Depuis près de 3 ans ces plateformes de distributions de produits pétroliers ne sont plus approvisionnées. Les populations sont lésées, les gérants crient leur désarroi alors même que les dirigeants de l’entreprise mère se murent dans un silence qui interroge.
Au cœur d’un quartier populeux de la ville de Yaoundé, une stationservice se meurt. Les murs rougis par la terre renseignent d’emblée sur le délabrement des lieux. Aucune voiture ne se gare. Normal, il n y a ni pétrole ni gasoil. Aucun produit à vendre. L’espace peut encore servir de stationnement pour des taxis et des particuliers. La boutique de la station est désespérément vide. Quelques bricoles et rien de plus. A notre arrivée sur les lieux le gérant de la station est en balade. « Question de tuer le temps », nous dit-il en nous accueillant d’un sourire jaune. Quelques pas sur la gauche et nous sommes dans le petit coin qui lui sert de bureau.
125 gérants de stations aux abois
Quelques papiers qui trainent sur une table. Un vieil ordinateur et une calculette surannée. Il n y a rien à compter en ces lieux. « Nous sommes au bord de la faillite, nous avons des charges fixes (eau et électricité), nous avons 6 employés ceci nous emmène de 250.000 à 300.00 de charges par mois alors même que nous n’avons aucune activité », confie notre interlocuteur. La situation est grave. 125 opérateurs économiques gérants de stations MRS au Cameroun payent des impôts, font face à des salaires de personnels et autres charges fixes, sans pouvoir générer la moindre activité. Mais pourquoi ? « Depuis trois ans MRS Corlay Cameroun ne nous livrent ni pétrole ni gasoil. Depuis 7 ans elle ne nous livre même pas de lubrifiants. Nous sommes en cessation d’activité », se plaint un autre gérant basé au quartier Nlongkak à Douala. A l’arrivée, les gérants sont les premiers à payer la note
« Les gérants ont 750 millions de Fcfa de commandes non livrées depuis novembre 2023. Ils ont versé des cautions allant de 15 à 20 millions de FCfa. Les dépôt de garantie sur chaque litre peuvent atteindre 3 million de Fcfa par gérant et le montant cumulé tutoie les 1,5 milliards de Fcfa pour tous les prestataires on aurait souhaité avoir une partie de cet argent pour relancer nos affaires », fulmine notre source. « Plusieurs parmi nous sont tombés en faillite. Ils ont pris des crédits qu’ils n’ont pas pu rembourser. Certains ont eu des AVC, il y en a qui sont décédés », confie-t-elle encore. 60 milliards de FCFA de dettes en 2019 MRS Corlay Cameroun propriété du Nigérian Idris Sayyu Dantata a racheté Texaco Cameroun alors détenue par le groupe Chevron en 2016.
Depuis, l’entreprise fait face à des tensions de trésoreries préoccupantes. Déjà en 2019, des sources crédibles évoquaient des dettes colossales auprès des banques et des entités publiques. Elles culminaient à environ 60 milliards de FCFA. Ces sources révélaient que MRS doit 25 milliards de FCFA à Afriland First Bank ; 6 milliards à Société Générale Cameroun et 2 milliards à la Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec). MRS Corlay Cameroun est en outre, débitrice auprès des entreprises publiques. En 2019 déjà, La Société camerounaise des dépôts pétroliers lui réclamait 3 milliards de FCFA; la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures, 6 milliards ; la direction générale des impôts, 3 milliards (relatifs aux taxes spéciales sur les produits pétroliers non reversées) ; la Société nationale de raffinage revendique 2,5 milliards à MRS ; les transporteurs et autres fournisseurs réclament près de 8 milliards de FCFA.
Le Jour a essayé de joindre les responsables de l’entreprise pour en savoir plus sur les raisons de cette pénurie qui perdure. Au bout de la ligne, le directeur marketing s’est montré expéditif nous renvoyant à la direction générale basée à Douala. A la direction nous avons eu un responsable qui a promis à plusieurs reprises revenir vers nous avec plus de détails. En vain.
Réunions et dilatoire
En charge du secteur, le ministère de l’Eau et de l’Energie est justement attendu pour désamorcer la bombe. Le 24 septembre 2019, le ministre Gaston Eloundou Essomba a adressé une correspondance au DG de la filiale camerounaise de MRS Corlay en vue d’une concertation 3 jours plus tard en son cabinet. La réunion a visiblement accouché d’une souris puisqu’elle a conforté le statut quo. « Plusieurs autres réunions ont eu lieu et le directeur des produits pétroliers a multiplié des concertations qui ont plus des allures de dilatoire », se désole un autre gérant rencontré à Yaoundé.
Climat de peur
Pour étayer notre enquête, nous avons joint un des responsables de l’association des gérants de MRS Cameroun dans la capitale économique. Visiblement apeuré notre interlocuteur n’a pas voulu s’avancer plus que de raison. « Il s’agit du pétrole et des millions sont en jeu. Je ne peux pas risquer mes investissements et même ma sécurité », nous a-t-il fait, avant de pousser, résigné : « nous sommes obligés d’at tendre ». Ce climat de peur et de terreur explique le silence radio fait autour de cette affaire qui a tout d’un scandale économique national. « Des pontes du régime sont impliquées et certains rachètent nuitamment des stations », nous souffle une source proche du dossier MRS.