Dans un éditorial titré "Ce que Grégoire Owona révèle", le journaliste, Parfait Nicolas Siki Awono, dans un style de haute facture, dévoile dans un langage très diplomatiques, des signes qui montrent que le RDPC et Paul Biya ne sont plus loin de la fin de leur règne.
L'axe de l'analyse du journaliste étant la dernière sortie des évêques, il dit aussi ce que sous-entend les dernières sorties du ministre Grégoire Owona.µ
Lisons
"Joseph Charles Doumba avait peut-être tort de sous-estimer Grégoire Owona. La condescendance du premier, secrétaire général du Comité central du RDPC, vis-à-vis du second, son adjoint, était notoire lorsque les deux trônaient au siège du parti au pouvoir sis au palais des Congrès de Yaoundé.
Pendant environ 15 ans, de 1992 à avril 2007, date à laquelle il est remplacé par René Sadi, Joseph Charles moquait son adjoint, qu’il jugeait peu à la hauteur de la noble politique. Joseph Charles Doumba avait la même estime pour la politique que Platon pour la philosophie et considérait certains militants de son parti, y compris des membres de son entourage, comme indignes d’être des responsables politiques. Grégoire Owona était à ses yeux de cette espèce d’entrepreneurs politiques opportunistes, entrés en politique comme on monte une affaire, avec l’objectif mercantile d’en faire son gagne-pain.
Joseph Charles Doumba, passé dans l’au-delà, serait donc surpris de voir comment l’amateur d’hier est devenu un professionnel de la parole politique et de la sémantique du discours. La séquence actuelle du théâtre politique montre un Grégoire Owona aussi espiègle que fin, orphelin des joutes politiques épiques de l’époque et visiblement impatient de descendre dans l’arène. La sortie des évêques de l’Eglise catholique qui est au Cameroun est pour le ministre du Travail une occasion de démontrer son orfèvrerie. En deux prises de parole, sur X (anciennement Twitter) et dans Jeune Afrique en quelques jours d’écart, Grégoire Owona, a délivré tous les messages utiles en ces temps de fébrilité. Son propos est nourri par une pertinence tirée d’une longue carrière près de Paul Biya, comme ministre délégué à la présidence chargé des Relations avec les Assemblées, dont le bureau est à Etoudi, et comme secrétaire général adjoint du Comité central du RDPC. Il peut aussi revendiquer une bonne connaissance de la réalité du pays, du positionnement des acteurs, des ambitions cachées, des ressentis au regard de sa présence à quasiment tous les grands et petits événements qui comptent, qu’ils soient publics ou privés.
Au lendemain des déclarations des évêques, alors que la biyaïe entre en ébullition, Grégoire Owona calme le jeu dans sa sortie sur X, mais il pose déjà quelques pierres blanches. « Ne soyons pas violents envers les évêques même quand ils font l’apologie du diable… Gardons notre sérénité et continuons de travailler en intégrant bien ce qu’on nous reproche pour le corriger », déclame-t-il, alors que les snipers de son parti sont positionnés. Grégoire Owona refrène les ardeurs de son camp : l’autodafé de l’Eglise n’aura pas lieu. Le porte-parole du gouvernement René Sadi suit ce fil rouge, nuançant le discours du pouvoir sur une candidature de Paul Biya tirée de sa détermination proclamée intacte à servir son pays, interprétée comme une déclaration de candidature à la prochaine présidentielle.
Grégoire Owona n’a pas fini le job, il a encore des informations à passer, sans doute le plus important vient-il au bout de son interview avec Jeune Afrique. Le SGA du comité central du RDPC a glissé deux messages à peine cachées dans ces deux affirmations : 1°) « Le RDPC soutiendra Paul Biya à fond ou, si ce dernier décide lui-même de « rentrer au village », comme il l’a dit, il soutiendra le candidat qu’il lui aura proposé » ; 2°) « S’il se retire sans rien proposer, le RDPC prendra ses responsabilités pour se trouver un candidat ».
Dans sa première déclaration, Grégoire Owona dit que Paul Biya conserve la confiance et le soutien de son parti mais qu’il est judicieux qu’il lui présente quelqu’un. Dans la culture ekang, quand le Chef est fatigué ou affaibli, ses visiteurs ou ses interlocuteurs lui demandent de leur présenter un plénipotentiaire plus à même de répondre à leurs sollicitations. « Montre-nous quelqu’un » est la formule consacrée, que Grégoire Owona, lui-même ekang, reprend avec subtilité. Ceux qui demandent au Chef fatigué de leur « montrer quelqu’un » ne lui sont pas hostiles, et sont encore moins en défiance. Ils constatent que le Chef jadis flamboyant a perdu de sa superbe et que le souvenir de sa gloire passée est terni par un exercice de plus en plus défectueux et discutable du pouvoir.
Dans sa deuxième déclaration, Grégoire Owona s’avance dans un exercice certainement osé, indubitablement courageux. Il affirme que, de toutes les façons, si Paul Biya échoue à montrer un successeur, le RDPC s’en chargera. Le sous-entendu est que le RDPC est l’instance qui choisira, ce qui exclut les velléités de préemption du pouvoir auxquelles on assiste actuellement autour du chef de l’Etat.
Un tel discours, qui transpire le respect, la loyauté et la fidélité envers Paul Biya, n’aurait pas germé de l’esprit d’un de ses lieutenants s’il n’y avait cette traître déchéance physique du Chef que même l’inconscient de Grégoire Owona a déjà intégrée et qui module ses mots. Le problème pour les apparatchiks du RDPC n’est donc ni la longévité, ni l’âge de Paul Biya qui étaient déjà présents il y a sept ans. En 2018, avec 85 ans d’âge et 36 ans de pouvoir, Paul Biya n’aurait choqué personne en se retirant. Pourtant, l’homme du 6-Novembre conquit un autre mandat avec le soutien de son camp, se contentant d’une campagne électorale légère, sûr de son fait. En dehors des protestations de l’opposition portées par Maurice Kamto auto-déclaré vainqueur, il n’y eut pas de biais. En tout cas, le débat ne porta pas sur sa légitimité à se porter candidat et sa capacité à continuer à diriger le pays.
Cette fois semble différente. Les prises de parole des évêques ne sont qu’un révélateur que l’accompagnement dont le président Paul Biya a bénéficié depuis plus de quarante ans est compromis par son incapacité physique à assumer la plénitude du pouvoir, laissant prospérer l’idée que le pays est géré en sous-main. Cette perspective du pouvoir par procuration est redoutée parce qu’elle donne à voir depuis deux ans une gouvernance de conflits, un management de concussions, une obsession d’enrichissement personnel et un appétit de puissance inquiétant. Ces vices qui apparaissaient comme des dérives plus ou moins sanctionnées d’un régime du Renouveau tenu des mains de maître par Paul Biya sont aujourd’hui logés au cœur de la nouvelle nomenklatura".