Il est président de l’Union pour la fraternité et la prospérité (Ufp). Le leader politique réagit ainsi au cours d’une interview qu’il a accordée à votre journal, après le réaménagement gouvernemental opéré par Paul Biya le 02 octobre 2015.
Le président de la République vient de procéder un à un réaménagement de son équipe gouvernementale, qu’est- ce que Monsieur Bilé, cela vous inspire-t-il comme commentaires et analyses ?
Comme vous venez de l’indiquer, le chef de l’Etat a procédé vendredi dernier à un réaménagement de son gouvernement. D’entrée de jeu, j’adresse mes félicitations à ceux qui sont promus, de même qu’à ceux qui ont été maintenus dans ce gouvernement, même si je dois préciser au fond, que les modalités d’accès aux positions gouvernementales chez nous, sont tellement curieuses et ne correspondent en rien à ce qui se fait en la matière dans les démocraties dignes de ce nom.
Parce que croyez-moi, une position gouvernementale au Cameroun est plutôt quelque chose fondée sur l’irrationnel. Rien ici en cette matière n’est fondé sur des déterminants clairs, à l’instar de résultats électoraux tangibles ou même des prises de positions extrêmement tranchées et connues sur une thématique particulière de l’activité gouvernementale.
Chaque fois qu’ailleurs quelqu’un est promu ministre, il se trouve que qu’il a été secrétaire national dans un domaine précis, ou bien il a eu au sein du parti qui le promeut, des prises de positions reconnues pertinentes et empreintes d’autorité dans le domaine où il a été promu. Pour cela, le bénéficiaire à ladite promotion doit s’être auparavant signalé dans les médias, les débats et les conférences dans les questions techniques relevant par exemple de la politique étrangère. Il en est de même de tous les autres secteurs tels que la Défense, l’Education, l’Agriculture, les Finances, la Santé et j’en passe.
De toute manière, il faut toujours des faits d’armes militant en faveur de celui qui est promu ministre dans une spécialité précise même si un ministre peut avoir des compétences dans d’autres domaines. Cela semble manifestement loin des usages chez nous où il est fort rare de trouver des ministres possédant et ayant défendu dans les arènes publiques un discours clair et sans équivoque sur l’un ou l’autre aspect de la vie gouvernementale.
Au Cameroun, les motivations de nomination sont fondées sur le seul désir du chef de l’Etat de quadriller l’espace politique national avec des agents dont le rôle majeur est de garantir et préserver ses intérêts politiques sur le terrain. Il ne vous échappe pas que lorsque Monsieur Biya retire Bakang Mbock du gouvernement, il la remplace par sa cousine. Lorsqu’il vire quelqu’un issu d’une localité quelconque, il le remplace par quelqu’un d’autre issu de la même localité.
Son souci à vrai dire n’est point l’équilibre mais l’intention politicienne de contrôler le territoire au plan politique et électoral par des agents postés aux endroits les plus stratégiques. La logique de formation de gouvernement chez nous, loin de chercher à mobiliser les compétences les plus essentielles et les plus variées en vue de la quête d’efficacité, n’est donc fondée que sur le verrouillage de l’espace politique local de manière à y installer des gens qui, demain, défendront le parti au pouvoir.
A vous entendre parler, ce gouvernement relooké du 02 octobre n’a donc rien de technocratique, autrement dit, selon vous, le chef de l’Etat ne s’est pas départi de ses bases politiciennes ?
Malheureusement, lorsqu’on fait le décompte, on constate que c’est la même arithmétique qui est en œuvre. Une arithmétique régionale, départementale et tribale. Une logique qui en somme, consiste à fixer des acteurs qui selon moi, n’ont aucun background politique, aucun fait d’armes connu en la matière. Je n’ai personnellement aucun reproche à formuler à l’endroit des promus qui sont davantage victimes d’un système qui à la base, est considérablement corrompu et incapable de productivité développementale.
Que faut-il en réalité réaménager au Cameroun ? Pourquoi les résultats ne seront-ils pas au rendez vous ?
Ce qu’il faut réaménager, en vérité, c’est le projet politique de Monsieur Biya. C’est le président de la République qui est le problème. C’est son projet politique qui n’est pas en mesure de produire le développement que les Camerounais attendent de lui depuis 33 ans. Le projet du RDPC est beaucoup trop loin de ce qui est requis pour apporter un véritable changement, une transformation tangible, dans la vie de nos concitoyens. Donc, le problème ce n’est pas les hommes mais le projet dans son essence même. Rendez vous dans un an pour une évaluation partielle de cette nouvelle équipe.
Pouvez-vous être plus explicite sur ce dernier aspect évoqué, Dr Olivier Bilé ?
Je dis que Le projet de Paul Biya, qui relève du passé et du passif, n’est plus à la hauteur des défis actuels. Raison pour laquelle j’insiste sur le fait que ce qu’il faut réaménager, c’est la position de l’acteur au sommet de l’Etat qui est Monsieur Biya. C’est certainement lui le problème, c’est son action qu’il faut questionner en tant que chef suprême de l’exécutif camerounais.
