Les camerounais ont découvert, ahuris, le 14 septembre 2022, une correspondance du président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yeguié Djibril, datée du 07 septembre 2022 et adressée à son homologue de la République Centrafricaine. «J’ai l’honneur de vous faire connaître pour transmission à son haut destinataire que le député Camerounais d’opposition Salmana Amadou Ali ne bénéficie d’aucun mandat de notre institution lui permettant de mener les activités politiques et commerciales en République Centrafricaine. Sous ce rapport, il serait souhaitable de porter à la connaissance des autorités de votre Grand et beau pays que ce député de moralité douteuse agit pour son propre compte et ne saurait se prévaloir d’un quelconque soutien de notre part», peut-on lire dans la correspondance du Président de la chambre basse du Parlement.
La correspondance qui a opportunément fuité et s’est retrouvée sur les réseaux sociaux, au-delà de son caractère surprenant, n’en reflète pas moins l’âpreté de la bataille entre le président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yeguié Djibril, et son ancien protégé, Salmana Amadou Ali, député du Front pour le salut national du Cameroun (Fsnc) de la circonscription du Diamaré-Centre dans l’ExtrêmeNord. «L’honorable Salmana s’est rendu en RCA avec un ordre de mission officiel sans frais, pour ses besoins personnels, accompagné d’une dame qui se fait passer partout pour la fille du président Cavaye. Il faut savoir que c’est une pratique habituelle à l’Assemblée nationale, à savoir qu’un ordre de mission sans frais veut dire que la mission est privée et le document est davantage un outil de facilitation pour le député qu’autre chose.
Sur place, il s’est présenté au président de l’Assemblée nationale de la RCA comme étant un envoyé de son homologue et on ne sait trop comment, il a été conduit jusqu’au chef de l’Etat centrafricain au point de recevoir une décoration. Que lui a-til dit ? C’est lorsque le président de l’Assemblée nationale Centrafricaine a fait le point à Cavaye que celui-ci s’est rendu compte de la supercherie de son collègue député et a tenu à clarifier la position de son institution auprès de son homologue», explique une source au cabinet du Président de l’Assemblée nationale. Reste toutefois la question des termes utilisés dans la correspondance s’agissant d’un élu de la Nation. « Il n’y est pas allé de main morte le Président ; cela n’est pas pour donner une image correcte de notre Institution. Je pense que s’il avait consulté le bureau de l’Assemblée nationale, une mission se serait rendue sur place en lieu et place de cette correspondance au vitriol mais l’objectif recherché ici est de faire de Salmana un paria », affirme un député.
Pour rappel, le député Salmana Amadou Ali a séjourné en juillet 2022 en République centrafricaine où il a été fait Commandeur de l’ordre du mérite commercial par le chef de l’Etat Faustin Archange Touadera.
Cavaye Yéguié Djibril a-t-il saisi le prétexte des « bourdes » de Salmana en RCA pour lui porter l’estocade ? De nombreux observateurs le pensent, tant les deux hommes sont en bisbilles aujourd’hui après avoir été de bons partenaires par le passé.
« Après l’élection de 2020 et peut-être quelques mois avant, Salmana a été adopté par Cavaye qui a toujours eu un fer au feu à Maroua. Il a jeté son dévolu sur ce député fougueux et insaisissable pour des raisons essentiellement politiques, quand il a compris les difficultés de son ami Amadou Adji de l’Undp.
Il l’a donc gavé d’avantages pour s’attacher ses services et pour tout vous dire, il a même demandé à ce que lui soit octroyé un véhicule de fonction, en violation du règlement intérieur de l’Assemblée nationale puisqu’il n’est pas membre du bureau. Salmana, se croyant sans doute puissant du fait de ses prétendues relations avec le secrétaire général de la présidence ou le directeur de cabinet du président, a surestimé ses forces ou alors sous-estimé ses adversaires dans les luttes d’influences dans l’entourage de Cavaye. Et comme l’ancien secrétaire général Gaston Komba avant lui, il n’est pas loin de terminer sa course au fond du ravin», témoigne un député Rdpc du Nord.
Qu’a-t-on raconté à Cavaye Yéguié Djibril pour qu’il prenne en grippe son ancien protégé ? Des choses sans doute suffisamment sérieuses pour nourrir sa rancune légendaire quand il s’agit de son perchoir. «Cavaye Yeguié Djibril est un homme affable et avenant jusqu’à ce que vous apparaissiez à ses yeux, à tort ou à raison comme un prétendant à son poste. Pour cette principale raison, il est aujourd’hui mal à l’aise, pour dire le moins, avec nombre d’élus nordistes. Cela va de Kamsouloum Abba Kabir à Zondol Hersesse en passant par Haman Tchiouto et autres Hamadou Sali», prétend un habitué de Cavaye Yeguié Djibril.
BANDEROLES DE TOKOMBÉRÉ
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour Cavaye Yéguié Djibril est sans doute «l’affaire des banderoles de Tokombéré». Le 20 mai 2022, une image de jeunes prise à Tokombéré dans le MayoSava à l’occasion de la fête nationale, lesquels tiennent une banderole sur laquelle est écrite «Salmana, notre futur PAN» avec l’effigie du député du Front pour le salut national du Cameroun (Fsnc), circule abondamment sur les réseaux sociaux. La banderole brandie par ces jeunes vêtus aux insignes du Fsnc, présente le député de la formation politique présidée par Issa Tchiroma Bakary comme une alternative au perchoir à l’actuel titulaire du strapontin. Flairant immédiatement le piège, le député Salmana Amadou Ali dépose une plainte, le 23 mai 2022, auprès du procureur de la République près le tribunal de première instance de Mora. Pointant du doigt d’éventuels instigateurs de cette manœuvre, le député écrit ceci : « Que ces individus manipulés par les oiseaux de mauvais augures se sont comportés ainsi dans le but de saboter le parti Fsnc, à ternir son image et à créer discorde entre le Président de l’Assemblée nationale, le Très Honorable Cavaye Yeguié Djibril et moi, me connaissant très proche de ce dernier. (…) Qu’or, je n’ai jamais songé de concurrencer le Président de l’Assemblée nationale, le Très Honorable Cavaye Yeguié Djibril par quelque moyen et d’ailleurs, il est comme un père pour moi». Pour beaucoup, en saisissant la justice, l’honorable Salmana essayait moins de mettre la main sur les commanditaires de l’opération qu’il ne peut ignorer que d’amoindrir l’impact de la charge libérée par cette manœuvre sur le Président de l’Assemblée nationale.
Manifestement, cette volonté de sortir des griffes de ses adversaires et de redorer son blason auprès du «vieux» n’aura contribué qu’à envenimer la situation. «Dans cette affaire, une enquête a été ouverte et des proches du président de l’Assemblée nationale doivent être entendues pour la manifestation de la vérité. Or ces auditions ont été présentées à Cavaye comme une tentative visant à l’humilier, à montrer qu’il n’a plus assez de pouvoir dans ce pays. Salmana a été donc mis en quarantaine, coupé totalement de Cavaye auquel il n’a plus accès et est désormais persona non grata à la résidence où, par le passé, il était un enfant de la cour. On le présente aujourd’hui comme un paria comme pour mettre en garde les uns et les autres. Ou c’est Salmana ou c’est Cavaye», poursuit une source introduite au cabinet du président de l’Assemblée nationale. Les nombreuses tentatives de votre journal de joindre le député Salmana Amadou Ali et obtenir sa réaction dans cette affaire n’ont pas été couronnées de succès. En tout cas, le feuilleton Cavaye-Salama ne fait que commencer et est loin d’avoir livré tous ses secrets