par la Cour suprême du Cameroun.
«Paul Eric Kinguè sort aujourd’hui ? Je n’étais pas au courant. Il va falloir patienter alors. Je n’ai aucune idée de l’heure à laquelle il pourra être relaxé. Une telle information, la prison ne peut pas la divulguer en pareille période pour des raisons que vous savez sans doute ».
Le gardien de la paix que les reporters du Jour approchent devant la prison centrale de Douala ce jeudi 23 juillet 2015 à 11h20 min, n’en dit pas plus. Il monte la garde devant le pénitencier avec sept autres collègues.
Lorsque les reporters et d’autres journalistes de la capitale économique se pointent à nouveau autour de 12h, ils ont juste le temps de franchir le portail principal. Ils sont aussitôt sommés de regagner l’extérieur. « Vous n’êtes pas autorisés à entrer. Allez attendre dehors », intime un des gardiens, qui bondit de son banc pour raccompagner les professionnels de l’information, et refermer le petit portail.
Pour éviter de se faire arroser par les grosses gouttes de pluie, les journalistes trouvent un abri en face, au rez-dechaussée de la sous-préfecture de l’arrondissement de Douala 2ème. Là, ils attendent la sortie de prison de l’ex-maire de Njombé-Penja, acquitté par la Cour suprême du Cameroun le 16 juillet 2015. Il y a tout juste une semaine. Des inconnus observent le rang des journalistes qui enfle à vue d’oeil.
Ceux qui entrent et sortent de la souspréfecture s’arrêtent un instant, espérant glaner des informations. Peine perdue. Les regards des reporters sont fixés sur la porte de la prison. Chacun veut être le premier à prendre en photos l’ex-maire, reconnu coupable du détournement de fonds et condamné à vie en instance. La peine a été revue à 10 ans d’emprisonnement ferme par la Cour d’appel du Littoral.
Le décor devant le pénitencier change peu à peu. A 12h30 min, la pluie s’estompe. Des jeunes membres d’un groupe d’abélé se rassemblent dans un coin. Les instruments de musique en main, ils attendent eux aussi. On aperçoit l’homme politique Célestin Njamen du Social Democratic Front (Sdf) et Gerard Kuissu, le coordonateur du Tribunal article 55. Pourquoi la sortie de prison tarde-t-elle ?
Un proche de Paul Eric Kinguè fait savoir que le régisseur de prison attend la copie originale du mandat de levée d’écrou, détenu par l’avocat. « Il ne peut pas sortir sous la seule présentation des photocopies de ce document. Il faut l’original », explique-t-il. A peine notre interlocuteur a-t-il terminé de s’exprimer, qu’on entend déjà les joueurs d’abélé entonner les premières chansons. Devant le pénitencier, la sécurité est redoublée.
On compte actuellement 16 gardiens de prison en poste. 12h55min. Paul Eric Kinguè se montre enfin. Il est vêtu d’une chemise longues manches de couleur blanche et d’un jean bleu. Il chausse des tennis de couleur blanche et est coiffé d’un chapeau large bord de la même couleur. Le sourire au coin, Paul Eric Kinguè embrasse des proches devant la prison. Il traverse la chaussée. De l’autre côté de la route, une vingtaine d’amis et connaissances venus des localités de Njombé et Penja, dans le département du Moungo, l’entourent.
C’est le bain de foule. Les cris et les chants de joie rivalisent avec les sonorités de l’orchestre d’abélé. Première déclaration de Paul Eric Kinguè : « Je suis satisfait de vivre ce jour. Quand j’entrais en prison, je n’étais pas convaincu que je vivrais ce jour parce que les pronostics étaient tels que mes adversaires avaient juré que je mourrais en prison. J’ai cru en Dieu. J’ai aussi cru en la justice de mon pays (...) ».
« Je rentre en politique »
Les questions fusent. On veut savoir de quoi sera fait son avenir. Paul Eric Kinguè avoue qu’il « ne peut pas faire des projets particuliers pour l’instant ». Il a une préoccupation immédiate, qui le ronge depuis les années passées en prison: aller prier sur la tombe de son fils, cet enfant qu’il a aimé mais, qu’il n’a jamais pu conduire à sa dernière demeure.
