Chaque candidat déclaré à la prochaine présidentielle s’empresse de lancer une opération de charme dans les trois Régions septentrionales. Sauf que la conquête de ce fief de Paul Biya n’est pas aisée.
« Ceux qui avaient les doutes que je n’aurai pas un plafond politique ont vu, on a près de cinq mille personnes aujourd’hui. C’est la preuve que les Camerounais veulent le changement et on va leur apporter ce changement. Ils sont prêts, je suis prêt, on va y aller ». C’est le propos de Akere Tabeng Muna le 21 juin dernier à la place des fêtes de Ngaoudéré. C’était lors du congrès du Front populaire pour le développement, le parti sous les couleurs duquel l’ancien bâtonnier devra challenger les autres candidats à la présidentielle d’octobre prochain.
Le fils de Solomon Tandeng Muna arrive à Ngaoudéré en particulier et dans le Grand Nord en général après un autre jeune loup aux dents longues : Cabral Libii, adoubé par le parti Univers. D’autres candidats, à l’instar de Maurice Kamto qui laboure le terrain depuis de longs mois, se préparent à aller à l’assaut de ce septentrion qui charrie toutes les convoitises. Une ruée qui est loin d’être fortuite.
LIRE AUSSI: Ambazonie: entre Yaoundé et Washington, le fossé se creuse davantge
« Au Nord, ce sont les hommes qui attirent les hommes politiques. Il a une population nombreuse et on pèse les hommes politiques par le nombre de voix obtenues. Chacun y trouve un terrain prospère pour faire des promesses. La politique, c’est les intérêts mirobolants », analyse le Pr. Hubert Mono Ndjana, philosophe et observateur de la scène politique locale. Qui ajoute : « Le terrain est resté libre pour les autres. Les candidats déclarés peuvent dire à la population : moi je suis libre de mes mouvements, de mes moyens. »
Pour Dr Ambroise Louison Essomba, politologue, « le Grand-Nord représente la masse électorale prépondérante du Cameroun. C’est ce qui peut justifier cet acharnement de tous les leaders politique vers le Grand-Nord, parce que c’est d’abord un bastion politique très compliqué en termes de présence de multiples partis politiques. Mais la lecture profonde qu’on puisse faire, c’est d’abord en termes d’électorat. Le Grand-Nord représente la moitié des électeurs au Cameroun, donc tous les leaders politiques tentent d’aller conquérir du terrain de ce côté, question de s’assurer d’un électorat massif ».
Il soutient que l’accueil que le Nord dans son ensemble réserve à ceux qui le sollicitent à un lien avec les rapports que l’élite au pouvoir a construits avec les populations. « Si vous voyez un grand accueil de la population de ce côté, c’est parce que les leaders du parti au pouvoir n’ont pas jusqu’ici essayé de leur apporter l’épanouissement escompté. J’ai un étudiant qui est du même village que le président de l’Assemblée nationale (PAN) qui dit par exemple que quand le PAN va au village, il allume le groupe électrogène et dès qu’il retourne à Yaoundé, il l’éteint.
Donc les populations du Grand-Nord comprennent qu’elles ont confiance au parti au pouvoir et jusqu’ici les résultats n’ont pas suivi comparativement aux suffrages accordés à leurs élites. » Selon les chiffres d’Elecam, l’Extrême-Nord compte plus d’un million d’inscrits sur les listes électorales. Un fait que dissèque Aurélien Fandono, analyste politique : « Aucune voix n’est négligeable dans un système électoral à un tour. La majorité simple l’emporte et le Grand-Nord constitue indéniablement un vivier important sur l’échiquier national. » Un pouvoir démographique, et par ricochet politique, que les candidats déclarés de l’opposition veulent s’approprier avant que la grosse machine du RDPC ne se mette en branle.
LIRE AUSSI: Kondengui: voici le nombre de détenus anglophones ‘torturés
« Au plan socioéconomique et politique, la nouvelle élite de l’opposition sait qu’elle peut surfer sur le contraste qui existe entre la fidélité du Grand-Nord au RDPC dans un contexte où les populations aspirent davantage à l’autonomie de leurs collectivités », soutient Aurélien Fandono. Pour qui le Nord-Ouest et le Sud-Ouest étant difficiles d’accès du fait de la crise sociopolitique qui les secoue depuis octobre 2016, il semble urgent pour certains partis de vite occuper cet espace politique.
Car « le septentrion a été secoué par l’emprisonnement de quelques barons du régime issus de la région, créant des fissures dans les rangs du RDPC. Autant de facteurs que tente d’exploiter la nouvelle opposition. »
SUCCÈS TOTAL ?
La plateforme Now, désormais associée au Front populaire pour le développement (FPD) et le parti Univers, ont été les premiers à déployer leurs caravanes dans le septentrion en vue de la présidentielle 2018. Pour quel résultat ?
« Le succès n’est pas assuré à 100 %, c’est toujours aventureux mais l’homme politique pense toujours qu’il va se créer un fief. Faire des rapports aux ONG qui les supportent –parce qu’il s’agit aussi de beaucoup de financements. Sinon sur la surface politique, on se fait financer en conséquence. On présente ses membres, ses affiliations, cela fait des centaines de millions mais si on n’a personne derrière soi, ça peut ne pas marcher », déclare le Pr Hubert Mono Ndjana.
Un échec qu’explicite le politologue Ambroise Louison Essomba : « Vous voyez, les techniques de la prorogation du mandat des députés visent justement à se conforter. Le RDPC n’est plus sûr d’avoir une majorité écrasante au parlement camerounais. Dans la hiérarchie de l’organisation des élections, on organise d’abord les municipales, ensuite les régionales (qui n’existent pas encore) –parce que ce sont les conseillers municipaux et les conseillers régionaux qui élisent les sénateurs - après les municipales, et à la fin donc les élections présidentielles. Le fait de faire proroger le mandat des députés pour un an fait que l’élection présidentielle va passer, et si le président est réélu, il va compter sur sa majorité au parlement pour pouvoir faire passer un certain nombre de textes. »