Actualités of Monday, 1 February 2016

Source: carmer.be

Paul Biya est un gros travailleur...- Atangana Mebara

Atangana Mebara Atangana Mebara

L'ex-secrétaire général de la présidence de la République, écrouépour crimes économiques, a commis un ouvrage panégyrique sur le chef de l'État qui a, pourtant, observé sans broncher ses tracasseries judiciaires. Incroyable !

Le livre, édité par l'Harmattan, n'est pas encore en librairie mais nourrit déjà le débat au Cameroun. «Le secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun ; entre textes, mythes, et réalités», le dernier opuscule de Jean Marie Atangana Mebara, propose une plongée dans les ors de la République sous le regard de l'auteur, au moment où il était le plus proche collaborateur du chef de l'Etat (2002-2006). Et le moins que l'on puisse dire est que le pensionnaire de la prison centrale de Yaoundé garde une image très positive de son ancien patron.

Dans cet ouvrage de plus de 300 pages, préfacé par Eric Chinje, enseignant d'université et ancien journaliste à la Crtv, Jean Marie Atangana Mebara, sans avoir la prétention d'avoir percé l'homme– «j'avoue donc que je ne le connais que partiellement –,décrit Paul Biya en ces termes : «Un chef très soucieux d'être toujours bien informé et un gros travailleur ! (...) Le président Paul Biya est un gros travailleur !»

L'ancien ministre d'Etat en veut pour preuve la diligence de l'homme du 06 novembre 1982 sur les différents dossiers qui lui étaient présentés.  Extrait : «Le Président était, depuis son entrée à la présidence, je crois, un homme de dossiers. Il l'est demeuré même lorsqu'il est devenu président de la République. Des dizaines de parapheurs de dossiers lui étaient transmis chaque soir par le Secrétariat général, et sans doute par les autres structures de la présidence, et le lendemain, tous les parapheurs provenant du Secrétariat général revenaient, avec des instructions ou des annotations de la main du président. Sur les notes d'information ou de compte-rendu, il apposait généralement une espèce de ''V'', ou alors ''Vu''. Et lorsqu'il voyageait, évidemment le rythme de circulation des parapheurs diminuait. Mais les dossiers nécessitant qu'il soit rapidement informé ou qu'il prenne une décision lui étaient quotidiennement envoyés par fax.»

L'auteur fait une autre révélation, prenant alors le contrepied de ce qui est communément admis par la majorité des Camerounais, à savoir qu'en plus d'avoir un poil dans la main, Paul Biya passerait plus de temps à jouer au «Songô» qu'à diriger la nation. L'ancien Sg/Pr rapporte cet échange entre lui et le chef de l'Etat : «Conséquemment, cela m'amusait toujours d'entendre dire que le Président était un homme paresseux, qui passait son temps à jouer au ''songô'' (jeu traditionnel chez certains groupes bantous). D'ailleurs je le lui ai dit un jour, que les gens disent qu'il passe son temps à jouer et à se reposer. Il m'a alors révélé qu'il ne savait même pas jouer à ce jeu du songô.»

Dans la seconde partie de l'ouvrage,où l'ex-ministre des Relations extérieures a volontairement choisi la doxa (dialogue avec soi-même) comme style littéraire, Atangana Mebara confie par ailleurs que même à l'étranger ou dans son village natal, le chef de l'État n'arrête pas de travailler :«Je suis allé le retrouver un jour dans son village, pour une séance de travail. J'étais parti en hélicoptère et je suis revenu parle même moyen, parce que le dossier était d'une urgence caractérisée. J'ajoute ceci, qu'il soit à l'étranger ou dans son village, il ne m'a jamais instruit de cesser de lui faire parvenir les dossiers. Et comme d'habitude, les dossiers m'ont toujours été renvoyés le lendemain ou au plus tard 48 heures après leur envoi. Je maintiens donc que ce Président s'organise pour continuer à exercer ses attributions où qu'il se trouve.»