J’ajoute qu’au-delà du projet, c’est aussi le logiciel de nomination et de désignation qu’il mobilise, qu’il faut également remettre en cause. Lors de la conférence de presse de l’Ufp il y a une dizaine de jours à Yaoundé, j’ai suggéré au Chef de l’Etat, et j’espère qu’il a reçu notre message, de procéder d’une part au rajeunissement de la classe dirigeante, et d’autre part à sa diversification. En un mot, je l’invitais ainsi à un gouvernement d’union nationale eu égard aux défis sécuritaires et autres qui tenaillent notre pays.
Monsieur Biya est hélas demeuré dans ses logiques claniques habituelles. Même si, bien entendu, on peut admettre qu’il a relativement rajeuni son gouvernement, il n’en demeure pas moins qu’il est resté emmuré dans son camp politique, s’obstinant à ne pas comprendre qu’en contexte périlleux, les dirigeants sérieux font appel à des gouvernements de salut public. C’est de cela que le pays a besoin aujourd’hui. De mon point de vue, le chef de l’Etat avec ce réaménagement gouvernemental du 02 octobre, est radicalement hors sujet.
En parlant du gouvernement d’union nationale, confirmez-vous la rumeur qui vous donnait disposé à intégrer le gouvernement Biya après l’élection présidentielle de 2011 ?
Mais au fond, compte tenu de son âge, compte tenu du statut de vénérable patriarche auquel le chef de l’Etat a accédé aujourd’hui, on pouvait espérer qu’il agisse en véritable patriarche et père de la nation, après le double scrutin législatif et municipal de 2013. En fait, qu’il consente et prenne de la hauteur et se dise : le pays a besoin maintenant que nous mobilisions l’énergie la plus essentielle.
Et dans ce scénario, nous avons dit qu’il ne s’agissait pas d’une affaire me concernant, tant il est vrai que le Cameroun regorge de jeunes talentueux, et dans les partis politiques, et dans la société civile. Des jeunes qui ont prouvé qu’ils peuvent apporter un tonus significatif à la nation. Il ne vous échappe pas que cela fait un quart de siècle que le système RDPC règne sans partage, une situation inacceptable 25 ans après l’avènement du multipartisme dans notre pays.
Le pays a besoin aujourd’hui de sortir du registre gouvernemental néocolonial ayant jusqu’ici prévalu pour s’offrir une expertise nouvelle, patriote, pétrie de valeurs notamment théistes, ancrée dans le vécu réel du pays, laquelle doit être mobilisée dans les autres mouvements politiques, voire dans la société civile ainsi que dans la diaspora, en vue du bien de toute la nation. Raison pour laquelle je dis que nous venons encore de manquer une belle occasion de remettre le Cameroun sur les rails. D’Amadou Ali, Bello Bouba, Fame Ndongo, Laurent Esso et j’en passe, tous les barons ont survécu au réaménagement gouvernemental.
Considérez-vous comme certains qu’il s’agit d’un non évènement ? Avez- vous déjà vu un baron de ce régime prendre la parole sur un sujet touchant à la vie du Cameroun dans quelque arène médiatique que ce soit ? Où, l’auriez-vous vu ? A la télé, à la radio, dans la presse écrite ?
En démocratie, la stature politique ne se réalise pas par un statut de baron. Ce n’est pas la baronnie qui compte, c’est la capacité à pouvoir porter des idées, à les défendre et les promouvoir dans l’espace public.
Ce qui est promu ici, sur le modèle du président lui-même, c’est-à dire, la posture et le modèle de l’acteur politique du silence, avec des cooptations qui répondent à des critères que l’on peut simplement imaginer. Le plus embêtant à cet égard est la situation de ces braves camarades de Paul Biya qui eux, font au quotidien acte de courage et d’engagement politique, comme on peut le voir dans les vraies démocraties, en participant activement au débat public et médiatique.
Mais, jamais, au grand jamais, l’on n’a vu ces malheureux défenseurs du régime être promus à des strapontins dignes de ce nom, voire même tout simplement à des strapontins tout court. Nul ne peut concevoir positivement le sort pour le moins méprisant qui est fait à cette pléthore de débatteurs du RDPC, les Mebenga, Mabou, Atangana Manda, Atemengue, Essomba Bengono, Sombaye koatadiba, Messanga Nyamnding, des jeunes qui agissent en acteurs politiques fideles, qui hélas sont simplement toujours considérés comme de simples communicateurs n’ayant droit à aucune considération politique réelle.
c’est plutôt souvent des acteurs du silence ou de parfaits inconnus n’ayant jamais réellement rêvé d’exister en tant que politiques, faisant irruption de nulle part, qui ont toujours eu toutes les grâces du régime Biya. Cela me semble injuste et inacceptable. Je suis fort embêté pour les militants courageux susnommés dont la plupart sont du reste des connaissances et amis. De ce qui précède, pour le 34è gouvernement de Monsieur Biya en 33 ans de pouvoir, j’ai envie de dire qu’il n’y a aucune raison de pavoiser, les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Comme pour dire, Olivier Bilé, qu’il n’y a absolument rien à espérer du régime Biya ?
J’en ai bien peur. Je pense que le président de la République est au bout du rouleau, il va essayer de faire illusion en apportant quelques nouveaux visages. Mais comme je l’ai dit dans une séquence antérieure de notre entretien, ce sont des gens qui ne peuvent rien apporter aux Camerounais, parce que leurs capacités individuelles ne peuvent pas être mises en mouvement dans un système lui-même largement corrompu et intrinsèquement improductif.