Il a aussi une pensée pour la mémoire de l’artiste Lapiro de Mbanga avec qui il a partagé plusieurs moments à la prison centrale de Douala, avant que l’artiste ne soit relaxé et décède. « S’il vivait, il serait en extase aujourd’hui. Il serait en communion avec moi, assure-t-il. Je dois aller prier pour tous ceux-là qui nous ont quittés et que je ne pourrais plus revoir ». Il remercie alors Dieu, le peuple camerounais, les populations de Njombe-Penja sevrées de « leur fils pendant des années » et la presse qui a décidé de barrer la voie à l’injustice.
Paul Eric Kinguè n’oublie pas ses « bourreaux », notamment « Marafa Hamidou Yaya et ses complices qui m’ont jeté injustement en prison ». L’ex-maire les remercie d’ailleurs de lui avoir permis de mieux comprendre la vie, d’avoir le « baromètre de la vie » et, surtout, la manière de vivre en société. Sa voix est à chaque fois noyée dans les tambours et les cris de joie des hommes et femmes. Ces dernières esquissent d’ailleurs des pas de danse, en trainant derrière elles leur « kaba » (robes amples faites en pagne). Les badauds, venus nombreux, bousculent les journalistes pour approcher l’ancien prisonnier.
« Je dois vous rassurer que les huit années passées en prison m’ont donné beaucoup plus de force d’entrer en politique », lance l’ex-maire, le ton déterminé. Marie, une sexagénaire en provenance de Penja, a d’ailleurs de la peine à contenir sa joie, à l’écoute de ces mots. Elle est toute émue.
« Nous avons fait ce déplacement pour venir accueillir notre fils. Tout Njombé et Penja baignent dans le Rdpc grâce à lui. Il était notre président de sous-section. Sans lui, nous étions comme des orphelins et des veuve », affirme-telle. Et parlant de politique justement, Paul Eric Kinguè qui vient de passer 8 années en prison dans le cadre de l’opération épervier, annonce son grand retour sur la scène. « Je rentre de pleins pieds en politique. Non pas pour moi, mais pour les injustices que les gens vivent de part et d’autre du Cameroun », clame l’ex-maire de Njombé-Penja.
Malgré l’insistance des journalistes, Paul Eric Kinguè ne dit pas s’il rejoindra une fois de plus les rangs de son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). « Ce sera dans le Rdpc ou dans un autre parti ? », demandent les journalistes en choeur. Il promet de se prononcer plus tard. Mais tient à préciser qu’il n’a pas « un pacte avec le Rdpc ».
« Je ne crois pas au parti parce qu’il faut suivre la masse. Moi je pense que je vais donner ma position claire dans les prochains jours ». Des voix s’élèvent. Paul Eric Kinguè est fatigué. Il doit aller se reposer, disent-elles. Mais, les reporters ont d’autres questions. Du moins, une dernière : « qu’est ce qui vous a donné la force de tenir durant ces années en prison ?».
Paul Eric Kinguè demande aux journalistes de répéter leur question. On le fait avec joie. « C’est Dieu, souffle-t-il. D’abord Dieu, ensuite, la conviction de mon innocence. J’étais convaincu que j’étais innocent et quand on est innocent, on ne se laisse pas abattre. J’ai décidé de tenir parce que je savais qu’en même temps, des Camerounais priaient pour moi. J’ai tout perdu mais, je n’ai pas perdu les Camerounais que vous êtes ».
Dans la foule, on entend des « ça va, ça va ». Paul Eric Kinguè se dirige vers une Peugeot de couleur bleue immatriculée Lt 023 FC. Tout le monde tient à l’embrasser. Il se soumet quelques secondes et s’engouffre dans le véhicule. « Je vais user de tous les moyens pour obtenir réparation », assure l’ex-maire. Mais avant, il se rendra sur la tombe de son fils.