«J'ai bénéficié de la protection du Président»

Alors qu'il a aujourd'hui maille à partir avec la justice pour des accusations de détournements de deniers publics, Jean Marie Atangana Mebara n'a que des termes laudateurs envers le chef de l'État, par ailleurs président du Conseil supérieur de la magistrature. En pleine tourmente dans l'acquisition foireuse d'un avion («l'Albatros») pour les déplacements présidentiels, mais également d'accusations à peine voilées de préparer l'après-Biya à travers le «G11», l'ancien Sg/Pr révèle qu'il avait le soutien du chef de l'Etat : «Je n'ai pas de doute par ailleurs, que le Président de la République m'a beaucoup protégé, surtout pendant les deux premières années de mon séjour au Secrétariat général.»Et cette autre anecdote – le livre en foisonne – sur ce collaborateur du chef de l'Etat (l'auteur tait son nom), qui comme la plupart des adversaires du Sg/Pr conseillait au président de le «frapper».A celui-là, Paul Biya aurait eu cette réponse : «Comment Mebara pouvait-il, à partir de son bureau à Etoudi, commander un accident d'avion à plus de six mille mètres d'altitude ?» D'ailleurs, pour confirmer cette attitude paternaliste que le chef de l'État avait à son endroit M. Atangana Mebara se souvient, avec nostalgie, sur ses premiers jours aux côtés du chef de l'État : «Ainsi, un jour, plusieurs jours après ma prise de fonction, au cours d'un entretien téléphonique au cours duquel le Président me donne des instructions sur des dossiers, je réponds systématiquement ''okay''. Au moment de mettre fin à l'entretien, le Chef de l'État me dit : ''Monsieur le ministre d'État, vous savez que okay n'est pas très administratif !''. J'ai répondu : ''Bien noté Monsieur le Président''. Je ne me le ferai pas dire deux fois. À partir de ce jour-là, j'ai appris que je devais répondre ''oui'', ou alors''bien Monsieur le Président de la République''.»

Sur un autre dossier, une violente campagne de presse contre le Sg/Pr, Paul Biya va commander une enquête pour identifier les commanditaires de ces articles à charge : un directeur général d'un organisme public. Paul Biya aura alors ce commentaire : «Ce monsieur ne sait pas que c'est vous qui l'avez fait nommer à cette fonction ?»Quand à savoir comment le président Paul Biya a pu tourner casaque à son sujet et fermer les yeux sur son arrestation, Jean Marie Atangana Mebara botte en touche : «C'est lui seul qui pourra l'expliquer.»

L'appel du pied d'Atangana Mebara

Pour de nombreux observateurs de la scène politique camerounaise, la sortie de l'ancien proche collaborateur du président Biya est surprenante à plus d'un titre. Arrêté en 2008, puis incarcéré à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui, Jean Marie Atangana Mebara fait, depuis lors, face à un procès à tiroirs. En 2011, alors qu'il fait,pour la une énième fois, face à un déni de justice, le célèbre prisonnier lâche : «Je suisfatigué de ce procès en accordéon.Je suis las de ce procès à rouleau compresseur.Je n'ai plus aucun goût à participer à ce procès disjonctif.»Ses multiples déconvenues judiciaires ne l'empêchent cependant pas de commettre un ouvrage apologique envers celuiqu'il affirme avoir eu tant d'égards pour sa personne, mais qui va fermer les yeux sur sa descente aux enfers –s'il n'est pas lui-même à la manœuvre.

Ce livre, politiquement correct pour le pouvoir de Yaoundé, tranche avec le ton désabusé des «Lettres d'ailleurs», le premier ouvrage du prisonnier qui avait fait bondir sous les lambris dorés de Yaoundé. Jean Marie Atangana Mebara met-il de l'eau dans son vin ?

Tout porte à le croire, si on met en parallèle cette activité épistolaire de l'ancien Sg/Pr avec celle d'un autre ancien Sg/Pr : Titus Edzoa. Ce dernier, après avoir menacé Paul Biya de révélations fracassantes à l'aube de son incarcération, en 1997, a terminé au ralenti jusqu'à la grâce présidentielle à lui accordée – avec d'autres célèbres détenus – en février 2014. La nouvelle posture de Jean Marie Atangana Mebara ressemble, à s'y méprendre, à un clin d'œil en direction du locataire d'Etoudi.